Reptile


Ce n’est pas peu dire que ce Reptile (Grant Singer, 2023) intriguait ! Une enquête policière torturée, une ambiance crépusculaire à l’américaine, un héros fatigué incarné par un Benicio Del Toro plus Droopy que jamais. N’en jetez plus : ce film était sur le papier la petite pépite à se mettre sous la dent un soir de pluie, un plaid sur les épaules…

Benicio Del Toro soucieux au volant d'un véhicule, plongé dans l'ombre ; seul ses yeux sont éclairés par le soleil qui luit derrière lui ; plan issu du film Reptile.

© Netflix

Banal suspects

© Netflix

Comme beaucoup de ses collègues, Grant Singer vient du clip musical, une école qui nous aura offert David Fincher, Michael Bay, Quentin Dupieux, Laurent Boutonnat ou encore Michel Gondry – on vous conseille d’ailleurs de vous rendre sur notre Instagram pour découvrir un contenu exclusif consacré à l’art du clip de ce dernier. Des artistes aussi variés et inégaux qu’identifiables par leurs styles visuels. Car on a tendance à penser que les cinéastes issus du clip doivent avoir des styles forts et que la seule image est au cœur de leurs démarches. Alors quand un rookie se présente avec un premier long-métrage, les regards sont braqués sur l’esthétique de son film, et le moindre faux pas serait impardonnable. Si Grant Singer se voit offrir ce premier essai, ce n’est pas pour avoir réalisé les clips de petits groupes obscurs de la scène lycéenne de Nouvelle-Angleterre. Non, on doit au Monsieur des scopitones pour The Weeknd, Sam Smith, Taylor Swift ou Ariana Grande, ce qui en fait l’un des clippeurs les plus demandés du moment. Reptile arrive donc comme un accomplissement et la promesse d’un travail à la bonne facture visuelle. Et en se posant comme un fils spirituel de True Detective (Nic Pizzolatto, depuis 2014), les ambitions sont grandes ! Sans compter que Benicio Del Toro, qui interprète le rôle principal de ce polar, a participé à l’écriture : un tel investissement de sa part n’étant plus arrivé depuis Che (Steven Soderbergh, 2008), cela ne pouvait que renforcer notre intérêt… Reptile raconte l’enquête de Tom Nichols sur le meurtre d’une femme, agent immobilier de son état. Au gré du scénario, les suspects s’enchaînent dont le petit ami de la jeune femme, joué par Justin Timberlake. En remettant en question sa propre vie, l’inspecteur va découvrir les secrets d’une petite ville américaine… En dire plus serait prendre le risque de vous spoiler.

Un échange entre une vielle femme et Justin Timberlake ; nous voyons au premier plan le regard suppliant de la vielle femme, floue ; au second plan le reflet de Timberlake, droit, en costume, dans un miroir ; plan extrait du film Reptile disponible sur Netflix.

© Netflix

Le conformisme évident du scénario – un whodunit plus que classique – est, dès l’introduction du film, contrebalancé par deux choses : la qualité des images et Benicio Del Toro. Si le montage peut sembler quelque peu aléatoire, la photographie de Mike Gioulakis, derrière les derniers Shyamalan, Us (Jordan Peele, 2019) ou Under The Silver Lake (David Robert Mitchell, 2018), impressionne. Grands angles, effets de caméra assez marqués, la photographie marche clairement dans les pas de David Fincher ou de Cary Joji Fukunaga qui avait réalisé la première saison de True Detective. Benicio Del Toro quant à lui porte littéralement tout le long-métrage sur ses larges épaules puisqu’il est de toutes les scènes. En ré-endossant le costume de flic un peu débonnaire, il renvoie à son interprétation de Sicario (Denis Villeneuve, 2015) en y injectant beaucoup plus d’humanité. Son personnage est d’une sincérité folle dans un monde gangréné par le mensonge et les faux-semblants, l’acteur est désarmant. Et c’est vrai que cela fait du bien de retrouver le grand comédien qu’il a toujours été, après des incartades chez Marvel et dans Star Wars. Un rôle plus terre à terre qui lui sied bien davantage. Le reste du casting est plus hétérogène en termes de qualité d’interprétation : Justin Timberlake est plutôt convaincant dans un rôle froid et mystérieux, Frances Fisher, qui joue sa mère, est toujours impeccable, et cela fait plaisir de revoir la revenante Alicia Silverstone. En revanche, la façon de diriger Michael Pitt questionne. Lui qui fut au milieu des années 2000 un acteur prometteur se retrouve à surjouer un déséquilibré pas vraiment crédible. Connaissant son potentiel, il semblerait que ce soit plutôt du côté de l’écriture et de la direction qu’il y ait à redire.

Plan rapproché-poitrine sur une Alicia Silvertsone circonspecte, assise dans un salon plutôt sombre, à la lumière vaguement jaune, dans le film Reptile.

© Netflix

Mais surtout, ce qui fait de Reptile un pétard mouillé et qui annule d’un revers de bras les qualités en présence, c’est la résolution de l’enquête et donc du long-métrage. En traitant d’un féminicide, Grant Singer avait l’occasion de parler d’un phénomène malheureusement bien réel, d’en disséquer les mécanismes, mais il n’en fait rien. Finalement, nous sommes face à une succession de clichés où chaque motif du polar à l’ancienne, dont la figure de la femme assassinée, est une perle enfilée sans aucune mise en perspective. Tout est cristallisé dans le personnage incarné par Justin Timberlake : en tant que compagnon de la victime, il est nécessairement suspect, mais le film n’appuie jamais sur l’idée de violence conjugale ou sur les raisons qui mènent au meurtre de sa compagne, tout est trop survolé de ce point de vue-là. Et puis, sans spoiler, la résolution arrive de manière trop attendue, après que le montage, trop elliptique, nous a un peu baladés pour rien. Peut-être que Grant Singer, voyant son final trop prévisible, a cherché à rendre son récit plus retors, mais cela a pour effet d’agacer le spectateur plus qu’autre chose. Alors le final arrive comme une libération pour le spectateur, sans surprise et après une demi-heure d’égarements franchement compliquée à tenir. Tout ceci aurait mérité une meilleure fluidité, au diapason du filmage par exemple, pour faire de Reptile le polar qu’il souhaitait être. Restent de belles qualités visuelles et d’interprétation, rien toutefois qui ne puisse empêcher le long-métrage de tomber dans les limbes du catalogue Netflix…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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