Le Monde après Nous


Sam Esmail, le créateur de la série à succès Mr Robot (2015-2019), arrive sur Netflix avec Le Monde après nous (2023). En adaptant un roman à succès de la période COVID, c’est l’occasion pour lui de développer ses thèmes de prédilection, grâce notamment à un casting XXL. Réussite ou pétard mouillé ? Le N rouge tient-il son grand film de l’année ?

Les quatre personnages du film Le monde après nous (Mahershala Ali, Myha'la Herrold, Ethan Hawke et Julia Roberts) sont dans un couloir, ils ont tous la tête tournée vers l'autre coté, dans une appréhension certaine.

© Netflix

Apocalypse Maintenant

Julia Roberts hurle dans la forêt en se tenant la tête dans le film Le monde après nous.

© Netflix

Depuis quelques années, les plateformes SVOD et particulièrement Netflix se sont lancées dans une forme d’introspection que l’on pourrait qualifier d’opportuniste, en produisant des œuvres critiques envers la société de consommation et les conséquences de celles-ci, notamment sur le climat. On pense à Okja (Bong Joon-ho, 2017), Don’t Look Up (Adam McKay, 2021) ou encore à White Noise (Noah Baumbach, 2022) qui illustraient chacun à leur manière une peur bien réelle, celle d’un effondrement du monde à cause de l’aveuglement des individus. Même par la voie de l’animation, les inquiétudes sont mises en images, par exemple avec le franchement drôle et réussi Les Mitchell contre les machines (Mike Rianda, 2021) où l’on suivait une famille dysfonctionnelle en pleine apocalypse technologique. En ce mois de décembre 2023, tout juste à temps pour concourir aux prochains Oscars, la plateforme dégaine donc une nouvelle production aux accents éco-anxieux, très proche dans son postulat de départ du dessin animé de Mike Rianda, Le Monde après nous. Produit par le couple Obama et mis en scène par Sam Esmail, le film a une vraie ambition politique à l’heure où les États-Unis paraissent retourner vers le trumpisme. Une famille new-yorkaise part en vacances à Long Island pour se ressourcer et très vite, des évènements troublants se passent : un bateau s’échoue sur une plage, internet ne fonctionne plus, les animaux ont des comportements étranges, etc. Les propriétaires de leur Airbnb reviennent et s’en suit une cohabitation entre eux six où se mêleront suspicions, inquiétudes et surprises en série puisque le monde tel qu’ils le connaissent est bel et bien en train de dégringoler.

Julia Roberts scrute une rangée de voitures de sport blanches, toutes du même modèle, garées en bordure de campagne, dans le film Le monde après nous.

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Si l’on peut considérer que Netflix ait une démarche quelque peu cynique quand elle produit de tels contenus, puisque l’entreprise fait partie du problème qu’elle dénonce, l’intention de Sam Esmail, qui a créé depuis ses débuts des séries, principalement, et quelques films ayant un propos politique clair, semble beaucoup plus sincère. On comprend pourquoi il s’est intéressé au livre original de Rumaan Alam sorti en plein confinement en 2020, tant le message s’accorde avec tout ce sur quoi il a pu travailler jusqu’ici, en premier lieu Mr Robot. Alors pour illustrer cette chute du monde, il choisit un angle intimiste où il va jouer sur la tension permanente, grâce à une mise en scène retorse et inventive. Qu’il s’agisse d’un dialogue entre Julia Roberts et Mahershala Ali ou d’un montage alterné à base de crash d’avion, de tracts de revendication et de balade dans les bois, le spectateur est constamment scotché au fond de son siège par la magie de l’interprétation, on y reviendra, du montage, de la musique – superbes compositions de Mac Quayle ! – et des mouvements de caméra amples. On pourrait penser qu’il y a une certaine frime dans le filmage de Esmail puisqu’il s’autorise à peu près tous les effets ostentatoires, mais chaque traveling, chaque rotation de caméra incarne à la perfection la psyché déroutée des personnages. Rien n’est gratuit et tout renvoie à d’autres œuvres telles que Les Fils de l’Homme (Alfonso Cuaron, 2007) ou Nope (Jordan Peele, 2022) dans la façon d’aborder la mise en scène. En voyant Le Monde après nous, on pense aussi à tout ce que n’avait pas totalement réussi M. Night Shyamalan avec Phénomènes (2008) quand il jouait sur la puissance du hors champ sans toujours y parvenir, là où Esmail réussit quasi systématiquement. Pour filer la comparaison, Shyamalan essayait également de distiller des touches d’humour au travers notamment du personnage de Zooey Deschanel, et ce n’était pas le point fort du film. Dans le travail d’Esmail, l’humour est plus savamment dosé et sur un registre similaire basé sur le même décalage que dans Phénomènes, le tout fonctionne beaucoup mieux.

Un couple en tenue de soirée assis au bord d'un lit, semble hypnotisé par la lumière bleue qui sort du téléviseur devant eux ; scène du film Le monde après nous.

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Le Monde après nous est porté par ses acteurs et actrices : Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke, Kevin Bacon pour les plus connus, Myha’la Herrold, Farrah Mackenzie et Charlie Evans pour la nouvelle garde. Et c’est tout ! Seuls ces sept comédien.ne.s viennent incarner 140 minutes de récit, quasi en huis clos. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu Julia Roberts en si bonne forme, rappelant qu’elle n’est pas seulement l’actrice de petites comédies romantiques ou familiales, mais qu’elle sait aussi offrir tout son mordant à des personnages plus complexes. Elle impulse son tempo au long-métrage, nous amenant dans les directions que son personnage peut prendre, impasses réflexives comprises. Mahershala Ali, lui, compose un personnage d’abord plus ambigu qui nous met face à l’horreur des préjugés et de la situation. Ethan Hawke est fidèle à lui-même, dans un registre plus léger de prime abord. Et Kevin Bacon inquiète, comme souvent, en survivaliste. Pour les plus jeunes, c’est bien Farrah Mackenzie qui impressionne le plus dans un rôle quasi extérieur au cocon familial, qui se cherche des « amis » virtuels par le biais des personnages de la cultissime série Friends (Martha Kauffman & David Crane, 1994-2004) et qui s’accroche à une certaine idée du monde et à une époque révolue. D’ailleurs, ce fil rouge concernant Friends n’est pas qu’un clin d’œil appuyé à la pop culture, mais bien une illustration de l’idée que l’on puisse trouver refuge auprès de personnages d’œuvres diverses, doublée d’une réflexion autour du streaming vs. support physique assez cocasse de la part de Netflix.

En forêt, une jeune fille avec un t-shirt Nasa observe le ciel avec une attitude de surprise lumineuse ; en flou derrière elle, un jeune homme ; plan issu du film Le monde est à nous.

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En définitive, Le Monde après nous est une belle réussite de Sam Esmail. Peut-être que le film souffre de petites longueurs au début de sa deuxième moitié et qu’on pourrait y ôter une vingtaine de minutes et une scène de danse inutile, toutefois le cinéaste arrive à installer une telle tension, proposer de telles visions presque horrifiques, que cela relève du détail. Par le biais d’effets hérités du cinéma d’horreur, Le Monde après nous nous met face à l’état de notre monde et de notre acceptation tacite de tout ce qu’il induit. Ce n’est pas toujours agréable à constater, et c’est moins évident à recevoir que par le biais d’une satire pure comme Don’t Look Up, ce qui fait que le film est reçu de manière contrastée, mais Sam Esmail réussit son pari haut la main. En évoquant pêle-mêle le manque de communication, la dépendance aux technologies, le racisme ordinaire, entre autres thèmes, le réalisateur nous tend un miroir pas vraiment déformant et un doigt d’honneur poli. Chaque personnage illustre une facette de qui nous sommes – l’individualisme, nos préjugés sociaux, etc. – d’où un certain malaise au visionnage. L’objet n’est jamais confortable et tant mieux. La seule chose véritablement regrettable concernant Le Monde après nous est qu’il ne changera pourtant rien puisqu’il sera visionné en solitaire sur une tablette ou au mieux débattu gentiment entre la dinde et les chocolats pour les fêtes de fin d’année. Ce n’est qu’un film, qui bien que produit par un ancien couple présidentiel, n’a plus la portée que pouvait avoir un cinéma politique à une certaine époque, si tant est qu’il ait pu déjà en avoir. Rien ne bougera. Et le monde de continuer à courir toujours plus vite à sa perte.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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