Après Ray Harryhaussen, le titan des effets spéciaux (2011) et Le Complexe de Frankenstein (2015), le duo de réalisateurs-critiques formé par Alexandre Poncet et Gilles Penso, revient aux affaires, prolongeant leur champ de recherches et de fascinations pour les créateurs de monstres, avec le documentaire consacré à Phil Tippett, légende du stop-motion et des effets-spéciaux.
Mad God
A bien des égards le travail du duo Alexandre Poncet et Gilles Penso s’apparente à celui de chercheurs, au sens universitaire du terme, sans la dimension ronflante et repoussante, tant il constitue un caractère relativement encyclopédique, éclairé et éclairant puisqu’aussi dense que précis. En effet, en trois documentaires, les compères ont réussis à proposer une œuvre traversée par la même obsession, le même sujet, la même ambition : celle de re-visiter l’histoire du cinéma par le prisme d’un métier aussi méconnu que rêvé, aussi visionnaire que voué malheureusement à disparaître. Déjà en 2011 avec leur premier essai Ray Harryhaussen, le titan des effets-spéciaux, les deux réalisateurs/critiques – l’un chez Mad Movies l’autre à l’Ecran Fantastique – avaient placé les fondations de leur champ de recherche en commençant par l’un des cinéastes et animateurs les plus déterminants dans le développement de la technique de l’animation en stop-motion. Même si certains puristes préciseraient sûrement que ce travail ne saurait être totalement exhaustif sans un long-métrage tout entier consacré au réel précurseur de la technique, le génial Willis O’Brien, l’opus centré sur Harryhaussen fait néanmoins office de socle, de pierre angulaire aussi, dans cette désormais trilogie documentaire réalisés par le duo. Car de Ray Harryhaussen, il est fatalement cas partout dans les deux autres films qui suivirent et qui communiquent et se complètent parfaitement, s’enrichissent.
Ainsi, si la vision de Phil Tippett, des rêves et des monstres (2020) peut parfois donner l’impression de revenir à des propos, vulgarisations et anecdotes déjà entre-aperçues dans Le Complexe de Frankenstein (2015), le dernier volet de cette trilogie qui ne demande qu’à devenir saga entend davantage s’éloigner d’une certaine forme de généralité – le second documentaire étant largement exhaustif, en ce qu’il s’intéressait à plusieurs créateurs de monstres et non à un seul – pour s’aventurer sur le territoire du « cas particulier ». Sur l’ambition, Poncet/Penso reviennent donc à leurs premiers amours, se focalisant sur un seul artiste, bien que ce portrait creusé de Phil Tippett – on rappelle tout de même qu’il est l’homme derrière les Tauntaun de Star Wars : L’Empire Contre Attaque (Irvin Kershner, 1980), les Piranhas de Joe Dante (1978), Robocop (Paul Verhoeven, 1987), les araignées extraterrestres de Starship Troopers (Paul Verhoeven,1997) ou les Dinosaures de Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993), entre autres… – donne bien davantage la parole au créateur lui-même qu’à ses admirateurs, comme c’était le cas dans le film consacré à Harryhaussen. Ainsi, guidé par les réalisateurs et leur proximité précieuse et inédite avec cet artiste solitaire, le spectateur se retrouve plus que jamais mis en contact avec l’esprit du créateur, ses inspirations, ses doutes, ses aspérités. Le documentaire, sans jamais être intrusif ou racoleur, parvient ainsi à pénétrer l’univers de Phil Tippett jusque dans son atelier, pour mieux comprendre, entre anecdotes de tournage et réflexions sur son métier, ce qui a fait de lui l’un des artistes visionnaires les plus significatifs de son époque.
Pour parfaire ce travail d’exploration qu’est le long-métrage, les réalisateurs proposent une plongée encore plus profonde dans les archives de ce créateur de monstres, via de riches suppléments distillés dans les différentes versions du Blu-Ray, certains n’étant offerts qu’aux donateurs de la campagne de financement participatif ayant permis l’élaboration de ce bel objet sous l’égide de Carlotta. Parmi ceux-là, un making-of d’une heure et demi qui offre un prolongement gratifiant au documentaire lui-même, offrant une forme de portrait miroir sur les cinéastes qui témoigne de leur excitation quasi-enfantine à approcher cet homme, jadis leur idole, devenu ami. Toujours dans cette admirable élan de documentation, l’un des suppléments propose une exploration du musée intime et monstrueux de Phil Tippett, avec un musée virtuel (sur l’édition KissKissBankBank) présentant sous des angles privilégiés et rapprochés des pièces d’exceptions telles que des sculptures et marionnettes originales. Pour ceux qui ne mettront la main que sur l’édition standard, vous en aurez tout de même pour votre argent entre le making-of précédemment cité, les commentaires audio riches en anecdotes, les scènes alternatives ou coupées ou la piste musicale signée Alexandre Poncet proposée isolée. Une édition généreuse qui au-delà de l’intérêt filmique du documentaire, très bien réalisé – il faut d’ailleurs noté que le duo qui fait presque tout tout seul s’évertue à parfaire sa technique et à apprendre en faisant, tant la qualité du rendu final s’affine et s’améliore de façon évidente de projets en projets – vaut le coût et l’investissement, en cela qu’elle fait vraiment office, avec les deux documentaires précédents, d’encyclopédie en trois volumes. Cela tombe bien, les trois films sortent aussi dans un coffret trilogie. En un mot, essentiel.