Second Tour


Un film sur une élection hors période électorale, un thriller politique qui ne veut pas en être un. Un grand nom qui divise et s’en ravit, un cinéma qui veut être libre plutôt qu’être grand. Avec Second Tour (2023), Dupontel poursuit son exercice du conte contemporain entamé par Adieu les Cons (2020) et confirme l’enterrement de son cinéma trash des premiers jours (Bernie, Enfermés Dehors, 9 Mois Ferme…) dont Au Revoir Là Haut (2017) a ironiquement écrit l’oraison. Le dernier diable de Tasmanie du cinéma français se serait-il éteint ? Pas tout à fait. Quelque chose a survécu et résiste encore et toujours (on l’espère) dans l’esprit foutraque de ce cinéaste fraîchement adoubé. Mais quoi ?

Albert Dupontel entre dans son meeting entouré de militants enflammés et de drapeaux français dans le film Second Tour.

© Jérôme Prébois

Zorro à la Justice, Minnie à la danse

Bobby Kennedy en conférence de presse, illustration d'un homme politique pour le film réalisé par Albert Dupontel, Second Tour.

“Bobby kennedy for President” © DR

D’abord, il faut voir un peu ce qu’est Second Tour (2023). Si on s’en tient au scénario, c’est un thriller politique. Deux journalistes enquêtent sur un candidat à la présidentielle, déjà favori alors que sorti de nulle part. Ils découvriront rapidement et au péril de leur vie un imbroglio de complots et de vérités cachées, révélant la mascarade de cette élection. Jusque-là, on reste dans le ton des Hommes du Président (Alan J.Paluka ,1976) ou encore de L’Exercice de l’État (Pierre Schoeller, 2011). Des films à grande échelle, grands enjeux, où morale et responsabilités sont questionnées et mises à l’épreuve. Pas vraiment la came poétique et picaresque à laquelle Albert Dupontel nous avait habitués. Comme expliqué dans ses interviews, Dupontel a tiré son idée d’un documentaire sur Robert Kennedy intitulé Bobby Kennedy For President (Dawn Porter, 2018). Une personnalité mythique de l’Histoire américaine assassinée en 1968, supposément pour ses positions progressistes et pacifistes, comme l’a été son frère JFK, cinq ans auparavant. Le candidat de Second Tour y fait effectivement beaucoup écho, autant dans son style classe mais simple que dans ses positions écologiques. Pourtant, le réalisateur répète aussi en interview que sa volonté n’était pas de faire un film politique. Alors qu’est-ce que c’est ? Si on s’en tient au film, on est effectivement plus proche d’un thriller politique dessiné au feutre à encre parfumée. Complot alambiqué, rebondissements tarabiscotés, personnages-stéréotypes évadés de leurs cases de BD… Le tout englobé dans une réalisation loufoque, archi-colorée, qui nous couperait quasi entièrement de la réalité. C’est presque tout à fait un conte contemporain, dont la beauté et la comédie sont à prendre comme telles, sans se soucier d’un quelconque message ou d’un engagement politique. Mais le hic, ou le génie, est là, tout embouteillé dans ce presque.

Face à un parterre de journalistes en reportage, Cécile de France tend son micro à Albert Dupontel, grimé en candidat à la présidentielle dans le film Second Tour.

© Jérôme Prébois

Pas tout à fait fou, pas tout à fait sérieux, Second Tour oscille dans les entre deux. Entre deux genres, entre deux tons, entre deux facettes et deux âges de la filmographie bicéphale du même cinéaste. On pourrait presque condamner le film et son réalisateur (et cela a été fait) pour leur incapacité à se tenir à une direction, unique et claire. Mais le cœur du projet incarne ouvertement cette double identité réconciliée : en effet, si le film commence sur une intrigue de thriller politique classique, cadrée par l’urgence de cette présidentielle, elle est très vite détournée vers une intrigue secondaire n’ayant a priori aucun impact sur l’élection, le candidat favori et suspect a un frère jumeau caché. Dans un trucage assez commun mais plutôt réussi de cinéma, Albert Dupontel se dédouble et se fait face, cerveau gauche logique contre cerveau droit créatif. D’un côté le candidat ultra-carré, politicien parfait sachant adroitement naviguer dans le jeu politique, et de l’autre, un apiculteur un brin ahuri, amoureux de la nature, complètement coupé du monde des hommes et de leurs normes. Il est assez aisé de voir en ces deux personnages deux incarnations de Dupontel lui-même, celle du réalisateur calme, chevronné et salué par la critique qu’on retrouve en interview ; et celle du clown hyper-actif, aussi poétique qu’à côté de la plaque qu’il adore incarner sur scène et à l’écran.

Nicolas Marié et Cécile de France assis dans les tribunes observent au loin l'air stupéfait dans le film Second Tour.

© Jérôme Prébois

Ce faisant, le cinéaste-acteur transpose de manière assez pertinente sa contradiction interne à une problématique politique : comment réconcilier ? Comment faire en sorte d’exister ensemble alors que tout semble nous sépare ? Ici, la question ne semble même pas se poser. À peine réunis, les frères s’aiment sans s’être jamais connus, sans même s’être imaginés. Ils savent pourtant n’être qu’un et porter les mêmes valeurs humanistes profondes malgré leurs différences de milieu et de ressources. Avec un amour infini porté aux deux personnages qu’il incarne, Dupontel parvient à les placer au même niveau, donnant à chacun suffisamment de défauts et de qualités, de courages et de lâchetés, pour qu’il soit difficile d’en préférer un à l’autre. Mieux encore, il les fait vivre ensemble et travailler à une cause commune, les unifiant magistralement dans son climax final. De la même manière, le thriller et le conte se répondent, comme deux genres au service du même public. Le thriller apporte une structure, une urgence, la réalité d’un monde corrompu à dénoncer, le conte offre une liberté, une poésie et un humour permettant d’exploiter toute la puissance de rêve du cinéma. La réalité d’un problème et l’originalité de la solution. Parfois bancal certes, mais si le bateau flotte et arrive à bon port, qui s’en souci ?

En pleine cohue de militants, Nicolas Marié pointe du doigt et désigne quelque chose à Cécile de France qui est prise de surprise ; scène de Second Tour réalisé par Albert Dupontel.

© Jérôme Prébois

Bien que ses traits soient grossis, la démocratie française représentée dans Second Tour nous fait amèrement rire. Le film nous plonge dans un monde parallèle très familier où les candidats ne sont que des pantins, aux masques pré-construits pour plaire à des foules d’électeurs sans voix ni visages, et qui se servent des médias comme d’agences de communication. Toute une mécanique politique inarrêtable, ennuyeuse, désastreuse, au service de ceux qui la financent et en profitent. La machine des Temps Modernes de Charlie Chaplin (1936), avec meetings, cocktails privés et bureaux de vote en guise de rouages écrasant l’humanité qu’elle est censée aider. Si Dupontel ne veut pas faire de film politique, sa vision sombre et désillusionnée de cet univers lui permet d’élever par contraste les deux valeurs qui lui tiennent le plus à cœur : la liberté et l’amour. Ce n’est en effet pas un hasard si le personnage principal du récit est celui d’une journaliste, Nathalie, incarnée par Cécile de France, à l’insatiable soif de vérité et à la punchline enflammée. Bien qu’elle soit parfois utilisée comme une simple observatrice fil rouge, portant l’intrigue comme elle porterait une caméra, elle devient finalement le cœur unificateur de cette petite résistance et son moteur principal. Plus que par les petits monstres imaginés par Albert Dupontel, allant de la Mère Folcoche au Garde du Corps golgoth au grand cœur, en passant par le Hacker Gluant et l’Entraîneur de foot de dernière division, le personnage de Nathalie nous touche particulièrement en venant nous rappeler un concept-émotion qu’on croyait perdu, ‘espoir. L’espoir d’un avenir meilleur, d’un monde nouveau, plus libre, plus vrai et plus aimant. Une position que le cynisme dominant, sous couvert de pragmatisme vaniteux, aura vite fait de traiter de naïve et d’inconséquente. Mais si Dupontel parvient à nous faire dire sans suer qu’un président désirant sincèrement le bien de ses concitoyens et une journaliste se battant pour la liberté et la vérité sont des fantasmes absolus, alors ce film aura en effet enfoncé un clou, le dernier du cercueil de nos espérances en tant que société, voire en tant qu’espèce.

Second Tour n’est peut-être pas un chef-d’œuvre. Visuellement inégal, le long-métrage n’a de cesse d’aller à l’encontre des attentes et des codes qu’on adore, ajoutant en permanence des effets de style et des trucages plus ou moins réussis. Ce qui se dégage ici, ce n’est justement pas la main d’un maître, mais celle d’un éternel apprenti sorcier du cinéma, trop amoureux de son art pour en sortir. Refusant à tout prix de se prendre au sérieux, le style de Dupontel prend quand même de l’âge et se précise sans se figer. Comme le bus de Speed (Jan de Bont ,1994), on sent qu’il est incapable de se fixer sans exploser. Il est donc vain d’essayer de lui assigner un style ou un genre, mais aussi impossible de lui interdire quelconque profondeur ou horizon. Une liberté artistique extraordinaire plus que qualitative, qui ne se démarquerait pas autant si le reste du paysage audiovisuel français n’était pas si terne.


A propos de Elie Katz

Scénariste fou échappé du MSEA de Nanterre en 2019, Elie prépare son prochain coup en se faisant passer pour un consultant en scénario. Mais secrètement, il planche jour et nuit sur sa lubie du parfait film d'action. Qui sait si son obsession lui vient d'une saga Rambo vue trop tôt, s'il est encore en rémission d'un high-kick de Tony Jaa, d'une fusillade de John Woo ou d'une punchline de Belmondo ? Quoi qu'il en soit, évitez les mots « cascadeurs français » et « John Wick 4 » près de lui, on en a perdu plus d'un. Dernier signalement : on l'aurait vu sur un toit parisien, apprenant le bushido aux pigeons sur la bande-son de son film préféré, Ghost Dog de Jim Jarmusch. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riGco

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