Inferno Rosso : Joe D’Amato


Présenté Hors Compétition au Festival du Film Fantastique de Gérardmer, retour sur le vibrant documentaire Inferno Rosso de Manlio Gomarasca et Massimiliano Zanin consacré à une figure du bis italien qu’on admire en ces lieux : Joe D’Amato.

Joe d'Amato et une superbe brune seins nus face à face, avec entre eux un grand serpent, qu'ils tiennent chacun à bout de bras ; illustration pour le documentaire Inferno Rosso : Joe d'Amato.

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Le Chant de l’Artisan

Résumer une vie et une carrière riche de deux cent films – si l’on ne s’en tient qu’à ses crédits de réalisateur – en un documentaire qui dépasse à peine l’heure, voilà le challenge ardu que se sont fixé Manlio Gomarasca et Massimiliano Zanin. Ardu, mais pas impossible. Et pour cause : en s’attaquant à un monument du cinéma de genre, l’artisan stakhanoviste et éperdument amoureux de la pellicule Joe D’Amato, les réalisateurs pêchent d’abord par passion. Parce que le premier a dédié toute sa vie à la ré-évaluation du cinéma bis italien avec le magazine de référence Nocturno, l’autre car, en plus d’avoir été lui aussi biberonné au bis, avait déjà réalisé, seul – mais déjà avec le soutien des copains milanais – le documentaire-entretien fleuve IsTintoBrass (2013), qui retraçait la carrière du réalisateur de La Clef (1982), Salon Kitty (1976) et Caligula (1979).

En noir et blanc, le tournage d'une scène où Joe d'Amato, cigarette au bec, montre à son comédien comment menacer avec un fusil à pompe ; dans un entrepôt rempli de cartons ; illustration pour le documentaire Inferno Rosso : Joe d'Amato.

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L’équipe, infaillible, est incollable sur le sujet, pourtant copieux, qu’est Aristide Massaccesi, alias Joe D’Amato, surtout vu chez nos voisins italiens comme le « roi du porno », considéré ailleurs, au mieux comme un faiseur de cochoncetés sur celluloïd, au pire comme un tâcheron qui n’obtient même pas les faveurs des diffusions ultra-tardives sur les chaînes câblées spécialisées. Alors, que faire pour remédier à cela ? Le duo opte pour la meilleure solution : présenter D’Amato comme un homme aux mille et une histoires, qui a vécu autant de vies qu’il a connu de renaissances. De l’érotisme soft – puis hard – au gore, et du cinéma post-apocalyptique à un retour forcé au porno, D’Amato aura laissé quelques œuvres significatives, auxquelles il est joliment rendu hommage avec force anecdotes et souvenirs de la part de la famille, d’amis, et de collègues – l’inénarrable George Eastman, le réalisateur Luca Damiano (Franco Lo Cascio) ou encore Michele Soavi, dont il a lancé la carrière – ou de fans. On s’étonne que Quentin Tarantino n’ait pas répondu à l’appel, mais on s’étonne encore plus que le fils de D’Amato, Daniele Massaccesi, technicien et directeur de la photographie, collaborateur de longue date de Ridley Scott ou des Wachowski (entre autres), brille par son absence.

Le documentaire laisse certes de côté les périodes westerns et péplums du réalisateur, pourtant arrivées au plus fort du temps des genres en question, et ne survole que ses débuts (durant lesquels il a été l’assistant de Godard, Zeffirelli ou Lizzani, excusez du peu), qui auraient été une porte d’entrée intéressante pour dessiner un peu plus précisément comment et pourquoi cet autodidacte s’est transformé en un véritable monstre de connaissances. Mais puisqu’il s’agit de mettre en exergue ses films les plus significatifs, le travail est parfaitement accompli. La saga des Black Emanuelle (avec un M, 1976-1978), Sesso nero (1980), Blue Holocaust (1979), Anthropophagus (1980), voilà peu d’exemples pour une carrière foisonnante, mais qui caractérisent Joe D’Amato comme un cinéaste curieux de tout, boulimique, qui ne fait pas du cinéma pour l’art – il s’est toujours défini comme un artisan – mais pour vivre, littéralement (« filmer comme il respire », dit le directeur de la Cinémathèque française, Jean-François Rauger). Il aura pourtant rallié de nombreux scénaristes, producteurs, acteurs et techniciens à sa cause, créant une véritable famille du cinéma, ou une « Factory », comme celle d’Andy Warhol, souvent au détriment de sa propre famille. Pas un artiste, vraiment?

Avec Joe D’Amato, l’homme et le cinéaste ne font qu’un, précisément parce qu’il a systématiquement refusé de se considérer comme un artiste mais s’est plutôt vu comme un homme simple, au boulot un peu exceptionnel. Que les films soient bons ou mauvais, avec lui, ce sont les petites mains du cinéma qui s’activent, toujours avec un professionnalisme évident, mais qui prend souvent des airs de colonie de vacances. À ce titre, l’ouverture de Inferno Rosso : Joe D’Amato résume parfaitement D’Amato : dans une interview, Lucio Fulci couvre Aristide Massaccesi d’éloges, avant qu’une autre archive ne montre celui-ci couché par terre, billet d’un dollar dans la bouche, attendant qu’une actrice, forcément nue, n’essaie de l’attraper avec ses fesses. Le tour de passe-passe réussi, il lance : « Essayons avec une pièce de 5 cents maintenant! » Parce qu’il n’a jamais eu, de son vivant, la reconnaissance qui lui était due, ou parce qu’il n’était ni politique, ni criard – tout au plus pouvait-on le considérer comme un trublion – et parfaitement honnête envers lui-même et son art, Joe D’Amato, à la différence de la grande majorité de ses confrères, ne se regardait jamais de haut et n’utilisait jamais d’exagérations pour se raconter. Peut-être parce qu’il avait compris que le « bigger than life », quand il est vécu au rabais, a plus de valeur que lorsqu’il est coloré a posteriori. Lui, pourtant, à plus forte raison sans doute que tous ses contemporains (du bis ou non), a entrepris sa carrière (et donc sa vie) comme une aventure. Inferno rosso est donc, forcément, un récit d’aventures. Et un très bon.

C’est sans conteste la présence de la version « director’s cut » non censurée qui donne tout son intérêt à cette sortie en combo DVD/Blu-ray chez Le Pacte. On aurait souhaité que les trente minutes supplémentaires s’attardent un peu sur son début de carrière, mais elles recueillent surtout ce qui a été expurgé de la version courte. Il ne s’agit pas seulement ici de nudité ou de scènes gores redondantes, mais aussi de paroles très libres, de langage très cru, parfois machiste (certains diront « c’est l’époque ») lorsque sont évoqués les tournages de Caligula, la véritable histoire (1982) et Sesso Nero (1980) par exemple (dont les versions hard comprennent des scènes zoophiles), d’anecdotes improbables ou scabreuses sur les trucages utilisés pour des scènes d’autopsie, de défloration… Tout ce qui a caractérisé la carrière de Joe d’Amato, en somme. Ses proches, et en particulier ceux qui constituaient sa « Factory » comme ils le disent eux-même, à l’image de celle d’Andy Warhol, évoquent sans fard mais avec amitié la grandeur et la décadence du personnage – à l’image du cinéma populaire italien en fin de vie de cette époque –, ses succès dans le cinéma porno ou l’horreur, sans oublier ses renoncements lorsque sa société Filmirage a fait faillite, et enfin le catalogage définitif de Massaccesi lorsqu’il fut contraint de revenir dans l’industrie du sexe. Ils sont nombreux à essayer de rehausser l’image de leur défunt ami. Il y a parmi eux des femmes, certes, dont sa fille, des collaboratrices comme Giuliana Gamba alias Therese Dunn ou l’actrice Barbara Cupisti (on notera l’assourdissante absence de Laura « Black Emmanuelle » Gemser par ailleurs très représentée dans le documentaire). Mais ce sont surtout ses collaborateurs hommes qui parlent avec regrets de cet homme à tout faire, ainsi que quelque-uns de ses confrères, comme Lamberto Bava, Jesus Franco, Tinto Brass, Eli Roth… Si elle n’est pas à mettre entre toutes les mains et sous tous les yeux, cette version généreusement augmentée est absolument indispensable car elle dresse un portrait à la fois très favorable mais aussi sans détour du besogneux réalisateur.

 


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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