La Ville Captive


Au sein d’une filmographie ponctuée par tant de chefs-d’œuvre indémodables, Robert Wise aura disséminé quelques petites pépites moins connues mais tout aussi percutantes. C’est le cas du film qui nous intéresse aujourd’hui, La Ville captive, sorti en 1952, et qui s’inscrit dans un versent résolument réaliste de son œuvre… La sortie d’une belle édition concoctée par Rimini permet de (re)découvrir ce joli film noir.

Un homme descend un petit escalier, de nuit, sous une enseigne Café Bar dans le film noir La ville captive.

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Sin City

Plan rapproché-épaulé sur deux hommes en costume et chapeau, en noir et blanc, dans les années 40 : celui au premier plan regarde devant lui, l'air soucieux ; à côté de lui, au second plan, un homme plus âgé qui semble lui donner des conseils ; plan issu du film La ville captive.

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De Robert Wise, on retient souvent Le Jour où la Terre s’arrêta (1951), West Side Story (1961), La Maison du Diable (1963), La Mélodie du bonheur (1965) ou pourquoi pas Star Trek, Le Film (1979), soit ses plus grands succès et œuvres incontournables. Dans une carrière cinématographique s’étalant de 1939 à 2000, et avec plus de quarante réalisations au compteur allant du film noir au western en passant par le péplum ou la comédie musicale, se concentrer sur ces phares serait passer à côté d’innombrables travaux méconnus mais tout autant passionnants. La Ville captive est l’un de ces longs-métrages, tourné dans la foulée du Jour où la Terre s’arrêta, le manifeste pacifiste de science-fiction de son réalisateur. À des années-lumière des considérations esthétiques et de genre des aventures de Klaatu, Wise prend le contrepied réaliste, quasi documentaire dans son approche narrative et visuelle, s’inspirant d’une histoire vraie. Jim Austin, rédacteur d’un petit journal local, se réfugie dans un commissariat avec son épouse et commence à raconter l’affaire qui semble l’avoir mis dans une mauvaise posture. En effet, ce modeste journaliste a découvert que la petite ville où il vit est embourbée dans la corruption mêlant la police, la mairie, et les bookmakers à la mafia. Sa découverte ira de surprises en surprises et de désillusions en désillusions. La Ville Captive est scénarisé par Alvin M. Josephy Jr. qui était alors journaliste au Times et qui reprend là les grandes lignes du combat anti-mafia mené par le sénateur démocrate Estes Kefauver qui apparaît d’ailleurs dans les dernières secondes du film, brouillant d’autant plus la frontière entre fiction et réalité afin d’asséner une morale aux spectateurs qui ne l’auraient pas compris avant.

Jim Austin et son épouse face à un policier dans un commissariat, alertes et en sueur, tenant un journal dans les mains, dans le film La ville captive.

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C’est bien là le seul reproche que l’on peut faire à La Ville captive : être parfois trop didactique dans sa démonstration. Le film s’ouvre sur quelques mots donnant l’intention de son réalisateur et se conclut sur la même façon un poil trop insistante de prendre le spectateur par la main. Le mal s’insinue partout du moment que les gens acceptent de fermer les yeux, c’est tout le propos mais son illustration est plus séduisante lorsque l’on suit Jim Austin, formidablement interprété par John Forsythe, dans sa quête de vérité que quand le film insiste trop sur le dit message. En revanche, le long-métrage a pour lui de nombreuses qualités qui font largement oublier ce léger sentiment d’agacement, à commencer par sa photographie. Signée Lee Garmes, qui a officié chez Howard Hawks, Alfred Hitchcock ou William Wyler, elle offre un noir et blanc de toute beauté où alternent les passages intérieurs à l’éclairage exagérément travaillé à ceux plus naturalistes et dépouillés des extérieurs. Dans les deux cas, elle offre une grande profondeur de champ qui décuple le sentiment que la menace se trouve partout, à chaque coin de l’image… Car si le film joue la carte du cinéma réaliste – notamment dans son approche du métier de journaliste avec immersion dans une rédaction – il ne tarde pas à devenir un pur film d’angoisse où chaque habitant, chaque administré de cette petite ville gangrénée peut s’avérer être une menace. Cela rapproche La Ville captive d’un autre grand film paranoïaque des années 50, L’Invasion des profanateurs de sépultures (Don Siegel – qui a aussi réalisé des films noirs par ailleurs – 1956). Comme dans ce classique de la science-fiction qui reprendra cette structure narrative, un héros est confronté au reste de la ville qui devient peu à peu possédé par un mal étrange. Quand dans le travail de Siegel il s’agit d’extra-terrestres, dans celui de Wise il est question de corrompus, mais au final, le résultat est le même : la déshumanisation.

Blu-Ray du film La ville captive proposé par Rimini Editions.Et c’est en cela que La Ville captive s’inscrit en toute logique dans la filmographie de Robert Wise, lui qui n’a jamais caché dans ses réalisations un message obstinément humaniste que ce soit dans Le Jour où la Terre s’arrêta ou dans West Side Story de par son traitement des minorités. En revenant à un cinéma plus proche formellement de son Nous avons gagné ce soir (1949), le cinéaste étale son obsession de l’illusion que constitue le rêve américain, qu’il n’aura eu de cesse de décliner sous toutes les formes, dans tous les genres. Le journaliste de Positif, Jacques Demange, revient d’ailleurs sur la place de La Ville captive dans la riche filmographie de Wise, dans le seul bonus que comporte la belle édition signée Rimini qui nous intéresse aujourd’hui. Si elle n’est pas très garnie niveau bonus, cette galette est très soignée techniquement car on devine aisément que le travail de restauration a dû se faire à partir de sources pas toujours bien préservées, comme en témoignent les instabilités de l’image et les quelques rayures encore bien visibles. Pour autant, l’image bénéficie d’un éclat formidable restituant à merveille le beau travail visuel évoqué plutôt. Le son, quant à lui, est limité à une piste mono qui n’impressionne pas forcément par sa clarté, mais on pourra arguer que cela fait partie du charme du visionnage d’un vieux film ! Pour un long-métrage qui aura longtemps été invisible car peu édité en DVD, nous ne bouderons pas notre plaisir : Rimini Editions fait encore un très joli travail de préservation du cinéma à vocation patrimoniale. La Ville captive, s’il reste une production mineure dans l’œuvre de Wise, porte en elle les prémices d’un genre, le thriller paranoïaque, qui trouvera son apothéose avec les cinémas d’Alan J. Pakula, de Sidney Lumet et de Sydney Pollack, vingt ans plus tard.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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