[Carnet de Bord] Festival Int. du Film Grolandais • Jours 6-7


Ntre rédactrice Charlotte Viala s’est faite naturaliser grolandaise pour pouvoir arpenter cette année les allées et les salles du Fifigrot, grande fête annuelle du film Grolandais. L’occasion de nous ramener des tonnes de pellicules qui font pas genre, où le réalisme se mêle au grotesque, où le mauvais goût côtoie la poésie, où ce qui est politique l’est toujours par un pas de côté, coupé-décalé. Place désormais aux jours 6 et 7, The End.

Jour 6 • En Quête d’Amour

“Vincent doit mourir” de Stéphane Castang © Capricci Films

On se dirige lentement vers la fin du festival et d’une semaine riche en grolandaiseries de tout genre. Mais le Fifigrot n’a pas dit son dernier (gros) mot et nous réserve encore quelques belles séances avant de quitter Toulouse pour des terres meilleures. Réveillons-nous avec fracas, à 13 heures, pour la projection de Vincent doit mourir (Stephan Castang, 2023) avec une salle pleine qui attendait visiblement le film avec impatience. Peut-être pour son acteur principal, Karim Leklou qui s’est notamment illustré dans BAC Nord (Cédric Jimenez, 2020) ou Pour la France (Rachid Hami, 2022). Fidèle à son personnage de nounours inquiétant, gentil mais torturé, il se retrouve contaminé par un virus qui pousse la moindre personne qui le regarde dans les yeux à vouloir le tuer. De ce postulat simple, nous allons suivre le parcours d’un homme bien décidé à abandonner toute relation sociale pour sa survie mais qui va paradoxalement trouver le véritable amour sur son chemin. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec un autre objet du festival vu quelques jours plus tôt, The Survival of kindness (Rolf Dee Heer, 2023) qui utilisait aussi le danger des interactions humaines pour souligner l’importance de celles-ci dans un monde post-apocalyptique. Si le film australien baignait dans une atmosphère onirique, la production française se veut bien plus réaliste, exposant sans fard cette violence ordinaire, au grand effroi du public qui a poussé quelques cris pendant la séance. Le réalisateur arrive à nous faire basculer petit à petit dans cette prise de conscience d’une violence aveugle qui se trouve partout autour de nous et qu’on a tendance à banaliser, tout comme les premiers coups dont Vincent est victime à son travail et qui ont fait rire une grande partie de la salle, moi y compris. Au fil du récit, la violence monte crescendo jusqu’à un déchainement de gore qui ne fait plus rire personne. Et cette fureur de transformer une humanité qui nous fait peur, jusqu’à nos proches qu’on ne reconnait plus. Bien qu’un silence de plomb se soit abattu sur la salle à l’issue de la projection, des applaudissements ont retenti pendant le générique. Probablement mon coup de cœur FPG du festival.

“Riddle of Fire” de Weston Razooli © ASC Distribution

Me voilà courant aussi vite que Vincent qui fuit ses assaillants jusqu’à la prochaine salle pour assister à la projection de Riddle of fire (Weston Razooli, 2023), quittant une atmosphère de fin du monde réaliste pour une petite histoire bucolique aux tons pastels. Les trois héros du conte partent en quête d’ingrédients afin de cuisiner une tarte aux myrtilles pour leur mère malade, seule condition pour que cette dernière leur donne accès à leur console de jeux. Leur périple va être jonché d’obstacles et de rencontres plus ou moins amies, passant du supermarché à la forêt verdoyante et côtoyant un danger de plus en plus palpable. Véritable jeu de rôle grandeur nature, les enfants vont vivre en direct les aventures de leur propre jeu vidéo, cochant toutes les cases de la quête du héros qui quitte sa ville natale lumineuse et rassurante pour s’enfoncer dans des endroits inconnus et dangereux. Le spectateur un minimum geek retrouvera tous les éléments classiques du jeu vidéo, comme la magie, les artéfacts, les boss à vaincre et une difficulté de plus en plus accrue. Mélange réussi des Goonies (Richard Donner, 1985) et du jeu vidéo Zelda, on se laisse facilement emporter par des décors presque surréalistes et des enfants mignons mais au caractère bien trempé. Ce genre de film d’aventures avec des mini héros étant très en vogue dans les années 80/90 mais assez peu aujourd’hui, on est heureux de retrouver avec nostalgie cette petite douceur à la fois solaire et mélancolique, comme un goût de grandes vacances qui se terminent.

Jour 7 • Du Ciel au Terrier

“Liquid Sky” de Slava Tsukerman © Tous droits réservés

C’est une journée un peu psychédélique qui attend votre reporter naturalisée grolandaise, désireuse de ne pas atterrir tout de suite dans le monde réel avant d’avoir pris un bon shoot de films bizarres. Commençons par planer très haut dans l’espace en suivant une invasion extraterrestre dans le New-York des années 80 avec le sulfureux Liquid Sky (Slava Tsukerman, 1982). Film culte indépendant empreint de culture new wave, il plonge dans les bas-fonds des clubs underground pour relater la vie de postpunks au maquillage fluo, entre drogue, sexe et dancefloor. Dans ce quotidien complètement décadent vient se greffer un scientifique allemand souhaitant étudier lesdits extraterrestres qui se nourrissent des drogues sécrétées par le cerveau humain pendant l’orgasme… Entrainant la mort de celui qui le ressent. Ne vous fiez pas à un résumé qui fleure bon le petit film fantasque et à une imagerie joyeusement colorée, car le long-métrage diffuse une noirceur et un pessimisme latents à travers le personnage de Margaret, jolie mannequin à la merci d’un monde sans pitié. Son regard triste et sa verve faussement rebelle traversent toutes les scènes où la plupart des personnages tentent de profiter d’un corps qu’ils estiment à leur entière disposition. Finissant par comprendre qu’elle peut se venger grâce aux orgasmes qu’elle provoque, son sexe autrefois si violenté va devenir une arme. Mais qui est le plus puni dans cette histoire ? Celui qui meurt d’un orgasme ou celle qui continue à vivre sans en avoir ? Anesthésiée par une vie qu’elle n’a pas souhaitée, même la vengeance ne pourra lui procurer le moindre plaisir. Tout n’est que vide, comme l’espace dans lequel les extraterrestres finiront par retourner. Sublimé par une BO devenue culte aussi, le voyage vaut le coup d’être vécu mais l’atterrissage risque d’être douloureux.

“La Fiancée du Poète” de Yolande Moreau © Le Pacte

Ça a été mon cas lorsque j’ai regardé l’heure avec angoisse, constatant que la cérémonie de clôture allait débuter dans quelques minutes. Me faufilant à travers la foule compacte d’un dimanche ensoleillé toulousain, je suis arrivé essoufflée dans un hall encore rempli de gens, me regardant avec des yeux étonnés du genre « Parce-que tu pensais que tous les invités allaient arriver à l’heure le dernier jour du Fifigrot après une semaine complètement décadente ? » Soupirant sur ma propre naïveté, j’en ai profité pour admirer de plus près les affiches de l’immense Philippe Druillet exposées dans le hall du cinéma l’ABC. Ces personnages épiques et leurs poses guerrières n’ont fait que me rappeler avec honte le peu d’endurance dont j’ai fait preuve pour arriver jusqu’ici. Résignée, je suis retournée m’asseoir pour la énième fois de la semaine sur un fauteuil confortable afin de connaitre les gagnants des Amphores, sorte de parodie des Oscars à la sauce grolandaise. La cérémonie est introduite par Gérard Trouilhet, figure indissociable du festival remerciant chaleureusement les bénévoles toujours aussi actifs sur cette édition. Grand mal lui a pris, le voilà interrompu par le Pape de l’Église de la très Sainte Consommation – au nom du pèze – criant sa révolte contre la trop grosse absorption de bière des bénévoles. Conspué par un public qui se prête volontiers au jeu, il finira par repartir le cœur léger une fois qu’il aura appris que les bénévoles n’étaient pas payés. La suite se veut plus officielle avec les discours des représentants des collectivités territoriales avant d’enchainer enfin sur la remise des prix. Le premier est le prix Michael Kael, « Que le monde entier ne nous envie pas » selon Benoit Delépine venu récompenser le film réunissant son vote et celui de Michael Kael. Il sera décerné à l’actrice Llinkz Manolache pour sa prestation dans N’attendez pas trop la fin du monde (Radu Jude, 2023) qui, même si elle n’était pas présente, a laissé un petit message vidéo pour les spectateurs. La petite Amphore des jeunes récompensera le court-métrage Tondex 2000 (Jean-Baptiste Leonetti, 2022) qui gagnera aussi l’Amphorette. Le jury des étudiants de l’ENSAV, école de cinéma toulousaine, a décidé d’honorer Le syndrome des amours passées (Ann Sirot et Raphaël Balboni, 2023). Mais les prix les plus attendus restent l’Amphore du peuple, réunissant les votes du public donnés à la fin des séances des films en compétition et l’Amphore d’Or décernée par le Con-sulat constitué de Noël Godin, Patrick Bouchitey et Nine Antico. Commençons par l’Amphore du peuple remise par Emmanuel Micron hué joyeusement par la foule et complètement dégouté de remettre un prix représentant le peuple qu’il déteste tant. Il le donnera à une Yolande Moreau toute en humilité pour son film La fiancée du Poète (Yolande Moreau, 2023). Et il faut croire qu’il n’y a pas que les spectateurs qui sont sensibles au charme de cette fiancée puisqu’elle remporte aussi les suffrages du Con-sulat.

“Alice” de Jan Svankmajer © Tous droits réservés

Terminons cette semaine un peu dingue en sombrant encore plus dans la folie avec Alice (Jan Svankmajer, 1988) adaptation live et creepy du roman de Lewis Caroll, bien loin de la version Disney que le réalisateur ne trouve clairement pas à la hauteur puisque pour lui, aucun enfant ne rêve comme dans un film de Disney. Fidèle à sa technique d’animation image par image, il trouve en Alice assez de matière pour atteindre le sommet de son style surréaliste. Bien qu’emportés par l’histoire intemporelle de cette petite fille entrainée par le lapin blanc dans un monde imaginaire, on ne peut pas passer à côté des nombreuses créatures tout droit sorties d’un cabinet de curiosités. Les techniques qu’il mélange, que ce soit du papier découpé ou les mouvements saccadés des marionnettes, apportent un côté palpable qui renforce la réalité des interactions entre Alice et ces monstruosités baroques, sans atténuer le surréalisme des situations ubuesques qu’elle traverse. A la fois beau et inquiétant, comme tout rêve se doit de l’être, la poésie macabre qui traverse le film touchera les petits comme les grands. Me voilà donc comme Alice, obligée de me réveiller d’un rêve tout aussi bizarre, ou des enfants curieux, des êtres en costume fluo et même de grands solitaires incompris m’ont entrainé aux quatre coins du globe et de l’esprit. Un peu fatiguée par tant de route, je rentre dans mon propre terrier et dors jusqu’à l’année prochaine pour ne pas être en retard au Fifigrot 2024. Banzai ! A l’année prochaine les copains et les copines grolandais !


A propos de Charlotte Viala

Vraisemblablement fille cachée de la famille Sawyer, son appétence se tourne plutôt vers le slasher, les comédies musicales et les films d’animation que sur les touristes égarés, même si elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter. Entre deux romans de Stephen King, elle sort parfois rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer à la vie culturelle Toulousaine. A ses risques et périls… Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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