Soft and Quiet


Retour sur le Grindhouse Paradise cuvée 2023 qui a eu lieu du 13 au 16 Avril à Toulouse, et sur son film d’ouverture, Soft and quiet (Beth de Araùjo, 2022) qui malmène son duo de victimes faisant face à un escadron de Barbies fascistes bien décidées à leur mener la vie dure… Peut-être un peu trop.

Plan rapproché-épaule sur une jeune femme aux longs cheveux raides, portant un col roulé, et au regard flottant, juste devant un cierge à trois bougies, accroché à un mur en bois ; issu du film Soft and quiet.

© Tous droits réservés

Desperate (trash) Housewives

Le premier film de la réalisatrice Beth de Araùjo s’inspire d’un fait réel qui avait fait grand bruit à l’époque : le 25 mai 2020, en plein confinement, Amy Copper, femme blanche promenant son chien à Central Park croise la route de Christian Cooper, un ornithologue noir qui lui somme de tenir en laisse son animal de compagnie. Refusant catégoriquement, elle appelle les secours en insinuant que cet homme intente à sa vie, insistant bien sur sa couleur peau. La vidéo scandaleuse de l’altercation tourne sur les réseaux sociaux, interpellant la réalisatrice, elle-même enfant métis d’une mère sino-américaine et d’un père brésilien. Se sentant concernée par la question, elle va tenter d’illustrer cette nouvelle forme de racisme ordinaire qui vérole la classe moyenne de la société américaine, loin des lynchages des white trash de Mississippi Burning (Alan Parker, 1988) ou des humiliations de la classe supérieure considérant les Afro-américains comme des esclaves tel que dans Candyman (Bernard Rose, 1992). Elle va pour cela suivre le personnage de Emily, archétype de la femme caucasienne qui va monter la communauté « des filles de l’unité aryenne » avec quelques copines triées sur le volet. Après une réunion autour de petits gâteaux et d’une tarte décorée d’une croix gammée, elles croisent dans un supermarché une ancienne connaissance d’Emily accompagnée de sa sœur, toutes deux métisses habitant dans les beaux quartiers. L’esprit de communauté étant le plus fort dès qu’il s’agit de faire quelque chose de stupide, elles décident de pénétrer dans la demeure des deux sœurs afin de leur dérober leurs passeports. Évidemment, cette petite blague sans conséquences va tourner bien plus mal qu’elles ne l’auraient imaginé…

© Tous droits réserves

Centrant son récit autour d’un groupe exclusivement féminin, Beth de Araùjo va s’attacher à montrer ces femmes prisonnières de leurs convictions, des conventions sociales et parfois même à l’intérieur d’elles-mêmes. Soft and quiet ayant été tourné pendant le confinement, cette notion d’enfermement n’est jamais innocente et elle se ressent à travers les décors. Si la caméra commence par se concentrer sur Emily pendant les premières minutes, suivant son trajet jusqu‘à la réunion au milieu d’une nature paisible, dès qu’elle pénètre à l’intérieur de ce cercle de femmes, la caméra finira par se resserrer dans des intérieurs, que ce soit une voiture, la salle de réunion ou la maison des deux victimes, se collant à des visages suintant de peur dans des décors qui sembleront de plus en plus exigus et sombres. La communauté, même si elle est au départ pensée comme une formation protectrice, est par essence refermée sur elle-même, rejetant ceux qui ne penseraient pas comme elle. Cette notion de groupe pour lutter contre d’autres n’est pas un thème nouveau, mais le fonctionnement à l’intérieur de celui-ci constitue un élément important du scenario. Nous suivons en faux plan séquence ce groupe de jeunes femmes, ne ratant aucune interaction ni aucune bribe de dialogue qui ne nous renseigne pourtant en rien sur leur personnalité profonde ou leur histoire. Restant en surface ou ne s’écoutant même pas, ces filles qui n’ont finalement rien en commun ne peuvent pas se revendiquer comme une sororité soudée, a contrario des deux sœurs suppliciées qui restent fusionnées dans l’adversité, prouvant qu’une communauté montée sur la haine de l’autre ne peut qu’engendrer des liens superficiels. Lorsque la situation dégénère, le fossé entre « les filles de l’unité aryenne » ne fait que se creuser, la panique cédant à la colère, accumulant les mauvaises décisions dans une situation qui empire de minute en minute.

© Tous droits réservés

Tout cela souligne plus que jamais la solitude latente de ces jeunes femmes, tentant de s’en sortir dans une société parfois violente envers elles en essayant de se conformer à l’image que l’on attend de la femme idéale. N’y parvenant pas (Emily n’arrive pas à être mère, Leslie ne possède pas cette douceur typiquement féminine et Marjorie n’atteint pas ses objectifs professionnels) elles rejettent la faute sur les mauvaises cibles. Même si c’est un film féminin, les rôles tenus par les rares hommes soulignent de façon métaphorique leur place auprès des femmes. Le frère d’Emily, que l’on entendra uniquement par téléphone, est l’homme absent mais qui pèse pourtant sur le quotidien de cette dernière. Le prêtre, qui prête son église dans laquelle se déroule cette réunion informelle, fait la sourde oreille, refusant tout dialogue et préférant éviter le conflit. Le mari d’Emily, un peu plus complexe, manquera d’empathie et de courage au moment où sa femme aura le plus besoin de lui. Cette illustration de l’homme lâche et démissionnaire qui ne se conforme pas non plus à cette image de virilité attendu par la société ne fait qu’accentuer la solitude d’Emily, cherchant des alliées pour pallier à ces sentiments d’abandon, mais aussi des coupables pour sortir sa rage.

Une rage qui ne découle pas seulement d’un isolement forcé mais aussi d’un contexte politique qui a réussi à gangrener les classes moyenne depuis l’élection de Trump et ses discours alarmistes. Ces filles sont seulement là pour ressortir ce qu’elles ont vu ou entendu mais aucune n’a véritablement été confrontée à une situation critique face à une minorité. Leur petite réunion ne ressemble qu’à des commérages de bonne femme, sans véritable volonté de passer à l’action. Au final, c’est Leslie, qui n’a aucun ressenti envers les minorités et qui se retrouve là un peu par hasard qui lance cette idée de s’introduire dans la demeure des deux sœurs et c’est encore elle qui va montrer le plus de violence à leur égard. Et c’est là que se situe le véritable danger : ces filles vont suivre aveuglement cette psychopathe sans véritable argument mais qui rassure parce qu’elle donne l’impression de savoir ce qu’elle fait. Un peu à l’image de Trump qui reste persuadé que ses idées sont les meilleures… Cette peur ambiante, cette atmosphère lourde conduit des gens sans histoire à croire que la meilleure solution reste l’escalade dans la violence. A ce petit niveau du groupe, la réalisatrice de Soft and quiet montre ce qu’une nation toute entière est devenue.


A propos de Charlotte Viala

Vraisemblablement fille cachée de la famille Sawyer, son appétence se tourne plutôt vers le slasher, les comédies musicales et les films d’animation que sur les touristes égarés, même si elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter. Entre deux romans de Stephen King, elle sort parfois rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer à la vie culturelle Toulousaine. A ses risques et périls… Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

deux × 5 =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.