Les fans de sang et de tripes vont en avoir pour leurs deniers avec cette production anglaise, Frank & Zed (Jesse Blanchard, 2020), délire gore et régressif qui hurle son amour pour le cinéma gothique et le Muppet Show. On vous parle de ce film délirant vu au Festival Grindhouse Paradise de Toulouse.

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Muppet Horror Picture Show
Le film de marionnettes, même s’il a toujours été plus présent à la télé qu’au cinéma, est devenu un genre un peu démodé qui a eu du mal à faire face aux diverses révolutions technologiques. Aujourd’hui, les outils numériques, plus modernes et surtout plus accessibles, permettent la création de personnages fantastiques en images de synthèse, loin des anciennes méthodes « à la main » d’artistes brillants tel que Jim Henson. Vu sa rareté sur les écrans, Frank & Zed (Jesse Blanchard, 2020) est une excellente occasion de fêter le retour en grâce de cet art perdu, tout autant que de cet humour guignolesque, à la fois enfantin et parodique, souvent utilisé pour critiquer la société. Jesse Blanchard, issu du clip et de la pub, ne pouvait trouver meilleur medium pour illustrer son imagination sans limites, souvent bridé par le passé quand il devait honorer ses commandes. On visualise aisément l’esprit faussement innocent de ce long-métrage, ayant déjà eu affaire aux Feebles (Peter Jackson, 1989) mais le réalisateur va y ajouter une couche de fantastique médiéval teintée de gore, nous narrant l’histoire d’un royaume sous le joug d’une malédiction entre conflits de pouvoir et monstres légendaires. Loin de ces querelles de puissants, deux créatures vivent dans les ruines d’un château non loin du village en question : Frank, patchwork humain avide d’électricité et Zed, zombie en phase de décomposition avide de cerveaux. Leur quotidien bien rodé va être perturbé par le sournois Lord Regent qui va envoyer certains villageois à proximité de ces dangereux mangeurs de chair afin de déclencher une malédiction joliment surnommée « orgie de sang ». Frank va alors remarquer en massacrant allègrement ces malheureux que le cerveau humain régénère plus rapidement l’enveloppe physique et la mémoire de Zed que les cerveaux d’écureuils.

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Le mythe du monstre retranché dans un château isolé et de villageois observant de loin cet endroit sujet à plein de légendes et de craintes nous rappelle forcément beaucoup les films estampillés Universal Monster – série de longs métrages du studio Universal mettant en scène des créatures fantastiques célèbres tel que la Momie ou Dracula. Arraché à son univers de solitude pour finalement finir par être lynché, le monstre est rarement celui que l’on croit dans ce genre de productions. Touché par ces êtres rejetés par la société à cause de leur différence ou de leur aspect effrayant – tel Frankenstein (James Whale, 1931) ou King Kong (Merian C. Copper et Ernest B. Schoedsack, 1933) – Jesse Blanchard décide d’en faire les véritables figures humanistes de son film. Si les puissants censés représenter la loi sont presque tous individualistes et cupides, les monstres font ici preuve d’entraide et de solidarité, indispensable pour leur survie à l’un comme à l’autre. Leur micro-société fonctionne bien, à l’inverse d’un village qui se noie dans la corruption et l’obscurantisme imposé par l’église et le pouvoir. Ce genre d’univers fantastique médiéval secoué par des intrigues politiques a été remis au gout du jour grâce à la série Game of Thrones (David Benioff et DB Weiss, 2011-2019), énorme succès de cette dernière décennie. Pourtant, en voyant ces armures décorées de têtes de mort tape-à-l’œil et ces épées dorées, on ne peut s’empêcher de penser plutôt à cette vague de productions heroic fantasy sortis après le succès de Conan le barbare (John Milius, 1982) souvent plus kitschs que véritablement épiques, pleines d’artefacts magiques et de méchants grotesques.

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Mixant ces deux genres un peu désuets aujourd’hui, le cinéaste décide d’en rajouter dans la démesure en racontant ces histoires de créatures effrayantes et de royauté déchue sous la forme d’un petit théâtre de marionnettes. Bien adapté pour vilipender la politique, cela reste pourtant le plus souvent réservé aux enfants, contrairement aux films de monstres ou de fantasy destinés à un public plus adulte. Ce mélange des genres bien maitrisé fait toute l’originalité et le charme de Frank & Zed. En adaptant cette violence morale et physique typiquement adulte aux codes enfantins – par exemple pour montrer que les personnages sont morts, des croix remplacent leurs yeux – le côté gore n’en devient que plus jouissif car totalement exempt de tout sadisme ou crédibilité : cela atteindra son paroxysme dans une longue scène finale complètement démentielle où les humains finiront par trahir leur part de monstruosité… Sans rien révéler, il était difficile d’aller plus loin en terme d’imagination sanglante. Jesse Blanchard raconte cette dernière scène comme un gosse qui voudrait réunir tous ses jouets pour une bataille finale grandiose, absolument pas réaliste ni cohérente mais avec beaucoup, beaucoup de sang. Malaxant sans vergogne toutes ces influences, Frank & Zed semble être à l’image de l’esprit tourmenté du réalisateur : foutraque au possible, assumant son côté chaotique, hybride et immature. On le ressent à chaque seconde, Blanchard prend son pied à martyriser ses personnages et les gentils animaux de la forêt pour en faire ressortir une œuvre décomplexée, exempte de toute morale., mais délivre par la même occasion un message d’amour vibrant à ses deux monstres, héros malgré eux d’une épopée fantastique qui leur rendra leur âme.