Emanuelle et les derniers cannibales


Artus Films délivre son nouveau mediabook Blu-Ray/DVD/livret en édition limitée, et le choix n’est pas des moindres : à l’honneur, le cultissime Emanuelle et les derniers cannibales, réalisé par Joe d’Amato en 1977. 

Un homme a les mains liées à deux poteaux de bois, dans la jungle, tout le bas de son corps a été découpé, scène du film Emanuelle et les derniers cannibales.

                                 © Tous Droits Réservés

La chair et le sang

Laura Gemser hurle de peur au beau milieu de la jungle amazonienne, de nuit, scène du film Emanuelle et les derniers cannibales.

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Je m’adresse à toi, lectrice ou lecteur qui saura se reconnaître mais ne l’osera peut-être pas : je sais que toi, oui toi, tu ne dis pas non parfois à quelque stupre, à quelque chair bien placée, bien affolante, ouverte ou fermée, ainsi sanguinolente ou humide. Puisque le cinéma de genre est peut-être, avant tout, une histoire de pulsions, je peux parier que nombre d’entre nous n’iront pas cracher dans la soupe de l’érotisme et de la violence, les deux pierres angulaires des cinémas d’horreur, avec tous les sous-genres associés. Et lorsqu’on aborde l’éternelle relation siamoise d’Eros et Thanatos, un nom revient, lancinant, puisant ses sources dans le cinéma d’exploitation le plus opportuniste, certes, mais non exempt de fulgurances. Ce nom, c’est celui de Joe d’Amato – ou Aristide Massaccesi à l’état civil – monstre aux plus de deux cent longs-métrages et aux pseudonymes multiples rendant le pistage d’autant plus difficile. A lui seul, le bonhomme est un symbole du cinéma d’exploitation – un « continent » dixit David Didelot, auteur d’un livre somme consacré à un autre stakhanoviste du bis, Bruno Mattei, et fondateur du fanzine Videotopsie – dont la filmographie est traversée par des bijoux et alourdies par des merdes gonflées à grand renforts de stockshots parfois issus de ses propres précédentes réalisations (!). Étrangement en plusieurs années d’existence de votre webzine préféré, c’est seulement la première fois que nous chroniquons un long-métrage du sieur en ces lieux grâce à la riche initiative d’Artus Films ajoutant à sa sublime collection de combos Blu-Ray/DVD/Livret, un des titres phares de Joe d’Amato : Emanuelle et les derniers cannibales (1977). Titre phare également de ce sous-genre de sous-genre qu’est la Emmanuellesploitation, à ajouter à votre dictionnaire.

Emanuelle est reporter. En s’immergeant, pour un article, dans un hôpital psychiatrique elle assiste à une scène de cannibalisme, durant laquelle une jeune patiente perd les pédales et dévore une soignante. Perspicace et douée d’un sens aigu de l’observation – à moins que ce ne soit parce qu’elle ait décidé de « guérir » la jeune femme en la masturbant, merci Emanuelle – la journaliste remarque un tatouage sur le bas ventre de la démente. Il ne lui en faut pas plus pour remonter le fil de ce tatouage jusqu’à une tribu de la foret amazonienne, qu’elle va tenter de découvrir en compagnie d’un ethnologue et d’une petite équipe rencontrée sur place dont un couple à la piste d’un butin perdu… Ce qu’il faut dire d’abord, c’est qu’Emanuelle et les derniers cannibales est un épisode d’une série de longs-métrages surfant donc sur la vague du succès international du film français Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974) et donc d’une multitude d’ersatz regroupés selon l’appellation d’ Emmanuellesploitation. Joe d’Amato inaugurera la plus marquante de ces variations avec une Emanuelle à un seul M pour des raisons de droit, et la nouveauté de cette black Emanuelle qu’est la troublante Laura Gemser, muse de d’Amato pour une foutrée de productions. Emanuelle et les derniers cannibales est en fait déjà, en 1977, le quatrième volet de la série conservant ce personnage d’une Emanuelle reporter, voyageant à travers le monde pour vivre des expériences plutôt licencieuses.

Ici, disons-le clairement, l’aficionado du film de cannibales tout prêt à prendre de l’hémoglobine plein les mirettes risque de regarder sa montre car il s’agit avant tout et jusqu’à son dernier tiers, d’un film érotique dont les scènes de sexe, soft et naïves, surgissent au moindre prétexte, au mépris total de toute vraisemblance et de toute bien-pensance contemporaine (ex : le mythe de l’homme noir viril comparé à l’homme blanc impuissant). Vous me direz, ça a aussi son intérêt mais peut-être que dans nos sociétés sur-sexualisées, cet érotisme-là a perdu de sa superbe d’autant qu’il ne faut pas espérer compenser l’intérêt par un scénario somme toute oubliable. Emanuelle et les derniers cannibales atteint ainsi ses galons lors de ses ultimes instants alors que le long-métrage verse pour de bon dans l’outrance gore propre au genre du film de cannibales. Ainsi, toute l’équipe ou presque est mise à mort, tombant dans l’escarcelle d’une tribu Coffret Blu-Ray DVD d'Emanuelle et les derniers cannibales édité par Artus Films.anthropophages. Les mises à mort assez gores et malsaines, ne font que peu de cas des organes sexuels des uns et des autres et sont filmées par d’Amato avec moult plans rapprochés. Une complaisance jouissive propre au genre tout autant qu’à son cinéma. L’attente valait, peut-être, son pesant de cacahuètes.

Livrant un travail éditorial absolument exceptionnel, Artus Films rend une justice au film qui n’en demandait peut-être pas tant, dans un immense respect pour le « continent » d’Amato et ce long-métrage qui aura tout de même, marqué quelques générations. On ne s’épanchera pas sur les bonus audiovisuels qui sont peu nombreux (affiche, photos, bande annonce et présentation filmée de David Didelot) ni sur la qualité réelle de la copie qui conserve – et c’est tant mieux pour votre serviteur qui regrette de plus en plus ces remasterisations toutes lissées – le grain et la patte un peu salie de la peloche vieillie et du son d’antan. Là où Artus tape fort et se distingue de la plupart de ses concurrents c’est toujours sur l’artwork, sublime, et surtout sur le livret proposé, toujours signé de la main de Monsieur Didelot, une soixantaine de pages qui revient sur toute cette saga des Emanuelle, Joe d’Amato, Laura Gemser, tout un univers. Livret porte d’entrée parfaite sur le travail de d’Amato, qui mériterait d’être vendue à part et à qui pourrait suivre, pour ceux qui veulent creuser, le bouquin – somme fruit d’un travail de titan de Sébastien Gayraud, intitulé Joe d’Amato : le réalisateur fantôme publié chez le versant littéraire de… Artus Films.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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