The Killer


Dire que chaque film de David Fincher fait évènement, c’est comme dire que les chatons sont mignons : l’évidence même. En neuf ans et depuis qu’il a signé un accord d’exclusivité chez Netflix, le monsieur n’aura sorti que deux longs-métrages de son cerveau retors Mank (2020) et The Killer (2023), qui nous intéresse aujourd’hui. Un objet aussi logique que déroutant dans la filmographie de son auteur…

Michael Fassbender en position du lotus, vu de profil, sur un tapis de yoga, dans un appartement désaffecté ; plan issu du film The Killer.

© Netflix

Respecte le plan

Plan rapproché-épaule sur The Killer, avec lunettes de soleil et chapeau, à l'arrière d'un taxi.

© Netflix

Dès l’annonce du projet et sans même connaitre la bande dessinée de Matz et Luc Jacamon, The Killer faisait sens comme projet fincherien – osons le terme. Un tueur au centre de l’intrigue qui allait côtoyer les plus beaux spécimens de l’œuvre du cinéaste – tels que John Doe, le Zodiac ou les plus illuminés des serial-killers de sa superbe série Mindhunter (Joe Penhall & D. Fincher, 2017-2019) – et pourquoi pas réconcilier les déçus par le très beau Mank, projet tout personnel s’il en est. The Killer pouvait être vu comme un retour aux sources de la part de Fincher, avec Andrew Kevin Walker au scénario, près de trente ans après Seven (1995). Car depuis ce chef-d’œuvre séminal, la carrière de l’enfant terrible d’Hollywood a pris de sacrés tournants ! Son style, si reconnaissable à la moindre frame, a évolué pour se faire plus discret tout en conservant sa férocité et son élégance folle. Et David Fincher a tutoyé les sommets à plusieurs reprises avec d’autres chefs-d’œuvre comme Zodiac (2007) ou The Social Network (2010). Depuis Gone Girl (2014), il ne tourne plus que pour Netflix pour y développer des séries et quelques longs. Cela peut paraitre triste, évidemment, mais quel studio aurait osé produire Mank en 2020, ou assouvir enfin la soif de liberté créatrice que recherche l’auteur depuis ses débuts ? Alors on se jette sur The Killer avec l’idée que le bonhomme a forcément retourné le problème à son avantage… Un tueur à gages, qui n’a pas de nom, est en mission à Paris pour exécuter une cible donnée, mais malgré toute sa préparation, commet une erreur. Cette erreur le rattrapera dans le privé et il décidera de se venger à travers le monde en tuant un à un les personnes qui s’en sont pris à ses proches. Voilà, le scénario tient en quatre lignes, et il fallait bien tout le talent de David Fincher, aidé par la bande dessinée originale, pour nous pondre autre chose qu’un énième John Wick (Chad Stahelski & David Leich, 2014).

Le tueur du film The Killer observe par la fenêtre avec une longue vue l'immeuble haussmannien, sous un ciel bleu, d'en face. L'homme est vu en contre-jour, de trois-quart, et il porte un long manteau et un chapeau.

© Netflix

Sur le fond, il n’y a bien que depuis Panic Room (2002) que le cinéaste s’empare d’un sujet aussi simple voire simpliste. À l’époque, Fincher jouait avec les possibilités de sa caméra et les limites de ses effets. Aujourd’hui, on sent un réalisateur en pleine possession de ses moyens, mature, qui cherche davantage à expérimenter du côté de la narration. Ou plutôt de la non narration. Car The Killer a beau être découpé en chapitres, son scénario relève de la quasi abstraction. Les lignes narratives sont d’une épure totale et la mise en scène est si millimétrée qu’elle rend l’expérience encore plus sensorielle. Alors, où est-ce que David Fincher s’amuse et trouve de l’intérêt véritablement ? On pourrait répondre dans l’écriture de la voix-off, narrée avec nonchalance par Michael Fassbender, qui entend dénoncer ou tout au moins décrire avec effroi son époque. C’est d’ailleurs la partie la plus cocasse du film : certaines des pensées du « tueur » sont énoncées avec tellement d’évidence qu’elles en deviennent juste drôles. Cette voix-off que d’aucuns pourraient trouver trop monocorde ou répétitive se rapproche des thématiques abordées par « le narrateur » dans Fight Club (1999). Le monde selon David, en somme. Cette vision éclairée et nihiliste de nos sociétés modernes et occidentales, de par la bouche d’un assassin, contraste avec la léthargie dans laquelle se trouvent les normies, nous, voués au courroux de l’anti-héros. En attribuant ses pensées à celles du tueur, David Fincher s’identifie au personnage. Et plus largement, les fameux mantras que Fassbender déclamait déjà dans les bandes-annonces peuvent être vues comme celles du cinéaste au sein de son art. « Respecte le plan. Anticipe, n’improvise pas. Ne fais confiance à personne. Ne mène que le combat pour lequel on te paye ». Quand on connaît les rapports houleux que Fincher a pu avoir avec les studios par le passé, son côté tyrannique sur un plateau de tournage et l’ampleur du deal passé avec Netflix, ces mots font sens. Mais ce rapprochement entre l’auteur et son personnage sera bien l’un des seuls grands intérêts, avec l’image toujours superbe, à véritablement trouver à ce film résolument mineur dans une œuvre si riche.

Michael Fassbender, déguisé en touriste allemand, assis sur un banc parisien comme si de rien n'était, les jambes croisées, à côté d'un sac Macdonald's, dans le film The Killer.

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Si l’influence la plus évidente reste Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967), on ne peut s’empêcher de penser à Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (Chantal Akerman, 1976) dans sa façon de représenter l’ennui, la routine et comment un grain de sable peut venir faire tout dérailler. En effet, le long-métrage laisse une drôle d’impression après visionnage. Trop intello comme John Wick-like, trop simple comme digne film de Fincher, mais pas non plus totalement inutile ou raté, The Killer est un peu tout ça à la fois, ce qui déroutera autant les spectateurs admirateurs et aguerris de son cinéma – ce qui est mon cas ! – que les amateurs de revenge movie bas du front. Dès son générique, art à part entière dont Fincher est passé maitre depuis Seven, on se dit que quelque chose manque, ce jeu de volets assez laid qui figurait déjà dans les trailers faisant pâle figure face aux génériques d’ouverture de Panic Room ou Millenium : Les Hommes qui n’aimaient pas les Femmes (2011) ! C’est bien le côté assez vain du film, sorte de relecture politique et de l’autre bord moral de James Bond – tout y est : fric, flingues, filles, tour du monde, etc. – qui le condamne à ne rester qu’une petite série B de luxe dans les tréfonds de la filmographie de son réalisateur. Entendons-nous bien, même le pire des Fincher reste une œuvre intéressante et au-dessus du tout-venant. Mais l’attente suscitée par ce retour aux sources qui n’en est finalement pas vraiment un n’est pas tout à fait récompensée. Reste que le film a pour lui une mise en scène brillante où le cinéaste se permet même de petites sorties de piste avec un usage contrôlé et astucieux de la shakycam ; un travail sonore d’orfèvrerie, une soundtrack incroyable entre les compositions d’Atticus Ross et Trent Reznor et les chansons des Smiths ; un Michael Fassbender des grands soirs qui retrouve la même intensité mutique que dans le grand Shame (Steve McQueen, 2011), entre autres atouts. David Fincher semble vouloir dire, au travers de son tueur qui se joue de la société, des règles et des grandes enseignes comme FedEx ou Amazon, qu’avec Netflix, il a intégré le noyau pour essayer de jouer avec le système. Pas sûr que ce soit avec The Killer qu’il ait réussi à combiner l’intention au résultat…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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