Lamb


D’abord passé par Un Certain Regard cette année à Cannes, avant de désormais rejoindre la Compétition de l’Étrange Festival, les promesses en matière de folk-horror entourant Lamb l’avait placé en tête de liste de nos plus grosses attentes d’autant plus que l’on a tendance à apprécier les œuvres distribuées par le studio A24. Hélas, malgré l’inspiration des légendes islandaises qui nimbe son récit et la présence intrigante de Noomi Rapace, ce premier film de Valdimar Jóhannsson déçoit par sa fadeur, la schizophrénie de son écriture et la pose de sa mise en scène.

Une femme pose sa joue contre le museau d'une brebis portant une couronne de fleurs sur le crâne ; scène du film Lamb.

© A24

Agneaux amours

Contre toute attente, la principale source d’effroi dans Lamb (Valdimar Jóhannsson, 2021) n’est pas tant à chercher du côté du folklore islandais ou des dissimulations d’éléments fantastiques. La « vraie horreur » du long-métrage s’incarne dans sa forme la plus simple, la plus primale : quand, loin de tout surnaturel, Jóhannsson filme simplement des moutons. La mise en scène du cinéaste trouve sa force lorsqu’elle s’attarde sur les bêtes, matière première de son histoire, inconscientes face à la cruauté de leur environnement ou à l’inverse tremblantes, tétanisées, grouillantes et fuyardes. À ces comportements s’ajoute une angoisse formelle. Le temps de quelques moments suspendus, la caméra s’arrête sur l’inquiétante étrangeté des pupilles rectangulaires des animaux, dont on sait depuis The Witch (Robert Eggers, 2016) — et même avant, tant c’est un poncif — tout l’effroi que peut dégager cette vision singulière. Et si, comme le veut l’adage “les yeux sont les fenêtres de l’âme”, alors ceux des bêtes de Lamb portent en eux le meilleur de l’anxiété et du paranormal que le récit cherche ici à offrir.

Vus de dos, une femme portant un fusil de chasse dans une main, tient un enfant de l'autre ; tous deux marchent dans une grande vallée verte ; scène du film Lamb.

© A24

En dépit de ce versant animalier, maitrisé, mais néanmoins parfois anecdotique, Lamb ne parvient pas à élever ses ambitions horrifiques comme folkloriques, faute d’un scénario et d’une mise en scène déséquilibrés. Après une ouverture efficace, où les bêlements sont des appels à l’aide de brebis apeurées par une présence, le film déroule le quotidien aphone d’un couple formé par María et Ingvar. Un silence si lourd qu’il est alors aisé de déceler que leur mutisme cache un traumatisme intime. Plus tard, le couple trouve lors de l’entretien journalier de ses moutons, une étrange créature, encore cachée par le cinéaste. Un miracle ? Une chose est sûre : celle-ci sera désormais leur progéniture. Élevée en marge, ne serait-ce que par leur isolement géographique, cette créature répondant au nom d’Ada n’est pas dissimulée bien longtemps aux yeux des spectateurs. Là où d’autres cinéastes auraient pu faire le choix du hors-champs pour aiguiser l’imagination, Jóhannsson révèle très vite — trop vite ? — Ada : une créature mi-enfant, mi-agneau. Et maintenant que la bête est dévoilée, que raconter ?

Une femme tient un fusil de chasse dans les mains, le canon baissée, au coeur d'un brouillard, le regard perdu vers le sol ; plan issu du film Lamb.

© A24

Lamb opère alors sa métamorphose, versant vers une forme de schizophrénie. Le quotidien de cette charmante famille est désormais le cœur du récit, un train-train bien huilé qui va être mis à mal par l’arrivée inopportune de Pétur, le frère d’Ingvar. Sa découverte, pantois, de sa « nièce », va ainsi faire muer le récit vers la comédie et virer clairement de cap, quitte à se perdre. Car si le long-métrage se veut à la fois effrayant et cocasse, le mélange des genres qu’il nous propose, attrayant sur le papier, peine à s’incarner tant Jóhannsson noie son scénario d’éléments clichés ou convenus. Le récit est d’abord entravé par une mise en scène contemplative, qui fait la part belle aux paysages brumeux islandais. Mais ces plans topographiques ne semblent être guère plus que des plans de coupes, alourdissant le rythme du film, à tel point qu’ils semblent davantage “meubler” plus qu’ils ne servent à construire une ambiance. La vision de Lamb donne la sensation d’assister à une œuvre malade, affaiblie par l’équilibre instable de ses intentions qui tendent à se contredire, voire s’annuler : le cinéaste semble d’abord vouloir susciter du mystère puis finalement ne peut s’empêcher de tout nous montrer frontalement. De même, si l’on sent poindre le désir de mettre en place une ambiance anxiogène, atmosphérique et minimaliste, l’irruption d’une certaine légèreté vient finalement tout faire imploser. C’est d’autant plus branlant que Lamb n’entremêle pas tant que cela ses différents éléments, mais se contente surtout de les aligner, dans un ordre très séquencé… En résulte un film maussade, en dépit des interprétations inspirées du couple Noomi Rapace et Hilmir Snær Guðnason, qui n’effraie pas, n’attendrit pas, et finit par se dérouler sans surprises.


A propos de Pierre Nicolas

Cinéphile particulièrement porté sur les cinémas d'horreur, d'animation et les thrillers en tout genre. Si on s'en tient à son mémoire il serait spécialiste des films de super-héros, mais ce serait bien réducteur. Il prend autant de plaisir devant des films de Douglas Sirk que devant Jojo's Bizarre Adventure. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZUd2

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