[Carnet de Bord] Grindhouse Paradise • Jours 3 & 4


Parce que mes explorations dans le paradis du genre ne trouvent pas de repos, me voici prête à découvrir de nouveaux spécimens parfois à fourrure, possiblement purulents, souvent indéterminés venant du froid, du désert, parfois du passé voire même de l’espace. Suite et fin de mon compte rendu du Grindhouse Paradise 2024 de Toulouse.

L'affiche du festival Grindhouse Paradise 2024 projetée sur l'écran du cinéma American Cinematograph à Toulouse.

© Charlotte Viala

Jour 3 : Je t’aime moi non plus

Le héros de The Seeding, projeté au Grindhouse Paradise, hurle vers les sommets des montagnes rocheuses, auxquelles il est accrochée en rappel.

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La matinée pluvieuse n’a visiblement pas arrêté le public du festival prêt à entamer sa journée sous le soleil ardent de The Seeding (Barnaby Clay, 2023) en compagnie de Aurélien Zimmermann, programmateur de la plate-forme Shadowz venu présenter ce survival caniculaire. Wyndham, un photographe venu immortaliser l’éclipse solaire dans le désert, se retrouve piégé dans un ravin par des adolescents cinglés en compagnie d’une femme énigmatique. Les références graphiques sont évidentes : des images oniriques nocturnes dignes de Razobarck (Russel Mulcahy, 1985) aux gros plans sur de la nourriture pourrissante empestant autant que dans Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) ou cette bande redneck tortionnaires s’inspirant beaucoup de la famille dégénérée de La colline a des yeux (Wes Craven, 1977). Pourtant, cette image granuleuse et poisseuse est au service d’une histoire bien loin des thèmes de ces exemples issus du cinéma d’exploitation. Suivant le quotidien assommant de Wyndham en compagnie d’une femme qui semble avoir accepté cette routine infernale, le spectateur ne comprend pas vraiment où le réalisateur l’embarque. D’un survival énervé dans lequel le photographe désœuvré tente de sortir de ce ravin par tous les moyens, nous assistons petit à petit à sa défaite psychologique, sombrant peu à peu vers la résignation… Ou la folie. Cette prison personnifiée par le ravin infranchissable l’enferme de plus en plus dans cette vie de couple qu’il ne souhaitait pas au départ, jusqu’à ce que le ventre de sa compagne non désirée s’arrondisse. Cette métaphore de la parentalité n’en est que plus évidente lorsque l’on sait que le réalisateur a écrit ce film en pleine angoisse de sa future paternité. Enfermant ses deux personnages moralement et physiquement dans des cases qu’ils ne peuvent franchir, Barnaby Clay nous offre une vision de la vie sombre et fataliste, où seuls les enfants, cruels et décisionnaires, demeurent libres.

Un peu assommée par le discours résigné du réalisateur Américain sur la vie à deux, j’étais plus que disposée à m’installer bien confortablement devant une comédie romantique lumineuse et pleine de bons sentiments. Merci au festival pour ce petit interlude réconfortant avec Molli and Max in the future (Michael Lukk Litwak, 2023), comédie romantique SF qui voit Molli et Max, deux humains parcourant l’espace, se croiser, se séparer, se recroiser, rester amis, réfléchir, se séparer, revenir… Leurs introspections intimes et leurs expériences diverses finiront bien sûr par les convaincre qu’ils sont faits l’un pour l’autre malgré leurs différences. Mais il faudra d’abord en passer par la secte de Moebius, une carrière de combattant de mecha, des élections farfelues et une épidémie interplanétaire. Difficile de résumer un film qui file à la vitesse de la lumière, très bavard visuellement et verbalement, débitant plus ou moins 50 blagues à la minute très efficaces sur un public hilare pendant toute la durée de la projection. Cette effusion d’idées excentriques jaillit tout droit de l’esprit d’un réalisateur qui a passé tout son confinement à revoir ses classiques préférés, de Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, 1989) à Star Wars. Fan de la série Futurama et de Rick et Morty, il injecte un peu de cet humour absurde dans un monde futuriste à la fois flashy et artisanal, rempli de maquettes de vaisseaux, de robots et de maquillages en dur. Malgré cet aspect visuel outrancier et fortement référencé, Molli and Max in the future ne s’empêche pas d’être émouvant, preuve que l’amour est un sentiment universel qui se propage à travers le temps, réunissant les âmes sœurs malgré l’immensité de l’univers.

Un chien et un chat sont assis dans ce qui semble être un tribunal, plongé dans des ténèbres dont on ne perçoit vaguement que le public derrière, constitué de castors ; scène issu du film Hundred of Beavers projeté au Grindhouse Festival 2024.

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L’amour teinté d’humour semble guider la soirée avec la projection de Hundreds of beavers (Mike Cheslik, 2022) fantastique slapstick hivernal. Après la destruction de sa distillerie par une armée de castors, Jean Kayak, un costaud gentiment naïf va user de tous les stratagèmes possibles pour piéger ces grignoteurs de l’extrême afin de percer leur secret et de rencontrer l’amour… Nous tenons là clairement la pépite du festival, véritable ode au cinéma muet à la Buster Keaton et à l’humour cartoonesque des Looney Toons. Mélangeant animation rudimentaire et live, on pense aussi à la série des Alice Comedies (Disney Brothers Studio, 1923 à 1927) qui voyait un personnage réel vivre des aventures loufoques dans un dessin animé muet en noir et blanc. Fort de toutes ces références, le réalisateur réussit un tour de force unique en gardant pendant toute la durée du long-métrage un premier degré sincère sans jamais tomber dans le ridicule ni dans une atmosphère creepy remplie de figurants en costumes d’animaux. Ce genre d’humour totalement adapté aux formats courts aurait pu paraitre répétitif sur presque 2h mais le film réussit à maintenir l’intérêt du public en multipliant les climax et les scènes d’action de plus en plus folles. A la manière d’un jeu vidéo, nous suivons l’évolution de notre Link des neiges qui doit accomplir des quêtes et ramasser des objets jusqu’à affronter un boss final qui aurait donné des sueurs froides à un bon joueur de Cuphead. Véritable bijou autant dans sa forme que dans son écriture, il a acquis au sein du festival un petit statut culte, le public clamant outré à toute personne absente de la salle bondée à cette séance-là : « Quoi ? Tu n’as pas vu le film avec les castors ! » Incontestablement mon nouvel animal préféré.

Il est encore samedi soir mais pas loin de dimanche matin lorsque débute la fameuse séance de minuit, l’heure parfaite pour un bon petit film de monstre gore et décérébré. Notre trio de programmateurs, plutôt futé, a bien pensé que c’était le bon moment pour diffuser We are Zombies (François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissel, 2023), déjà à l’œuvre avec le mad maxien Turbo Kid (2015) ou le slasherGoonies Summer of ’84 (2018). Les réalisateurs – avec qui on vient tout juste de s’entretenir – sont habitués d’un cinéma ultra référencé, il était évident que la figure du zombie allait tomber entre leurs mains, putréfiés et viscères à l’air, le sang jaillissant du cou en geysers ininterrompus. Beaucoup de générosité grandguignolesque donc dans cette histoire d’invasion de zombies pacifistes vivant tant bien que mal au milieu d’humains qui ne savent pas vraiment comment cohabiter avec ces « non-vivants ». Heureusement, Maggie, Karl et Freddy trouvent rapidement un intérêt pécunier à la chose et enchainent les petites magouilles jusqu’à se faire remarquer par la Coleman Corporation, une entreprise de pompes funèbres zombie aux sombres desseins. Ne cherchez pas là-dedans un quelconque message politique sur les grosses corporations ou sur la manière parfois révoltante de traiter les minorités : les zombies sont ici au service des fantasmes humains, allant de la jolie ZILF qui joue les cam-girls au papa fraichement décédé participant malgré lui à la performance artistique d’un milliardaire excentrique. De même, le film est au service du spectateur venu se délecter de tripailles, de créatures monstrueuses, d’un humour crétin et de situations ubuesques. Une fois le constat accepté, n’essayez pas de réfléchir aux réelles motivations de la corporation ou à déceler une quelconque profondeur psychologique chez notre trio de loosers ou pire encore, à la possible rédemption d’une humanité qui maltraite ses morts. Surfant sur la vague des morts-vivants rigolos tels que Cooties (Jonathan Milott, Cary Murnion, 2014) ou Cockneys vs zombies (Matthias Hoene, 2013), We are Zombies ne propose ni plus ni moins qu’un bon divertissement. Et à cette heure-ci, ou mon cerveau est si liquide qu’un zombie n’en voudrait même pas comme dernier shooter, je n’en demande pas plus.

Jour 4 : Un Nouvel Espoir

Plan rapproché-épaule sur une femme torse nu, aux cheveux mouillés, qui porte un masque blanc, les yeux et la bouche cerclés de noir profond ; un serpent file tout autour de son cou et de son crâne ; issu du long-métrage A Wounded Fawn.

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Nous approchons dangereusement de la fin du festival mais ce n’est pas encore le moment de se laisser aller à la mélancolie, le Grindhouse Paradise 2024 nous réservant encore quelques chocs comme la fable sanglante A wounded fawn (Travis Stevens, 2022), qui suit le séjour meurtrier d’une conservatrice de musée, Meredith Tanning, avec Bruce Ernst, rencontré lors d’un vernissage. Ne sachant pas que le charmant Bruce amateur d’art est un serial killer, les vacances romantiques vont virer en un carnage classieux mêlant surréalisme, mythologie et femmes avides de représailles. Toute l’essence même du récit réside dans cette vengeance, dès la première image cadrant la statue La colère des Érinyes, représentant trois femmes ivres de haine menacer un homme tétanisé par la peur. Considéré comme de véritables furies, les Érinyes symbolisaient dans la mythologie grecque la punition, traquant tout être coupable d’un crime. En achetant cette œuvre, Bruce fait rentrer dans sa propre maison ces figures vengeresses au physique mythologique fusionné à celui de ses anciennes victimes. Si la première partie du long métrage est plutôt classique, se déroulant dans le milieu bourgeois de l’art, il permet au spectateur de s’attacher à Meredith, véritable faon blessé de l’histoire dont la caméra cadre la moindre interaction avec Bruce comme une potentielle agression. Son passé pesant instaure des tensions psychologiques illustrés par des petites touches de jump scares rendant l’atmosphère lourde et claustrophobe.  Ce n’est toutefois que plus tard, lorsque Bruce révèle sa personnalité de tueur que l’image en 35 mm éclate de beauté et de couleurs. Les tons rouges furieusement giallesques se mêlent à des compositions picturales symbolisant tout un parcours que Bruce refuse d’entamer, faisant reposer tous ces crimes sur le mystérieux homme oiseau, double écarlate du tueur à la hache Bloody Bird (Michele Soavi, 1987) qui n’apparait que lorsque son instinct de tueur refait surface. Tout ne pourrait être qu’esthétique flamboyante, la folie se mêlant à l’art, si le message caché sous cette couche de peinture n’était pas hautement féministe : Meredith, représentant l’érinye aux cheveux de serpents, cherche avant tout à juger Bruce. Réfutant son problème mental, ce dernier est incapable de se soigner, contrairement à Meredith que nous rencontrons pour la première fois en thérapie chez sa psychologue après avoir été victime de violences conjugales. Lors d’un dialogue entre la victime et son bourreau, il devient évident qu’elle ne peut aider un homme qui refuse d’assumer ses meurtres. Et le filtre graphique de se déchirer tout à coup, révélant la supercherie de cette cruelle beauté, se débâtant dans la crasse et la boue sous une lumière âpre et révélatrice.

Après cette explosion de couleurs aveuglante réfugions-nous dans le noir et blanc magnifique de The Complex Forms (Fabio D’Orta, 2023) qui voit Christian, dont on ne connaitra pas beaucoup plus que le prénom, passer un contrat avec l’énigmatique directeur d’un château isolé pour qu’une créature extraterrestre prenne possession de son corps contre rémunération. Une fois installé dans les lieux avec ses compagnons de chambre, le mystère ne cesse de s’épaissir jusqu’à l’apparition de ces monstres qui déciment petit à petit les habitants du château. Portant admirablement bien son titre, nous tenons là la caution étrange du festival et il ne fallait pas moins que l’intervention du réalisateur et de sa productrice, Mariangela Bombardieri pour éclairer quelques zones d’ombres sur ces fameuses formes complexes. Il paraissait évident au départ que cela représentait les extraterrestres, créatures au design à la fois organique et mécanique, véritables êtres mythologiques dont le parfum sacré embaumait chaque entrée, instaurant un climat de solennité austère. Pourtant, le réalisateur nous informe que ces formes complexes traduiraient plutôt l’intériorité de l’être humain et que ces créatures ne sont que le symbole de leur fatalisme : “C’est baisser les bras qui engendre la venue des monstres” nous indique-t-il comme ultime indice. A partir de là, c’est au spectateur de se faire sa propre interprétation, le public se prêtant au jeu en cherchant des signes un peu partout, comme à travers l’image récurrente de la voiture qui symboliserait la monture de Charon ou ce cortège de créatures néfastes qui pourraient incarner une maladie mortelle ou une forme de dépression. Quelle que soit l’interprétation sinistre de ces entités, la seule solution pour les vaincre serait de s’ouvrir aux autres, en tendant la main à ceux qui en ont besoin. A travers une image soignée, filmant un château dans de superbes perspectives picturales ou un extérieur très brumeux rappelant les images de The Mist (Franck Darabont, 2007), Fabio D’Orta, formé à l’Académie des Beaux-arts de Milan, nous offre une vision profondément humaniste sublimée par une étrange et inquiétante beauté.

Un groupe d'individus, vêtus de longs manteaux, de bonnets ou de capuches, sous un ciel qui prend littéralement feu ; visuel promotionnel du film Concrete Utopia diffusé au festival Grindhouse Festival 2024 de Toulouse.

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La fin du festival est plus proche que jamais et personne ne voudrait rater l’occasion de se réunir pour rire et frémir une dernière fois à l’unisson. La salle pleine écoute religieusement le discours final des organisateurs qui ne tarissent pas d’éloges sur un public toujours au rendez-vous, dépassant largement cette année la barre des 2000 spectateurs. Avant de terminer ce week-end sur une note à la fois mélancolique et optimiste, à l’image de la projection de clôture Concrete Utopia (Tae-hwa Eom, 2023) la “team Grindhouse”, comme on les appelle dans le milieu, nous révèle le Prix du Public Grindhouse Paradise 2024 : sans surprise, les castors de Hundreds of beavers (Mike Cheslik, 2022) remportent le morceau – de bois – sous les acclamations d’un public tombé complètement sous le charme de son trappeur au chapeau raton laveur. Il ne reste plus qu’à espérer une sortie en bonne et due forme au-delà des terres toulousaines afin que la secte des castors fasse le plein d’adeptes. Mais quittons l’univers cotonneux des animaux à fourrure pour atterrir en pleine dystopie apocalyptique au milieu des terres glacés de Séoul dans Concrete Utopia (Tae-hwa Eom, 2023). Suite à un tremblement de terre, la ville n’est plus qu’un amas de décombres dans lesquels tient miraculeusement encore debout un seul immeuble. Tour de Babel pour certains ou tour d’Ivoire pour d’autres, cette pointe dressée vers le ciel devient un objet de fantasmes et de convoitise pour tous ceux qui sont dehors tandis que ceux qui sont dedans vont tout faire pour conserver leur confort. Sous ce paysage écrasant de gigantisme, où les gens ressemblent à des fourmis, une nouvelle micro société va se former au sein de l’immeuble qui, à l’image de la Corée du sud elle-même, va connaitre en très peu de temps plusieurs gouvernements allant de la démocratie à la dictature. Nous allons ainsi suivre plusieurs clans aux trajectoires et objectifs divers, de la soumission d’un groupe envers un leader charismatique à la rébellion de plusieurs individus qui croient encore à la solidarité en recueillant ceux restés dehors. Cette crainte d’invasion du prolétariat dans la classe embourgeoisée n’est pas un thème nouveau dans le cinéma coréen, Parasite (Bong Jonn-ho, 2019) ayant déjà bien traité la chose à travers l’histoire de cette famille pauvre s’infiltrant dans la maison de riches propriétaires. Symbole de réussite, l’accès à la propriété donne des droits sur ceux qui n’ont pas de toit et alors que cette apocalypse sismique aurait dû rabattre les cartes, elle pousse au contraire ceux qui ont encore un statut à s’y accrocher coute que coute. Étalant une propagande crasse reposant sur la soi-disant solidarité entre les habitants de l’immeuble, tous se persuadent de participer à un projet collectif humaniste alors que chacun est rongé par l’égoïsme ou dissimule un sombre secret. Si le film s’enfonce dans des abîmes de noirceur, avec une représentation typiquement coréenne de la violence, âpre mais esthétique, ce n’est que pour révéler des bribes d’humanité dans un final déchirant, à la beauté plastique spectaculaire. C’est sur ces quelques larmes contenues que je quitte la salle, discutant à l’extérieur sous une pluie paresseuse avec les derniers qui restent. Regardant du coin de l’œil les affiches disparaitre peu à peu de la devanture du cinéma, j’aperçois le portail se refermer petit à petit, scellant l’univers parallèle jusqu’à l’année prochaine.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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