Undergods


Après la fantaisie sucrée Strawberry Mansion (Kentucker Audley et Albert Birney, 2022), le festival Grindhouse Paradise de Toulouse nous remet un peu les pieds sur terre avec Undergods (Chino Moya, 2020) dystopie froide et fataliste dans laquelle le spectateur suit deux ramasseurs de cadavres, croisant et décroisant divers personnages et histoires.

En contre-plongée, un homme, la tête baissée, vêtu d'un uniforme gris-jaune, s'apprête à descendre un escalier ; derrière lui des immeubles vétustes, baignés d'une lumière bleue futuriste ; scène du film Underdogs.

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L’Enfer c’est les autres

Il est difficile de résumer Undergods (Chino Moya, 2020) ou même de définir ce que narre réellement cette histoire. Ou plutôt ces histoires, car le spectateur va être confronté pendant tout le récit à plusieurs tranches de vie vécues par divers personnages aux trajectoires bien distinctes. Certains d’entre eux seront amenés à se croiser sans se voir tandis que d’autres ne sortiront jamais des quatre murs de leur cellule, à la fois physique et mentale. Ils vivent pourtant tous au même endroit dans les limites de cette ville fictive, personnage à part entière et prison à ciel ouvert. Avant même de croiser le moindre être humain, la caméra prend de la hauteur sur cette ville imaginaire mais pourtant tristement réaliste, inspirée des pays de l’est. Froide et anguleuse, entourée d’un voile bleuâtre percé par des colonnes d’immeubles à moitié en ruines où le soleil ne semble jamais pénétrer, tout nous indique que ce n’est pas un endroit où il fait bon vivre –ou mourir.

Un homme et une femme, quinquagénaires, en costume de ville beige, sont, sonnés, au milieu d'une chambre sans dessus dessous, comme après un cambriolage, dans le film Underdogs.

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Ville à moitié finie ou à moitié détruite ? Impossible de déceler un marqueur de temps dans cet univers, certains plans nous rappelant un passé totalitaire enfoui mais tangible tandis que d’autres font preuve d’une certaine modernité. Ces deux indices se confrontent et cherchent à nous troubler, annihilant tous nos repères géographiques et temporels. Nous passons ainsi des hauteurs jusqu’au plus près de la rue, avec ses coins malfamés qui semblent palpiter à un rythme malade. Nous sentons la crasse, regardons avec pitié les déchets humains qui s’y trouvent. Seuls les personnages principaux ne semblent pas y faire attention, insensibles à cette déchéance généralisée. Tel un cauchemar, nous passons soudainement, sans transition aucune, d’une banlieue citadine grouillant de monde à un large espace industriel plein d’usines qui semblent désaffectées. Ces paysages disparates et ternes participent à cette ambiance étouffante, nous rappelant les façades monstrueuses d’un Métropolis (Fritz Lang, 1927) qu’on aurait bombardé. Malgré ce survol sur ce gigantisme désolant, c’est au plus près des personnages que nous allons atterrir. Car sous couverts de grands paysages sans fin et sans frontières, il est surtout sujet ici d’intimité et de rapports humains désaxés dans un univers froid et désespéré.

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Quand nous pénétrons dans ces appartements impersonnels, c’est pour faire face à des couples et à des familles ravagées. Le labeur a creusé leurs visages, étirant leurs sourires carnassiers et leurs regards vides, dénués d’humanité. Seuls les personnages jeunes, ne subissant pas encore l’extrême fatigue de la vie, restent vierges de toutes traces disgracieuses sur leurs jolies frimousses innocentes. Quand l’un d’eux passe de l’insouciance flamboyante et passionnée de la jeunesse à la dure réalité du travail, il finit par se transformer physiquement lui aussi pour devenir une enveloppe vide. Ce microcosme reflète plus généralement la société, détruisant l’esprit et le corps de ses citoyens, broyés comme du bétail. La photo métallique retranscrit parfaitement cette ambiance inhospitalière sans avoir besoin d’écouter des dialogues à rallonge sur la difficulté de vivre en tant qu’être humain dans une société inadaptée : le réalisateur a été formé à l’école du clip et de la pub, loin des bancs des écoles de cinéma et on sent grandement cette influence de l’image dans son premier long. Voulant compiler toutes ses références pour créer un univers cohérent, il ne facilite pourtant pas la tâche du spectateur embarqué dans un flux de pensées parfois difficiles à suivre, tant les couches de scénario se superposent – à l’image de la superbe affiche de Underdogs – telle histoire découlant d’une autre et reflétant divers strates de la pensée humaine. De ce fait, le spectateur comprend vite qu’il est inutile de s’attacher aux différents personnages, figures fugaces qui traversent l’écran telles des fantômes. De toute façon, le réalisateur ne le lui demande pas, mettant surtout en exergue les pires défauts humains. Il utilise ses personnages pour traduire l’absurdité de l’existence, presque sous la forme d’un conte initiatique, en nous faisant traverser le quotidien de ces foyers repliés sur eux-mêmes avec des gens qui vivent ensemble mais qui ne communiquent pas.

Dans cette routine morne et triste, il fait intervenir une nouvelle entité qui finira par se greffer doucement à ce noyau déjà bancal, l’étranger faisant éclater des tensions sous-jacentes au sein d’une famille dysfonctionnelle reste un thème récurrent du cinéma, vu par exemple récemment dans Inexorable (Fabrice Du Welz, 2021). Parfois révélateur de vérités enfouies ou véritable poison – au point de faire ressentir à l’autre qu’il est lui-même étranger au sein de sa propre cellule familiale – il met à mal un modèle que la société s’évertue de conserver. Ces personnages barricadés dans leur propre solitude dévoilent ainsi toutes leurs frustrations au contact de l’autre. Frustration que le spectateur ressentira aussi devant Underdogs, ne pouvant jamais assister au dénouement de ces récits. Il devra s’habituer à perdre le fil de l’histoire de la plupart des personnages, comme eux même n’arrivent pas à saisir leur propre existence, n’ayant pas droit au bonheur qu’ils ne cherchent même plus à obtenir. Le seul fil rouge sera fermement tenu par les deux ramasseurs de cadavres, narrateurs de cette histoire qui parcourent ce monde comme deux charognards à la recherche de malheurs à raconter… Nul doute qu’ils ne termineront jamais leur tournée.


A propos de Charlotte Viala

Vraisemblablement fille cachée de la famille Sawyer, son appétence se tourne plutôt vers le slasher, les comédies musicales et les films d’animation que sur les touristes égarés, même si elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter. Entre deux romans de Stephen King, elle sort parfois rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer à la vie culturelle Toulousaine. A ses risques et périls… Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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