The Dirties 1


Remarqué à Slamdance – qui est au Festival de Sundance ce qu’est la Quinzaine des Réalisateurs est au Festival de Cannes – ce premier film tourné en found footage est l’une des plus grosses claques de mon année de cinéphile. Vu en avant-première au Festival International du Film d’Amiens et n’ayant toujours pas de date de sortie française annoncée, nous vous en livrons une critique en exclusivité. Croyez moi, on en reparlera de The Dirties.

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Hufflepuff style

Au risque de se répéter, dans la maison, on a jamais été très tendres avec la production de bas-étage du found footage qui inonde le cinéma de genre depuis Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sánchez, 1999). Tout juste avons nous été un poil séduits par The Bay (Barry Levinson, 2012) puis plus récemment par Catacombes (John Erick Dowdle, 2014) mais on ne fâchera pas grand-monde en disant que la grande majorité de la production de ce nouveau sous-genre durant les dix ou vingt dernières années forme quand même un bon gros paquet de merdes. Alors bien sûr, quand cette méthode de filmage est utilisée à bon escient, on est d’emblée un peu plus gentils avec le film. Je vous arrête tout de suite néanmoins, je ne vous autorise pas à nous accuser de surestimer The Dirties sur le simple argument qu’il s’agisse d’un film de found footage à peu près potable.

Le film est réalisé par Matt Johnson, un petit nom qui ne vous dit pas grand-chose mais qui va vite devenir grand. Le gus s’apprête à sortir un deuxième film, Opération Avalanche, pour le studio Lionsgate dans la lignée de Zelig (1983, Woody Allen) et Forrest Gump (1994, Robert Zemeckis) – où lui et son camarade de jeuthe-dirties-matt-johnson-interview-05, Owen Williams, déjà présent au casting de The Dirties, s’incrustent dans des images d’archives – et serait sur le point de commencer le tournage de Encyclopedia Brown, l’adaptation d’une série de livres pour enfants ayant beaucoup de succès aux Etats-Unis, pour la Warner Bros ! Mais revenons à nos moutons, si vous le voulez bien.

The Dirties raconte l’histoire de deux jeunes étudiants en cinéma qui décident de se venger d’un gang qui les martyrise dans leur lycée et qui se fait appeler les Dirties. Pour cela, ils décident de réaliser un film dans lequel ils mettent en scène leur vengeance. En clair, imaginez que les Poufsouffle décident de tourner un film pour se venger du joug des Serpentard. L’incroyable efficacité du long-métrage c’est qu’il serpente entre le found footage classique – la caméra gigote dans tous les sens et on s’adresse au caméraman pour faire croire que les images sont réelles – et le méta-film. En effet, à plusieurs moments, le tournage du film The Dirties que tourne les jeunes, se confond avec le vrai film The Dirties que l’on est en train de voir, le second devenant presque un faux making-of du premier. On assiste même au montage et trucages des séquences que l’on vient précédemment de voir tournées. L’illusion est parfaite, et l’émotion fonctionne immédiatement, puisqu’elle s’accapare assez vite la force du pacte documentaire si bien qu’on ne se pose plus vraiment la question de savoir si ce que l’on voit est vrai ou non. Dès lors, on rit beaucoup, car les deux protagonistes interprétés par le réalisateur lui-même et son acolyte précédemment cité s’amusent comme des Capture d’écran 2014-12-18 à 00.49.26petits fous à réaliser leur film. L’attachement à ces deux losers est tel qu’ils arrivent sans mal à nous embarquer dans un fou rire lors d’une séance de bruitage… En caleçon.

Étonnant en tout point, le film réussit son tour de force en donnant à ses anti-héros – des outsiders en quête de reconnaissance – une vraie stature de mecs cool, bien que bizarres. Je ne pourrais vous dire si Matt Johnson singe Quentin Tarantino par amusement, où s’il appartient aussi dans la vraie vie à la même espèce de cinéphile complètement dingues dont chaque évocation du cinéma se transforme en diatribe mouvementée. Quoi qu’il en soit, il y a en tout cas chez son personnage cette même fougue qui transpire le plaisir de faire du cinéma et d’en parler. Blindé de références à la culture populaire, le film ne se prive d’ailleurs pas de revisiter au détour d’une scène clin-d’œil hilarante la fameuse séquence de Pulp Fiction (1992, Quentin Tarantino) où les héros s’adonnent à un débat philosophique sur l’importance du massage de pieds.

Plus encore, The Dirties assume sa parenté directe avec le Elephant de Gus Van Sant tout en livrant une version alternative qui pourrait être basée sur les vidéos des deux étudiants, Eric Harris et Dylan Klebold, qui ont commis la tristement célèbre fusillade du lycée de Columbine en 1999. A l’époque des faits, de nombreuses vidéos privées des deux jeunes hommes, tournées dans l’enceinte de leur lycée ou ailleurs, avaient largement été diffusées. Elles dressaient des portraits complexes de jeunes se filmant dans leurs délires d’adolescents, ou dans des camps de tir où ils peaufinaient leur entraînement. Plus que de Elephant – dont il s’amuse tout de même à faire une petite citation au passage en habillant l’un de ses héros du fameux tee-shirt jaune fluo orné d’un taureau noir – c’est plutôt de l’imagerie collective de ces vidéos YouTube postées avant ce type de tueries que Matt Johnson s’empare pour créer le style et la profondeur de The Dirties. Car oui, vous l’aurez compris j’imagine – et sinon, attention aux spoilers – très vite, sous l’impulsion d’un des deux compères – le personnage joué par Capture d’écran 2014-12-18 à 00.49.43Matt Johnson lui même – le simple film va empiéter sur la réalité. L’ultime tournage consistera en une flopée de caméra GoPro clairsemées dans les couloirs et qui saisiront par bribes, l’insoutenable vengeance finale. Dès lors, le sympathique film de potes tourne au brûlot politique. Les images nouent l’estomac, l’ultra-réalisme du film nous saute à la gueule et le long-métrage après nous avoir fait rire pendant une heure vingt, finit par nous questionner.

De son propre aveu, Matt Johnson n’a pas voulu dénoncer l’influence violente que peuvent avoir certains films sur les adolescents, bien au contraire, il voulait participer au débat en se positionnant du côté des jeunes, et en essayant de les comprendre. Gus Van Sant dans Elephant – l’un de mes films préférés ever, entendons-nous bien – cherchait plutôt à exposer diverses propositions de réponses, et l’influence néfaste des jeux vidéos et des films en était une, entre beaucoup d’autres. Avec The Dirties, Matt Johnson choisit davantage le point de vue des futurs assassins, les montre tels qu’ils sont – des jeunes adolescents un peu paumés, passionnés, qui cherchent des repères et des manières de s’exprimer – et tels qu’ils peuvent devenir à force de mépris, de violence et de déconsidération. Plus que le portrait d’une jeunesse violente et désaxée, The Dirties dresse celui d’une jeunesse en totale perte de repères, élevée dans un monde gouverné par la toute puissance de la représentation, et dont la sortie de route, quand elle arrive, peut être redoutable.

MAJ du 27/09/2017


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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