Sweet Sixteen


Pour ses quarante ans, Sweet Sixteen (Jim Sotos, 1983) est édité dans un très beau coffret par Rimini Éditions, comprenant le DVD et le Blu-Ray du film ainsi qu’un livret d’une vingtaine de pages sur sa genèse. L’occasion de revenir sur ce slasher méconnus aux accents nanardesques, né dans le sillage des œuvres de John Carpenter. Des jeunes en chaleur qui se font corriger à coups de couteau, vous en avez vu mille fois ? Pas bien grave, le film du jour ne prétend faire dans l’originalité…

Une adolescente mange une pomme assise dans un parc vert, elle regarde vers nous, dans une moue fermée ; scène du film Sweet sixteen.

© Tous droits réservés

Sweet Melissaaaaaaaaaaaaaa

Quand il sort en 1978, Halloween, La Nuit des masques de John Carpenter inspire tout à coup quantité de producteurs qui voient dans le « sous-genre » slasher, une manière d’offrir des sensations fortes à de jeunes spectateurs se ruant en masse dans les cinémas, tout en ne déboursant que très peu d’argent. Car l’économie d’un film comme celui de Carpenter repose sur peu de dépenses pour beaucoup de bénéfices. C’est ainsi que sont nées des productions comme Le Bal de l’horreur (Paul Lynch, 1980), Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980) et tant d’autres. Des œuvres à la qualité très variable qui ont su surfer sur la vague et la décliner, comme la saga Halloween d’ailleurs, en de (trop) nombreux opus. Mais là où reposait le génie de Carpenter quand il abordait le slasher, c’est dans sa représentation de la menace – Michael Myers – et dans l’épure et l’élégance de sa mise en scène. Concepts que n’ont pas forcément repris à leurs comptes les ersatz qui en ont découlé. Arrive alors Sweet Sixteen, en 1983, qui fait une proposition alléchante aux spectateurs avides de dézinguages d’adolescents neuneus que nous sommes ; dans une petite ville du Texas, où règnent des tensions raciales entre Amérindiens et quelques blancs racistes, Melissa, une jeune fille de presque seize ans qui vient de s’installer avec ses parents, devient l’intérêt principal de tous les jeunes hommes du comté. Sauf qu’après chaque rendez-vous avec un garçon, celui-ci finit trucidé sans qu’elle n’y soit directement pour quelque chose.

Un Amérindien torse nu et aux cheveux longs sert la main de l'acteur Larry Storch sous le regard du shériff tout près d'eux, dans le film Sweet Sixteen de Jim Sotos.

© Tous droits réservés

Un pitch extrêmement classique quoiqu’il se permette une petite lecture sociale de l’Amérique. C’est exécuté avec de gros sabots, mais cela a au moins le mérite d’être relativement pertinent : les Amérindiens ont longtemps eu le droit à de vulgaires représentations dans l’histoire du Cinéma, et voir un petit film sans prétentions s’emparer de ces questions est plutôt bienvenu, surtout lorsque cela sert l’intrigue principale. Non, la simplicité du scénario est surtout contrebalancée par un véritable travail sur l’atmosphère. Quasi intégralement nocturne, le long-métrage profite d’une ambiance très eighties qui se caractérise par sa bande-son, très typique des films post-Halloween avec quelques notes de piano distillées par-ci par-là, et même assez proche de Fog (J. Carpenter, 1980) dans son usage des synthétiseurs. Sans divulgacher un climax qui se voit venir dès la fin du premier acte, le final propose un vrai parti pris en termes d’atmosphère. Sûrement que le temps a apporté une patine agréable à l’ensemble, mais Sweet Sixteen avait, en 1983, de vraies singularités à faire valoir qui font d’ailleurs penser, avec beaucoup moins de maitrise, à It Follows (David Robert Mitchell, 2014). De plus, il est soutenu par un casting de gueules qui donnent beaucoup de cachet au métrage. Bo Hopkins en tête, son visage buriné et sa façon de manger les mots apportent énormément de crédibilité à son personnage. Susan Strasberg, fille de Lee, auguste directeur de l’Actors Studio, campe un personnage tantôt touchant tantôt inquiétant avec beaucoup de talent. Patrick Macnee, héros de la série Chapeau melon et bottes de cuir (Sydney Newman & Leonard White, 1961-1969), incarne le père trouble de Melissa avec une certaine classe. Pour le reste, le casting est composé de jeunes comédien.ne.s qui auraient tout aussi bien pu se faire zigouiller dans Les Griffes de la nuit (Wes Craven, 1984) ou Meurtres à la Saint-Valentin (George Mihalka, 1981). De jeunes actrices et acteurs interchangeables, où surnage Aleisa Shirley dans le rôle de la troublante Melissa, dont ce sera pourtant l’unique fait d’armes. Sa beauté remarquable est au cœur du récit puisque qu’elle est le dénominateur commun de tous ses assassinats. D’ailleurs son personnage, sexualisé à outrance –une ado de quinze ans sous la douche, vraiment ? – répond aux fameux préceptes du slasher : le sexe ou le désir est passible de mort dans un film du genre. Puritan America. Mais dans le cas précis de Sweet Sixteen, cela appuie le propos final d’un film « dénonçant » le mal que font des hommes sur les femmes. Encore fois, c’est traité avec la subtilité des meilleurs épisodes de Julie Lescaut, mais ça a l’avantage d’être abordé !

© Tous droits réservés

Malgré ces quelques qualités, Sweet Sixteen souffre de choix discutables et d’un manque cruel de mise en scène. Jim Sotos, dont la modeste carrière parle pour lui, s’il est aidé par son casting et sa bande-originale, ne sait pas vraiment comment filmer ni monter ce scénario. Les séquences parfois interminables de dialogues sont assez plan-plan et mal cadrées, mais ce sont surtout les scènes de meurtres qui révèlent la supercherie. Déjà avare en mises à mort, Sweet Sixteen devient franchement très paresseux dans sa façon de nous les montrer. C’est bien simple, les quatre meurtres du film sont filmés exactement à l’identique : un plan subjectif s’approchant de la victime, la victime se retourne vers la caméra, un plan sur le couteau, un plan de la victime au sol et… C’est tout. Sotos ne parvient pas – et peut-être ne le cherche-t-il pas – à installer la moindre tension, la moindre sensation de peur. Et c’est bien dommage car c’est bien souvent l’aspect le plus ludique du slasher ! Jouer avec le spectateur, créer une attente, la désamorcer puis surprendre l’auditoire, c’est tout ce qu’on demande bon sang ! Alors c’est vrai que déçus par ces meurtres tout à fait anti-spectaculaires, les spectateurs auront du mal à s’accrocher aux restes d’un film dont l’intérêt se décompose bien vite sitôt qu’on a compris qui est le tueur. L’idée du final n’était pas inintéressante mais trop de fausses pistes finissent par rapidement vendre la mèche. Et encore une fois, tout était une question de dosage et de mise en scène pour que le spectateur puisse être surpris…

Blu-Ray du film Sweet Sixteen proposé par Rimini Editions.Sweet Sixteen, au-delà de ces défauts rédhibitoires et de sa façon archaïque de sexualiser ostensiblement un personnage de seize ans, reste un divertissement plutôt agréable pour peu qu’on le regarde entre amis, en VF, avec une pizza fraîchement décongelée et les bières qui vont avec. C’est un film qui, s’il avait de bonnes idées sur le papier – le propos sur le racisme, sur l’emprise des hommes, une certaine atmosphère, etc. – fleure bon les années 80 et l’étagère nanars de nos vidéoclubs d’antan. Loin, très loin même, du chef-d’œuvre Halloween : La Nuit des masques, mais pas aussi honteux que le lunaire Halloween 6 : La Malédiction de Michael Myers (Joe Chapelle, 1995), Sweet Sixteen est à ranger pile au milieu. Le Bel âge, comme il fut titré un temps en France, est un pur produit de son époque, kitch à souhait et jamais totalement déplaisant ! Il mérite d’être redécouvert par les amateurs du genre à la faveur de cette belle édition Blu-Ray qui bénéficie d’un sérieux travail de restauration des négatifs originaux et d’un très joli master,  le tout accompagné d’un livret dense écrit par le désormais habitué de ces éditions Rimini, l’éminent Marc Toullec. Un beau moyen de redécouvrir en DTS Melissa, une chanson totalement inappropriée de Frank Sparks qui intervient à deux moments clés du long-métrage, et qui vous fera vous demander si vous êtes devant un slasher ou devant Grease (Randal Kleiser, 1978). Sûr que cette chanson vous hantera plus longtemps que le film lui-même !


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.