The Feast


Découvert lors de sa première français au PIFFF en 202 et disponible désormais sur Shadowz, The Feast (Lee Haven Jones, 2021) s’attarde sur la préparation d’un repas au sein d’une famille aisée – mais loin d’être irréprochable – venue s’isoler dans leur maison en pleine lande austère, celle du Pays de Galle. Au milieu de cette intensité toxique, la jeune Cadi (Annes Elwy) est engagée pour faire le service.  Saupoudré de dialogues en gallois, le premier long-métrage de Lee Haven Jones croise ses thématiques folk avec les codes du film d’horreur pour livrer une parabole sociologique : cette fable scandinave nous amène à questionner une appellation récente, l’elevated horror.

Une jeune femme brune vomit dans un saladier, devant la porte ouverte de son frigo plein ; scène de nuit du film The Feast.

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Arty-fice

La maîtrise formelle de The Feast (Lee Haven Jones, 2021) s’appuie sur une identité nordique pour décortiquer la culture scandinave, sans se calquer sur les productions américaines. Via une construction méthodique faite de cadres parfaitement calés, The Feast oscille entre Festen (Thomas Vinterberg, 1998) – son efficacité oppressante – ou un film clinique à la Yorgos Lantimos – le caractère dérangeant combiné à un symbolisme excessif – le tout croisé avec la folk horror contemporaine. De l’éco-horreur en somme… Car si l’on devait dresser son état, on pourrait dire que notre monde est clairement atteint par la grippe et les films d’horreur à teneur écologiste se propagent. The Feast prend d’ailleurs comme toile de fond l’exploitation violente et inconsciente de l’être humain sur son environnement. En l’exemple du personnage de Gwyn (Julian Lewis Jones) ce père de famille businessman se vantant d’avoir chassé deux lapins qui seront dépecés pour le fatidique festin : en clair, par le saccage, on réveille des choses qui s’incarnent en possédant nos maigres carcasses… C’est sûrement ce qui tend à rapprocher The Feast des productions A24, des films d’auteurs adeptes de dérives païennes tel que le récent Lamb (Vladimar Johannsson, 2021).

La comédienne Annes Elwy tient un papillon à bout de doigts, qu'elle regarde d'un air fasciné dans le film The Feast.

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On peut alors se demander ce que ce revival du folk horror peut raconter de nos enjeux actuels. Comme l’a écrit Prof. Thibault dans son texte autour de The Wicker Man (Robin Hardy, 1973), publié dans Mad Movies : “Depuis belle lurette, Dieu agonise et Dame Nature et ses divinités reprennent la tête du peloton. La faute sans doute à une époque opaque, hantée par le spectre d’un effondrement économique et social. Si Dieu ne peut plus nous sauver, le pouvoir des fleurs le pourra peut-être.” Oui, le flower power et les dérives qui l’ont accompagné résonnent tel un mauvais trip sous champignons. Tout ça n’est pas étonnant dans une faillite des absolus, de la religion à la famille, en passant par l’amour filial, comme dans le cas de The Feast. Le folk horror resplendit au cœur d’un choc générationnel, une résistance désespérée face à l’uniformisation de la pensée. Dans La Nuit des maléfices (Piers Haagard, 1971) – dont on trouve des résidus dans Midsommar (Ari Aster, 2019) –  on montrait des jeunes filles-sorcières d’un village en train de comploter dans la forêt pour se débarrasser des aînés. Mais le leurre est de croire qu’il est possible d’être hors du système. Au contraire, il faut le pénétrer – verbe bien senti quand on pense à The Feast – de l’intérieur pour l’épuiser. C’est ce que fait Cadi, une mystérieuse et perturbante jeune femme qui feint d’être une servante faussement musarde, apte à l’obéissance froide tel un zombie. En réalité, elle camoufle une figure féminine subversive et manipulatrice, outil de tentation et de dérèglement. Sa tâche est de faire éclater la perversion d’un monde propret et ostentatoire, de craqueler la surface pour faire jaillir la pourriture et l’organicité puante de névroses bien évidentes – toxicomanie et harceleur sexuel pour la fratrie de la famille. The Feast dessine donc le processus d’auto-destruction d’un système qui met en branle des fondations soi-disantes solides du foyer. En ce sens, le symbolisme de la maison au style froid ultra-contemporain est puissant. “L’architecte a tenu à sourcer les meilleurs matériaux”, précise la matriarche, en rajoutant l’impossibilité de n’utiliser que du local. On apprécie fortement des petits détails poétiques, comme cette plume rouge qui tombe de nulle part dans la salle de méditation de la mère, un huis clos sombre fait de briques noires évoquant une prison urbaine. L’argument folk de The Feast transpire pleinement dans sa troisième partie hystérique et brumeuse : c’est la revanche de l’organique sur le matériel et les relations déshumanisées régies entre domination et soumission, entre proie et prédateur..

Au centre de l'image, au second plan, au bout d'un long couloir qui semble être celui d'un hôtel, une jeune femme brune se tient droite, les bras ballants ; au premier plan, deux femmes blondes, dont nous ne voyons pas le visage, regardent en sa direction ; plan issu du film The Feast.

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Aussi, ce terme de folk horror en résurgence est à mettre en lien avec un autre, moins défendable pour les puristes, qu’est le terme d’elevated horror. Disons-le, des titres comme Les Innocents (Jack Clayton, 1961) ou Possession (Andrej Zulawski, 1981) n’ont pas attendu l’étiquette prétentieuse dune certaine critique pour élever le genre au-delà de ses carcans. The Feast et sa critique du cocon exigeant de la famille parfaite rejoint le propos d’un autre premier film, Ego (Hanna Bergholm, 2022), une fable métaphorique suédoise et finlandaise qui, elle, croise le body horror. Autre point commun – non des moindres – avec The Feast, c’est le label IFC Midnight, une société de production et de distribution indépendante US, considérée comme une référence dans le divertissement de genre actuel. A la croisée d’A24 et du high concept low budget de Blumhouse, IFC propose des séries B qui en ont dans le bide, divertissantes et non dénuées d’ambition. Pour vous faire une idée, leur catalogue contient Possessor (Brandon Cronenberg, 2021), Relic (Natalie Erika James, 2020) The Djinn (David Charbonnier, Justin Powell, 2021), Hunter Hunter (Shawn Linden, 2020) ou encore The Wolf of Snow Hollow (Jim Cummings, 2020 ). De son côté, The Feast affiche derrière sa patine arty une prétention claire de film d’auteur qui n’a pas peur de choquer par la violence et le sexe. Son style minimaliste ne s’adresse pourtant pas complètement au fan de fantastique mais son esthétique étrange n’en fait clairement pas un produit art et essai. Moins pompeux qu’il n’y paraît, ses images une intro tout en puit de pétrole, des champignons colorés, une jambe gangrenée, un bout de verre bien placé nous restent en tête bien après la séance. En nous invitant à débattre de ce qui se passe sous nos fenêtres, l’aspect purgatif de The Feast se propage insidieusement dans notre corps…


A propos de Axel Millieroux

Gamin, Axel envisageait une carrière en tant que sosie de Bruce Lee. Mais l’horreur l’a contaminé. A jamais, il restera traumatisé par la petite fille flottant au-dessus d'un lit et crachant du vomi vert. Grand dévoreur d’objets filmiques violents, trash et tordus - avec un net penchant pour le survival et le giallo - il envisage sérieusement un traitement Ludovico. Mais dans ses bonnes phases, Il est également un fanatique de Tarantino, de Scorsese et tout récemment de Lynch. Quant aux vapeurs psychédéliques d’Apocalypse Now, elles ne le lâcheront plus. Sinon, il compte bientôt se greffer un micro à la place des mains. Et le bruit court qu’il est le seul à avoir survécu aux Cénobites.

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