Tiny Tim : King for a Day


Figure emblématique de la pop-culture américaine des années soixante, Tiny Tim est resté majoritairement hors des radars en Europe. Le documentaire Tiny Tim: King for a Day (Johann Von Sydow, 2020) présenté à l’Etrange Festival est donc l’occasion de découvrir ou redécouvrir une figure de la musique proprement hors normes.

Tiny Tim pose pour un photomaton en noir et blanc en faisant une grimace dans le documentaire sur sa vie King of a day.

                                       © Tous droits réservés

La Folie des Grandeurs

Difficile de cerner le personnage qu’est Tiny Tim. Grand brun aux cheveux longs jamais ordonnés, nez proéminent, un air un peu maniéré. Avec ses costumes colorés à carreaux toujours trop grand pour lui, et son cabas de courses transportant son fidèle ukulélé, il pourrait aussi bien sortir d’un cartoon pour enfant que d’un film d’horreur (tout ce qu’on aime, donc). Auteur-compositeur et interprète, il a fait de sa marque de fabrique son chant aiguë atypique et instantanément reconnaissable, en voix de fausset. Mais le plus fou peut-être dans l’histoire de Tiny Tim, c’est qu’il a réellement été, un moment, au sommet de la gloire. Comment ce personnage ne rentrant dans aucune case musicale a pu finalement se frayer un chemin jusqu’au panthéon de la musique américaine ? C’est ce que Tiny Tim: King for a Day illustre avec tous les moyens à sa disposition.

Tiny Tim et son ukulélé sur scène, devant le micro, dans le documentaire Tiny Tim : King of a day.

                                  © Tous droits réservés

Au fond le schéma que met en image ce documentaire est bien connu. La montée en puissance d’une célébrité, sa marche vers le succès, son apogée puis, presque aussi automatiquement, une descente aux “enfers” avec un retour vers l’anonymat et le désintérêt progressif du public. Boulevard du Crépuscule (Billy Wilder, 1950), Showgirls (Paul Verhoeven, 1995), Qu’est-il arrivé à Baby Jane (Robert Aldricht,1962) ou encore A Star Is Born (George Cukor, 1954)… Les exemples sont pléthore et constituent même un sous-genre à part entière, la « montagne russe de la célébrité », le « after the glitter fades ». Et, autant le dire tout de suite, le documentaire proposé ici appartient sans aucun doute à cette catégorie. C’est un schéma bien connu oui, mais dont il est dur de se lasser. Sans doute parce que ce cycle maudit que Hollywood aime aussi bien mettre en scène dans ses productions qu’orchestrer dans la vraie vie, fascine et effraie. Mais ici, c’est aussi probablement car l’ascension de Tiny Tim au rang de célébrité nationale de la musique est totalement improbable. D’abord car le personnage n’a rien d’une personnalité vouée dès le berceau au succès. Considéré comme un freak dès son plus jeune âge, notamment par ses propres parents, les premières années de sa vie ont quelque chose de chaotique. Joueur de mandoline et de ukulélé, Tiny Tim se découvre, lors d’une épiphanie, la possibilité de chanter bien plus aigu qu’il ne le pensait. Armé de son instrument, de sa conviction et vraisemblablement de sa douce folie, il va de petits bars en freakshows peu à peu se faire un nom, jusqu’à devenir dans les années soixante l’une des plus grosses vedettes américaines, générant des audiences et ventes records.  L’apogée de sa carrière a beau être relativement brève, elle lui laissa le temps d’expérimenter quelques liens avec la mafia, plusieurs mariages, une sexualité fluctuante, de nombreuses apparitions télévisuelles drôles ou étranges (le plus souvent les deux à la fois), et des albums assez inclassables où il finit par montrer l’étendue de son répertoire (de fausset à baryton, le spectre est large). Puis elle était presque inévitable, ce succès éphémère s’est soldé d’une longue dégringolade, jusque dans les années 90, où il mourut quasiment dans l’oubli. 

Tiny Tim en dessin animé sous des traits caricaturaux mais doux, joue du ukulélé en noir et blanc dans le film Tiny Tim : King of a day.

                                     © Tous droits réservés

Comment alors rendre compte de la vie hors des sentiers battus, d’une célébrité improbable aussi incongrue dans sa vie que sur scène ? Si le documentaire opte pour une narration chronologique somme toute assez classique, il cherche pourtant, en multipliant les artifices, à cerner toutes les facettes du personnage. Une bonne base d’images d’archives, d’enregistrements, d’apparitions télévisuelles, permettent d’appréhender la personnalité publique. De son I Got You Babe où Tiny Tim décide de faire tout à la fois les voix de Sonny et de Cher, à son improbable mariage en live sur un plateau de late-show, il est possible d’entrevoir l’artiste et le showman fascinant qu’il pouvait être. De nombreux témoignages de ses proches, ex-femme, amis, managers dévoilent également la personnalité tout aussi excentrique de Tiny Tim dans la “vraie” vie. Mais surtout, le documentaire est ponctué d’extraits de son journal intime (qu’il tenait visiblement dès un très jeune âge), lu par un autre musicien et humoriste, le tout aussi chevelu Weird Al Yankovic, expert de la polka et des parodies musicales improbables (ses clips Fat ou Amish Paradise valent le coup d’œil). Ces extraits accompagnés de séquences d’animations rendent compte, elles, de l’état d’esprit de Tiny Tim. La plupart du temps, même au sommet de sa gloire, il est donc visible que le chanteur était en proie aux doutes, rempli de regrets et de culpabilité. L’articulation de ces éléments, entre rapport au public, vie privée parfois mouvementée et sa psyché tourmentée ne constituent pas toujours un portrait exhaustif, mais plutôt une évocation de toute l’énigme que demeure Tiny Tim. L’occasion d’aborder une personnalité dont on devine facilement l’influence sur la pop-culture et même sur le cinéma de genre, de Pee-Wee’s Big Adventure (Tim Burton, 1985), à Insidious (James Wan, 2010), où résonne l’une de ses plus célèbres chansons.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

17 − 10 =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.