On efface tout et on recommence. Exit les différentes suites des années 70 et 90, les préquelles et la série des années 2000. On fait comme si tout cela n’avait jamais existé et on repart du seul et unique L’exorciste (William Friedkin), celui de 1973, mais 50 ans plus tard. Comme si on voulait mettre sous le tapis ces honteuses productions et faire mieux. Mieux ?
On ne peut pas Blair à tout le monde
L’une des caractéristiques du film d’exploitation est que ses producteurs ne s’interrogent que rarement sur la pertinence de réaliser une suite, un antépisode ou juste une copie inavouée de l’œuvre originale. Rentabiliser le filon, c’est tout ce qui compte. De nos jours, on utilise le terme politiquement correct et tout de même très hypocrite de « franchise », mais les objectifs restent strictement les mêmes : donner au fan ce qu’il attend pour l’attirer en salle, quitte à sacrifier au passage un peu de l’ambition artistique, voire de racoler sans vergogne. Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, les films d’exploitation ne sont pas tous des sous-produits, loin s’en faut. Certains sont de belles réussites, d’autres dépassent même l’original : vous en trouverez bon nombre sur notre site. Malheureusement, exemple n’est pas loi, comme l’illustre ce L’Exorciste : Dévotion (David Gordon Green, 2023). Car pour espérer trouver le succès, il faut, c’est une évidence, disposer d’un bon casting, d’une bonne histoire retranscrite efficacement à l’écran et, dans le genre qui nous intéresse, d’effets crédibles.
Sur le papier, cela s’annonce plutôt bien. Green a convaincu Ellen Burstyn (Chris MacNeil) et Linda Blair (Regan MacNeil) de rempiler pour endosser respectivement un mini et un micro-rôle. Il s’est également entouré d’acteurs qui, à défaut d’être « bankable », ont à leur actif des filmographies convaincantes comme Leslie Odom Jr. (Le crime de l’Orient Express, Kenneth Branagh, 2017 ou Glass Onion, Rian Johnson, 2022). Concernant le récit proprement dit, le metteur en scène s’est inspiré du film de Friedkin avec un prologue exotique qui se déroule ici en Haïti, terre vaudou où Victor et Sorenne, son épouse enceinte, passent leurs vacances. La future mère accepte qu’une prêtresse locale lui prodigue un rituel de protection destinée à sa fille à naître. Mais soudainement la terre tremble et Sorenne meurt dans la catastrophe. Treize ans plus tard, on retrouve Victor qui élève seule sa fille Angela, tous deux marqués par la tragique disparition. Un soir, l’adolescente et son amie Katherine partent dans les bois pour y faire une séance de spiritisme. Elles disparaissent et sont retrouvées dans une écurie trois jours plus tard, ne se souvenant de rien. Rapidement, elles montrent d’inquiétants signes de possession. Cette première partie, pour peu qu’on en accepte la plausibilité, est la mieux construite, avec une progression ponctuée régulièrement de moments horrifiques (on découvre non sans surprise que même possédée, vous pouvez vous promener dans une église en blasphémant…). Mais dès l’instant où le personnage de Chris MacNeil est évoqué, tout part à vau-l’eau. En effet, les scènes qui impliquent la mère de Regan retrouvée par Victor n’apportent absolument rien au récit. Pire, leur suppression aurait profité au rythme du film. Aucune logique ne vient justifier la tentative d’exorcisme de la jeune Katherine par la vieille femme. Ce passage sert uniquement à préparer le terrain pour la scène où l’écrivaine parle à Victor sur son lit d’hôpital, qui fait partie d’un ensemble de trois séquences, avec la plaidoirie du Père Maddox devant ses pairs pour les enjoindre à agir et le dialogue au cimetière entre Victor et une femme versée dans les rituels animistes. Ces quelques minutes opèrent une sorte de bascule qui achève de convaincre le père incroyant que la solidarité entre les personnes qu’engendre la foi (lire « la religion »), est la solution au mal et à la souffrance. L’exorcisme tant attendu, dont on attend qu’il soit le point culminant, s’avère décevant tant il est décousu et même assez prévisible. Chacun y va de sa tentative de chasser le démon, et subit en retour les attaques verbales ou physiques des deux enfants. Où l’on apprend qu’une rotation de la tête à 180° est létale si vous n’êtes pas possédé…
Le long-métrage de Green souffre ainsi d’un déséquilibre qui plombe sérieusement son rythme. Par ailleurs, là où Friedkin superposait ou alternait l’horreur graphique avec la terreur psychologique, Gordon Green peine à convaincre sur ces deux tableaux, à tel point qu’il essaie sans cesse de combler les moments où le spectateur pourrait se retrouver seul avec les vides gênants de la mise en scène : des monologues, des explications superflues, des phrases prosélytes (jusque dans les suppléments), des références à la Bible, comme s’il fallait tout expliquer, justifier, maintenir une certaine angoisse. Jamais la nécessité de la foi religieuse n’est remise en cause, au contraire : sans elle, l’Homme sombre. La sous-exploitation du casting est une autre source de déception de le part d’un réalisateur qui a pourtant dirigé des pointures comme Jake Gyllenhaal, Al Pacino, Holly Hunter ou encore Nicolas Cage. A qui peut-on s’attacher tout au long d’un récit traversé par de si nombreux personnages ? Pas vraiment à Victor (Leslie Odom Jr.), qui ne fait qu’endosser le rôle de l’athée qui a tort de ne pas croire. Peut-être Tony (Norbert Leo Butz) et Miranda (Jennifer Nettles), les parents de Katherine, conformes à ce que l’on attend de parents évangélistes et démunis lorsqu’ils sont confrontés au diable ? Leur détresse de sages brebis du Seigneur devant les phénomènes terrifiants qui touchent leur fille est crédible. Green ne parvient pas non plus à tirer grand-chose d’une actrice comme Ann Dow, pourtant très convaincante en dévote sadique dans La servante écarlate (Bruce Miller, 2017-En Prod.). On ne croit pas une seule seconde à son personnage d’infirmière meurtrie par son passé et pour l’occasion apprentie exorciste. Il faut laisser néanmoins au réalisateur la performance d’avoir réussi à diriger parfaitement les deux jeunes filles, Lidya Jewett et Olivia O’Neill, même si leur prestation est nettement plus policée que celle de Linda Blair en son temps. Visuellement, elles jouent la possession à la perfection. Pour le reste, une poignée de gros mots, quelques blasphèmes et c’est tout. On est bien loin de la scène du crucifix et du « your mother sucks cocks in hell ».
Un mot sur le peu de cas qui est fait deTubular Bells pourtant utilisé sans scrupule. On peut en effet entendre l’iconique titre de Mike Oldfield à divers moments-clé du récit, vers 56′ puis 1h33’ et encore au générique de fin, comme autant de marqueurs indélébiles dans l’inconscient collectif. Ce sont d’ailleurs les seuls instants saillants d’une bande originale plus que quelconque. C’est dire le poids énorme de ces quelques petites minutes, extraites d’une œuvre globale grandiose qui ne se destinait pas à illustrer une œuvre cinématographique, faut-il le rappeler. C’est pourquoi il est à peine croyable de lire le nom de leur compositeur lorsque tout le monde a déjà quitté la salle ou appuyé sur la touche stop. Alors que reste-t-il après le visionnage de L’Exorciste : Dévotion ? Il y a la belle performance de deux jeunes actrices, sans doute moins malmenées et traumatisées par leur maquillage et Gordon Green que ne le fut Linda Blair par Friedkin. De façon générale, ces effets à l’ancienne sont très réussis, tel le démon Lamashtu qui possède les adolescentes, sorte de vieille harpie cornue qu’on aperçoit par courtes bribes. On peut y voir une référence à Pazuzu, autre divinité mésopotamienne, qui contrôle Regan dans le long-métrage original. Il n’y a pas grand-chose d’autre de consistant à se mettre sous la dent et on ne peut même pas se rabattre sur les suppléments, car la plupart d’entre eux ne sont rien d’autre que de petits films promotionnels sur les différents aspects de la production – direction d’acteurs, montage, tournage en République dominicaine, effets visuels, … – qui nous disent « regardez comme tout est formidable ». Fort de ses succès avec Halloween (2018), Halloween Kills (2021) et Halloween Ends (2022), David Gordon Green se voyait sans doute aussi en sauveur de la franchise L’Exorciste. Mais en voulant trop s’inspirer de l’œuvre originale sans rien apporter de saillant, il n’a finalement réussi qu’à réaliser une suite assez pâlotte, pas très effrayante, et pas plus mémorable que les précédentes tentatives.