Après le film hommage Scream – le cinquième, celui de 2022 – gentiment décevant, voilà que Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett remettent le couvert pour un Scream 6 qui conserve l’œil dans le rétro à défaut d’imaginer l’horreur de demain. Syndrome de l’époque ou démarche sincère ? Il est permis de se poser la question quand l’une des sagas les plus pertinentes dans le commentaire cinéphile se trouve dans une telle impasse…
La Nuit au Musée
Quand Wes Craven et Kevin Williamson se mettent à l’œuvre sur le premier Scream en 1996, ils concrétisent le slasher définitif tant son auto-analyse rend la tâche impossible pour ses successeurs… Dans son sillage, tout une vague d’ersatz s’y sont cassé les dents : Souviens-toi l’été dernier (Jim Gillespie, 1997), Urban Legend (Jamie Blanks, 1998), etc. Il n’y a bien que Scream 2, 3 et 4 (Wes Craven, 1997, 2000, 2011) qui soient parvenus à surnager et à entretenir le feu sacré – oui, oui, même Scream 3, géniale satyre sur Hollywood ! Après le décès de Wes Craven et tous les imbroglios juridiques relatifs à la Miramax et à Harvey Weinstein, la saga est tombée entre les mains des deux compères de Radio Silence. Une promesse et une forme de logique tant leurs productions leur imprimaient la meilleure des cartes de visite : de l’irrévérence, une esthétique et un gout affirmés pour l’horreur old-school, les références qui vont avec et j’en passe ! Oui mais voilà, la broyeuse hollywoodienne étant ce qu’elle est, Bettinelli-Olpin et Gillett n’ont pu livrer qu’un maigre hommage à la saga, faisant mine de s’inscrire dans la tradition screamienne consistant à « un film, un concept développé ». Le premier film parlait du slasher, le second du concept de suite, le troisième du format trilogie et le quatrième du remake, au pic de la tendance dans les années 2010. Alors ce cinquième volet, qui retirait le numéro de son titre à l’instar du Halloween (David Gordon Green, 2018), tentait timidement de parler de soft-reboot et autre elevated horror. Timidement. Car l’intérêt à peine dissimulé se trouvait plutôt dans la résurrection et le fan service avec le retour des anciens, des confins du surnaturel pour certains, et les décors bien connus de Woodsboro.
Alors le succès inespéré du revival inspira ce sixième volet qui retrouve pour l’occasion son numéro de série, accompagné par la promesse du décor new-yorkais, plus « inédit et urbain » (Scream 3, Los Angeles, la grande ville… Personne ne se rappelle de cet épisode ?). Un argument largement repris dans la promo du film et qui rappelait les meilleures heures d’une autre franchise essorée du genre, Vendredi 13. Et puis, libéré des fantômes du passé – Dewey est censé être sous une dalle de granit à Woodsboro tandis que Neve Campbell n’a pas souhaité rempiler – la saga pouvait miser entièrement sur l’une des rares réussites du volet précédent : son jeune casting dont Jenna Ortega est entre temps devenue la star grâce à Mercredi (Alfred Gough & Miles Millar, 2022). Enfin, après un épisode plein de révérences à Craven, les deux jeunes cinéastes pouvaient s’en affranchir pour reprendre la franchise à leur sauce et imposer leur patte. Spoiler : il n’en sera rien. De son cadre new-yorkais, le long-métrage ne profite jamais. Une séquence plutôt réussie en termes de tension dans le métro, une autre séquence dans un drugstore et… C’est tout. Le reste se jouera dans des appartements ou dans des décors génériques et/ou recyclés de Scream 2. Le film ayant été tourné à Montréal, quelques plans larges sur la skyline new-yorkaise, évoquant le logo Miramax, font figure de rappel. Mais à part ça, la révolution tant annoncée devra attendre. De ses personnages aux traumas pas si inintéressants du précédent volet, Scream 6 ne sait pas trop quoi faire. L’arc narratif du personnage de Melissa Barrera est, à la scène près, le même que dans Scream, le côté comic-relief de Jasmin Savoy Brown devient a minima problématique et le retour de Kirby jouée par Hayden Panettiere tombe sévèrement à plat. Le simple geste de la faire revenir masquant à peine le manque de confiance de la Paramount envers son jeune casting. Certains arrivent encore à rendre leurs personnages à tout le moins sympathiques, mais pas de quoi rivaliser avec Sidney Prescott !
Le duo de réalisateurs n’arrive jamais à s’approprier la saga dans la mesure où il ne développe une tension que parcellaire et qu’il tente, encore, à tout prix à coller à l’imagerie développée par Wes Craven. J’en veux pour preuve la pauvre scène citant, pastichant, détournant ou reproduisant, on ne sait plus, le funeste coup de téléphone entre Randy et le tueur, dans le parc universitaire, ici dans un simili Central Park. Et surtout, et c’est là le point le plus parlant : le fameux sanctuaire. Teasé pendant la promotion, c’est un énorme nid à easter eggs où les fans prennent plaisir à trouver tel ou tel artefact dissimulé dans l’un des quatre coins de l’image. Et c’est bien là, dans ce musée, littéralement, que se trouvent les derniers codes méta de la saga. Les antagonistes collectionnent les pièces issues des premiers Scream ou Stab (saga dans la saga) comme on en collectionnerait les goodies. Là où l’écriture de Williamson, dans les premiers films, interrogeait des concepts suffisamment forts pour en extraire des enjeux, des codes et une grammaire, celle de James Vanderbilt (Zodiac (David Fincher, 2007) et…The Amazing Spider-Man (Marc Webb, 2012)…) se contente de ranger chaque accessoire, chaque costume et même chaque personnage – pauvre Gale – comme un conservateur de musée agencerait méticuleusement chaque pièce. Et quand le récit se rappelle qu’il est un Scream et qu’il doit donc dérouler sur un concept, le film, par l’entremise du personnage de Mindy, choisi le temps d’une séquence de nous parler de « franchise ». Ça y est, les personnages appartiendraient à une franchise, donc à eux d’agir en conséquence. Outre le fait que Scream est une franchise depuis 1997 et la sortie du second épisode, les règles, autrefois énoncées par Randy (oncle de Mindy, CQFD), ne valent que pour cette seule scène. Ou alors les auteurs voulaient-ils rapprocher le concept de franchise de licences comme celle du MCU, ce qui pourrait à la rigueur expliquer l’inconséquence dramatique de chaque meurtre, où l’on apprend qu’il est possible de survivre à 76 coups de couteaux sur la poitrine. Car comme chez Marvel, les situations dramatiques sont systématiquement désamorcées par l’humour. Comme chez Marvel, la mort ne veut rien dire. Et comme chez Marvel, il est impossible d’avoir un antagonisme consistant. Si les mobiles des assassins ont toujours été vaguement ridicules, le plaisir résidant dans le petit jeu des assassins pour se cacher des héros, ici on atteint un sommet de niaiserie assez inédit. Et le jeu pied au plancher de tous les comédiens dans le dernier acte, Hayden Panettiere en tête, demeure la meilleure énigme du film !
Reste que quelques aspects de Scream 6 rendent la chose moins indigeste que le cinquième volet. L’introduction, notamment, est plutôt surprenante bien qu’elle ne tienne qu’à moitié ses promesses. Quelques passages de jeux entre Ghostface et ses victimes rappellent (un peu) de bons segments de Scream 2, comme la séquence de l’échelle entre les deux fenêtres. Les personnages restent attachants pour la plupart. Mais une fois le plaisir régressif du fan service passé, la liste des qualités est bien maigre. Depuis Freddy sort de la nuit (1994), Wes Craven adorait se moquer des travers d’Hollywood et ce n’est pas peu dire qu’il aurait sûrement trouver matière à s’amuser d’une époque qui ne célèbre ses vieilles gloires et vieux succès qu’en les glissant dans du formol. C’était déjà la démarche de Scream 3… Je vous ai dit qu’il était bien ce film ?