[Carnet de Bord] Festival Int. du Film Grolandais • Jours 1-3


Notre rédactrice Charlotte Viala s’est faite naturaliser grolandaise pour pouvoir arpenter cette année les allées et les salles du FIFIGROT, grande fête annuelle du film Grolandais. L’occasion de nous ramener des tonnes de pellicules qui font pas genre, où le réalisme se mêle au grotesque, où le mauvais goût côtoie la poésie, où ce qui est politique l’est toujours par un pas de côté, coupé-décalé.

© Charlotte Viala

Jour 1 • The Place to be(bine)

© Charlotte Viala

La rentrée ça craint, le soleil semble déjà loin tandis que la brise automnale se profile et fait frissonner les premiers nez qui coulent… Mais qui dit septembre dit aussi rentrée culturelle et son lot de festivals qui va nous permettre d’oublier qu’on a rangé les maillots et la menthe du mojito. Commençons tout de suite à jouer les garnements du fond de la classe en rejoignant la 12ème édition du Fifigrot, le festival international du film grolandais qui se tient du 18 au 24 septembre à Toulouse. En parfaite représentante de la communauté de Groland, me voilà le premier jour du festival non pas au film d’ouverture mais à l’ouverture… Du bar. Car oui, Fifigrot ce n’est pas que du cinéma c’est aussi une ambiance potache avec ses concerts, son bar et ses projections en plein air au Gro’Village. Un très bon moyen de prendre la température avant le marathon qui m’attend. Déjà de l’autre côté de la Garonne, la chaleur se fait ressentir, émanant d’une masse humaine qu’on arrive à peine à entendre sous la musique. Force est de constater que le public habituel est déjà au rendez-vous, tapant des mains au rythme des percussions du groupe Houba, grand habitué du festival. Tout le cœur se trouve là, entre la décoration typiquement grolandaise et les photos de notre feu président, Christophe Salengro, disparu depuis 2018. Les cinéphiles barjos de tous les horizons, venant parfois uniquement pour le festival, se retrouvent, se prennent dans les bras ou s’embrassent. Les sourires s’échangent puis deviennent contagieux, les gens chantent et renversent déjà leurs verres de bière en riant de tout leur saoul. Cette ouverture est THE place to be, là où le cinéma décalé et engagé prend forme. Remplie à ras bord d’une once d’énergie positive (et non pas de bière, je vous rassure), me voilà fin prête à affronter le reste du festival. 

Jour 2 • Maison Klaus

“Les Fruits de la passion” de Shuji Terayama © Tous droits réservés

Pour commémorer les quarante ans de la disparition du réalisateur nippon surnommé le « Fassbinder japonais », le Fifigrot nous projette la copie 35mm du film Les fruits de la passion (Shuji Terayama, 1981), coproduction franco-japonaise. Probablement pas le plus accessible pour un public néophyte, il fallait s’accrocher pour entrer dans l’univers à la fois onirique et crasseux d’une Chine des années 20 empreinte d’une sexualité perverse et voyeuriste. Raconté sous la forme d’un conte par la voix chaude et rassurante de Georges Wilson, deux univers s’opposent dans cette Chine miséreuse. D’un côté, le rococo de pacotille du bordel, recouvert de couleurs chaudes et brillantes abritant sous son toit des prostitués couvertes d’apparats pour cacher une solitude et une douleur profondément enfouies. De l’autre, les couleurs sépia des rues de la ville jonchées de mendiants et d’ivrognes qui n’attendent plus rien de la vie. L’héroïne du conte, O, va être introduite, au propre comme au figuré, dans cet univers dont elle ne connait rien, par son amant, Sir Stephen, maitre d’un jeu de rôles à la fois cruel et destructeur qui va l’obliger à se prostituer dans cette maison close. Telle une princesse, elle sera enfermée dans une tour et délivrée par un prince charmant voulant sauver la belle de l’emprise psychologique et sentimentale de son geôlier. Quelle meilleure figure que celle de Klaus Kinski pour incarner cet être abominable et libidineux ne souhaitant que la possession en faisant fi des sentiments ? Ayant seulement besoin d’apparaitre ici et là avec son regard bleu acier et son visage émacié incapable d’exprimer la compassion, on ne peut pas vraiment dire qu’il tient là son meilleur rôle, même s’il donne clairement de sa « personne » dans des scènes de sexe visiblement non simulées… Dont une particulièrement savoureuse avec notre Arielle Dombasle nationale. Pour rajouter au surréalisme de la chose, le film nous dévoile des flashbacks métaphoriques, donnant lieu à des scènes saisissantes et inoubliables, comme cette O enfant, coincée entre 4 traits tracés à la craie sur le sol, appelant désespérément son père tandis qu’un petit garçon couvert d’un masque d’oiseau joue avec un cerceau enflammé. Imprimé sur la rétine, ces petits morceaux de vie nous révèlent aussi bien les détails de l’intime que des images crues. Pourtant, sous ses airs profondément egocentriques et sentimentaux, l’histoire personnelle se mêle à l’Histoire tout court sous fond de domination militaire britannique sur le peuple chinois, où finalement, posséder une femme revient à la même chose que posséder un pays.

“La Vie Selon Ann” de Joanna Arnow © Tous droits réservés

Ne pouvant pas recueillir à chaud les réactions du public pour cause de « film dans 10 min à l’autre bout du centre-ville » me voilà enchainant sur La vie selon Ann (Joanna Arnow, 2023), en compétition pour les Amphore (le prix du Festival). Même si l’on change d’époque et de lieu, le thème reste sensiblement le même que le long-métrage précédent, à savoir la soumission psychologique et sexuelle d’une femme complètement dépossédée de sa vie. Cette vie, c’est celle de Ann, trentenaire coincée dans un quotidien qu’elle ne semble jamais chercher à maitriser que ce soit dans sa vie familiale, professionnelle ou amoureuse. Passant de la Chine baroque aux intérieurs froids de New York, nous suivons son quotidien plus que monotone où les scénettes se succèdent sans réel lien ni évolution, les repères chronologiques et géographiques se floutent pour nous permettre de se concentrer uniquement sur des dialogues absolument vides de sens. À l’image d’une routine réaliste, le schéma classique du scénario « Situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution » n’est pas de mise ici pour accentuer la lourdeur et la vacuité de l’existence. Pourtant, sous cette couche de pessimisme se cache une femme qui refuse de se soumettre aux critères de bonheur actuel en cherchant un sens à sa vie ou en s’émancipant à tout prix. La réalisatrice et actrice principale est de tous les plans, brisant tout le conformisme lié au corps – elle dévoile le sien sans pudeur – et à la sexualité. Il faut la voir déguisée en truie sur le toit d’un immeuble en train d’agiter des grelots sous les ordres de son amant. N’importe qui aurait rendu cette scène malsaine mais la nonchalance de Anne apporte un humour bienvenu et décomplexé en marge de tous les films que l’on a l’habitude voir sur les femmes trentenaires du XXIème siècle.

Pratiquement quarante ans séparent ces deux productions traitant toutes deux du corps féminin et ce qui peut lui être infligé. Pour l’un, la question du désir et de la soumission agite les sentiments, pour l’autre les consciences. Une belle évolution qui laisse les femmes avoir un point de vue différent de celui des hommes sur leur propre sexualité.

Jour 3 • Bad Taste

“Duel à Monte Carlo del Norte” de Bill Plympton © Tous droits réservés

Le public est au rendez-vous pour le seul film d’animation en compétition pour les Amphores, Duel à Monte-Carlo del Norte (Bill Plympton, 2023), et le moins qu’on puisse dire c’est que l’audience est surexcitée à l’idée de voir la dernière création du dessinateur satyrique et grinçant qui a toujours su représenter les États-Unis sous ses aspects les moins glorieux. Il revient là justement aux fondements du pays en illustrant la trajectoire d’un pistolero croisant sur sa route solitaire un village de rednecks reculé en proie à une hystérie collective. Il faut dire qu’ils attendent tous les stars d’Hollywood venues tourner un film dans leur petite bourgade si typique. Mais c’est sans compter sur la révolte des pécheurs qui refusent la destruction de leur village et de celle de la vermine de l’enfer qui refuse celle de sa forêt. Si tout cela ne semble pas très cohérent c’est plutôt normal, le rocambolesque scénario va de paire avec les protagonistes grotesques qui en font partie. Le trait si caractéristique de l’animateur dessine les contours et la personnalité de personnages trash qui déambulent dans des situations cartoonesques dont certains gags sont dignes des Tex Avery – se déguiser en vermine femelle pour attirer le monstre de la forêt nous rappelle forcément quelques scènes des dessins animés avec une musique sexy au saxophone. Mélangeant avec brio western, comédie musicale et film de monstres, ce Duel à Monte-Carlo del Norte boursoufflé au mauvais gout assumé délivre pourtant un message poétique sur la beauté de la nature et de la musique.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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