Gremlins


Pour terminer en beauté notre calendrier de l’avent riche de vingt-quatre films qui font pas genre, il fallait finir en fanfare : quoi de mieux alors que de revenir sur Gremlins (Joe Dante, 1984) ?

Un petit mogwaï fait du synthétiseur, avec un bonnet du Père Noël sur la tête dans la e film Gremlins.

© Warner Bros

Santa Caca

Ecrire quelques bafouilles au sujet d’un film qui vous est cher au point que vous le considérez sans aucun doute comme celui que vous emmèneriez sur une île déserte ne s’aborde pas sereinement. Encore moins, quand il a été écrit à peu près tout, en long et en large, sur le long-métrage en question. Il faut un prétexte suffisamment engageant pour simplement oser s’y frotter, oser aussi de prendre le risque de n’écrire qu’en surface et jamais à la hauteur de ses espérances. Car oui, s’aventurer à poser des mots (nos mots) sur une œuvre avec laquelle on a fait fondations d’une personnalité, d’une passion, c’est très certainement accepter que les mots choisis ne seront tout bonnement jamais pleinement les bons. Nous avons tous et toutes, avec un ou plusieurs films, se rapport quasi charnel, au sens où il fait corps avec nous, tant il a été constitutif, a opéré un virage, une ouverture, un déclic. C’est mon cas avec Gremlins (Joe Dante, 1984). J’en avais déjà parlé il y a quelques années entre les lignes d’un article intitulé Ce cinéma qui n’existe plus, ce long-métrage produit par Steven Spielberg et réalisé par Joe Dante représente pour moi toute la quintessence d’un cinéma populaire américain qu’on qualifiait alors dans ledit article de cinéma d’horreur familial et qui, à l’époque de la publication de ce texte – en 2012, c’est qu’on se fait vieux – nous semblait porté disparu. Nous regrettions sa disparition en cela qu’il nous avait constitué et qu’il nous semblait dommageable que les jeunes générations suivantes n’aient pas accès à ce cinéma populaire de synthèse, puisque non excluant. Depuis, le revival d’un certain vintage hommage aux années 80 et 90 – lire notre article Hollywood doit-il arrêter de regarder dans le rétro ? – a quelque peu redoré les codes de ce cinéma-là, qui proposait, nous le disions « de parler aux enfants comme à des adultes, et aux adultes comme à des enfants. ». Si Gremlins est vraiment à mon sens l’œuvre emblématique de cette époque, c’est qu’à l’intérieur même du récit, et sur plusieurs niveaux de lectures, il est conçu sur cette approche en contre-points, et sur un art d’équilibriste : celui d’assembler des contraires.

Plan d'ensemble sur la ville du film Les Gremlins, vue de nuit, sous la neige, avec une pleine lune.

© Warner Bros

On l’a souvent lu – et c’est certainement parce qu’il n’y a rien de plus vrai – ce qu’il y a de fascinant quand on approche l’analyse du film et qu’on le contextualise au regard de la filmographie de son géniteur, c’est qu’on a la sensation qu’en plus d’être certainement son travail le plus emblématique – bien que sa suite, en soit, porte encore plus l’ADN du génie punk de Dante – Gremlins est aussi un long-métrage fascinant dans ce qu’il a d’autobiographique. Pour peut-être préciser cette pensée, il faut rappeler la genèse du projet. Steven Spielberg qui s’est imposé depuis E.T L’Extraterrestre (1982) comme le maître des films de genres grand public, cherche aux débuts des années 1980 à produire d’autres cinéastes et à donner la chance à de jeunes scénaristes, via sa société de production Amblin Entertainment. Il jette son dévolu sur Joe Dante, qu’il extrait alors de la production de série B – notamment pour Roger Corman – pour le catapulter dans le monde impitoyable d’Hollywood. Si Spielberg choisit Dante, ce n’est pas sans raison : il suit de près le travail du cinéaste, notamment après avoir été forcé de jeter un œil sur Piranhas (1978) accusé pénalement d’être un plagiat des Dents de la Mer (1974). Alors qu’Universal entend intenter un procès à Corman et Dante, Spielberg les en dissuade, se disant impressionner par l’inventivité parodique du film. Il se dira encore plus impressionné par la mise en scène et les effets-spéciaux de Hurlements (1981). C’est donc tout naturellement qu’il envisagea de proposer la réalisation de ce petit film d’horreur qu’était Gremlins à Joe Dante. Au début du traitement, le scénario de Chris Columbus – un autre jeune cinéaste qui fera les bonnes heures des décennies 80-90 à Hollywood – est volontairement plus macabre et violent. C’est un film d’horreur assumé, volontiers gore. Mais Spielberg y voit la possibilité d’en faire une production plus populaire et surtout plus familiale. Il émet l’idée que Guizmo doit rester « gentil » tout au long du récit et être la caution mignonnerie et merchandising du film. Dante obtempère, non sans arrière-pensée. Il reconnaît dès la phase de pré-design des créatures qu’elles ont un potentiel comique assuré. En adorateur des cartoons de Chuck Jones et de Tex Avery, il voit dans l’humour qui se dégagera de ces affreuses créatures ricanantes, la possibilité de faire glisser le film vers un ton plus satirique qu’horrifique. On reconnaît bien là toute sa malice, celle-là même qui le caractérisera à Hollywood, à tel point qu’on le surnommera le Gremlins d’Hollywood. Car s’il y a bien quelque chose qui caractérise les films hollywoodiens de Joe Dante, c’est leur proportion à s’amuser avec les codes des genres et de représentations, à envoyer constamment valser les conventions, à essayer de perpétuellement faire dévier les récits de leurs rouages bien huilés.

Quatre Gremlins méchants chantent des chants de Noël, lisant la partition ; ils sont dans un jardin enneigé, derrière eux, une clôture en bois.

© Warner Bros

Puisqu’il s’agit du prétexte qui nous amène à vous en parler aujourd’hui, il faut peut-être commencer par aborder le long-métrage par le prisme des genres. Le plus évident pour le qualifier est celui de film de noël. Il est vrai que l’intrigue se déroule durant les fêtes et que son décorum – sapins, guirlandes, petits chanteurs, magasins de jouets – constitue le socle narratif du scénario de Chris Columbus. Pourtant, toute la malice de Joe Dante est d’en faire au final un anti-film de Noël, résolument punk, faisant, au passage, voler en éclat les atours lisses et naïfs de l’Amérique puritaine citadine. Pour incarner ce virage, le cinéaste peut s’appuyer sur une béquille scénaristique – et pas des moindres tant elle est riche en sens et en interprétation. Gremlins débute ainsi comme un conte candide : un père désireux d’offrir un cadeau original à son fils met la main sur un Mogwaï, une mignonne créature exotique, nommée Guizmo. Ce même paternel, inventeur raté, voit dans cette créature une manne financière évidente car « tous les petits américains en voudront un », et comme si ses mots étaient une formule magique, son vœu s’exauce, le mogwaï se multiplie pendant la nuit, façon tirage en série. Par cet habile tour de passe-passe scénaristique Dante et Columbus posent les bases de leur histoire. Les doigts dans les rouages du mode de vie américain, critiquant métaphoriquement le merchandising et ses affres, jusqu’à un point de non-retour : les petits mogwaï tout mignons finissent par devenir d’incontrôlables créatures mutantes, bêtes et méchantes. Le petit conte de Noël vire alors au cauchemar, et le récit, bifurque subitement d’un genre à l’autre, du film de Noël, au film d’horreur, par l’entremet des Gremlins eux-mêmes.

Un labrador est coincé dans une guirlande autour d'un poteau blanc ; scène du film Les Gremlins.

© Warner Bros

Et de long en large, c’est tout le programme de Gremlins. Ces affreux gnomes vulgaires et destructeurs débarquent dans New York et sa banlieue pour faire voler en éclats la magie de noël et les bonnes vieilles valeurs américaines. A leur contact, un sapin de noël devient meurtrier et une guirlande, un outil de torture ; un magasin de jouets se mue en usine à cauchemar ; et même les chanteurs de comptines sont tournés au ridicule grimés en petits lutins aux chants nasillards. Il n’y a pas que l’esprit de Noël que Dante et ses bébêtes entendent pirater, le cinéaste ne manquant pas une occasion pour faire vriller son récit programmatique de comédie familiale vers l’outrance  : d’une séquence chaotique dans un cinéma jouant Blanche Neige et les sept nains (Walt Disney, 1937) à une scène de bar dantesque dans laquelle les Gremlins s’adonnent à tous les plaisirs prohibés aux enfants – alcool, tabac, séduction – tout est oxymores dans ce film qui ne refuse aucun pas de côté. Et c’est précisément de cette tension explosive entre tous ces contraires que Dante parvint à créer le mètre étalon de la comédie d’horreur familiale. Un cinéma de sale gosse, porté par un plaisir de la démolition de tout le monde et de toute chose – la société de consommation et ses emblèmes de progrès (four micro-onde, robot mixeur, télévision) sont détournés en armes – un esprit saccageur et ricaneur que l’on retrouvera notamment dans Maman, j’ai raté l’avion ! (Chris Columbus, 1990), Mars Attacks ! (Tim Burton, 1996) ou Small Soldiers (1998) du même Joe Dante. On a beau constater l’appétit retrouvé pour ses vieux codes, guidé au fumet du vintage de l’époque, difficile de trouver autant d’irrévérence dans le Hollywood d’aujourd’hui qui à tendance à nous refaire ces vieilles recettes en oubliant l’ingrédient principal : les épices.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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