Elephant Films édite La Ferme de la Terreur (1981) soit l’un des films les plus méconnus de la première partie de carrière de Wes Craven.

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Amishtiville
Si l’on a su ré-évaluer deux des premiers longs-métrages de Wes Craven – La Dernière Maison sur la Gauche (1972) et La Colline à des Yeux (1977) – au regard de sa dense filmographie, les mettre en perspectives, jusqu’à les élever au rang de films cultes, les projets qui suivirent – avant le succès phénoménal des Griffes de la Nuit (1984) – ne rentrèrent pas immédiatement dans les annales et restent, encore aujourd’hui, des objets assez confidentiels. C’est le cas notamment de La Ferme de la Terreur, réalisé en 1981, alors que Craven sort d’un succès non pas en salles mais à la télévision avec L’Eté de la Peur (1978) – qui fut d’ailleurs exploité en salles dans la foulée de son succès télévisuel. C’est donc avec les mêmes producteurs que le cinéaste rempile pour réaliser cette série B.

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Martha Schmidt est mariée depuis un an avec John. Les deux tourtereaux habitent une grande ferme, juste à côté d’un petit village où vit une étrange communauté religieuse, les Hittites – ersatz assumé des Amish – qui vivent comme s’ils étaient encore au 18ème siècle, couper du monde moderne, sans même l’électricité. Très vite, on découvre que John est en réalité un ancien Hittites, bannis de sa communauté parce qu’il s’est entiché de Martha, femme de la ville. Plutôt que de décider d’aller vivre loin de ces individus qui ne leur veulent pas que du bien, le couple est resté vivre dans la demeure de John et doit donc composer avec l’irritabilité de leurs voisins. Ces derniers, prêchent une vie sans tentation, sans désirs, dévoué entièrement à Jésus. Martha prend à leurs yeux, le statut de messagère du diable en personne. Ce qu’il nomme «le succube », comme incarnation suprême du mal, est en réalité une métaphore très claire du mâle lui même. En cela, ce que les Hittites craignent, c’est que la présence de cette femme « libre » libère des pulsions sexuelles qui pourraient dévier les esprits les plus faibles de cette société patriarcale chaste. A la mort de John, sauvagement assassiné, Martha demande à deux copines de lycée (dont l’une des deux est incarnée par une très jeune Sharon Stone) de la rejoindre pour l’épauler dans son deuil. Mais l’arrivée de ces deux femmes va ébranler la société Hittite, plus que jamais persuadé que le succube rôde.

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Si le film ne s’écarte jamais vraiment de ses apparats de série B bénigne, il demeure assez intéressant quand on le met en perspective du reste de l’oeuvre de Wes Craven. En effet, malgré un certain déficit rythmique, un scénario un peu téléphoné voir même parfois capillotracté (une double résolution assez maladroite notamment via une sous-intrigue qui flirt avec le grotesque), La Ferme de la Terreur préfigure dans certaines de ces séquences, les prémices de grands moments de la filmographie du cinéaste. On pense bien sûr à la séquence de la baignoire, durant laquelle un serpent – emblème phallique d’excellence – est ici introduit dans l’eau du bain. Tout dans le découpage chirurgical de cette séquence annonce la scène culte des Griffes de la Nuit, dans lequel le serpent est remplacé par le croque-mitaine lui-même, ce bon vieux Freddy, dont la main gantée et élancée de lame de rasoirs sortaient doucement de l’eau pour se faufiler entre les jambes de l’héroïne. De même, pour les nombreuses séquences oniriques, dont les visions cauchemardesques anticipent quelque peu ce que seront les apparitions de Freddy Krueger trois ans plus tard.
Entre film de secte, home invasion, slasher, forme dérivée du redneck movie et film d’horreur convoquant des figures occultes, La Ferme de la Terreur mange un peu à tous les râteliers et c’est probablement ce qui en fait un film scénaristiquement assez bancal. L’articulation de tous les genres qu’il convoque se faisant parfois aux forceps, le spectateur se retrouve dans la délicate situation de ne jamais vraiment savoir quel genre de film il regarde. Ce qui aurait pu être transformé par Craven en une sorte de tornade hypnotisante et déstabilisante, est mis-en-scène avec une retenue telle que le film peine à pleinement trouver son identité. Et ce n’est pas l’apparition finale assez hallucinante d’un démon phallique surgissant du parquet pour ensevelir l’héroïne aux enfers qui en sauvera la perception générale. Car si cette vision est assez saisissante, voir même impressionnante, elle est si subite et inattendue qu’elle ne peut que faire écarquiller les yeux d’incompréhension, voir déclencher des quintes de rires incontrôlées.
Même s’il ne s’agit clairement pas d’un must-see de la carrière de Craven, on remerciera Elephant Films d’offrir une nouvelle vie à ce film trop peu visible en vidéo, dans une édition blu-ray de bonne facture. Si les suppléments fournis sont peu nombreux, on vous invitera seulement à jeter un œil au court entretien nommé « Let Hittite Be » qui propose quelques éclaircis sur le contexte de production du film et des pistes d’analyses (évidentes) sur la dimension sexuelle du film.
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