Après Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (2004), Alfonso Cuarón récidive avec une nouvelle adaptation littéraire, issue de l’œuvre de P.D. James Les Fils de l’Homme (2006). Récit d’anticipation sur fond de monde post-apocalyptique, Les Fils de l’Homme se questionne sur notre futur tout en ambitionnant de tendre un miroir aux affres de notre monde actuel.
Demain, l’espoir
Tout juste sortie du succès critique et public de Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (2004), Alfonso Cuarón enchaîne sur une nouvelle adaptation d’œuvre littéraire avec Les Fils de l’Homme adaptation d’une œuvre écrite par P.D. James. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier essai puisque, en plus du troisième opus de la saga du jeune sorcier, ses longs-métrages La petite princesse (1995) et De grandes espérances (1998) étaient, eux aussi, adaptés de romans. Si Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (2004) révélera le nom du réalisateur mexicain au monde entier, la profession et les cinéphiles aguerris connaissaient déjà son travail, maintes fois sélectionné dans les grands festivals et déjà nommés ou récompensés lors des cérémonies de prix majeurs. C’est dans cette condition de réalisateur reconnu par les siens puis auréolé d’une nouvelle aura internationale, qu’il met en chantier Les Fils de l’Homme. En réalité, il s’agit d’un projet de longue date, le processus d’écriture du scénario ayant débuté dès 2001 avant de connaître une interruption du fait de l’année passée à Poudlard. De son aveu, cette parenthèse et expérience aux manœuvres d’une très grosse production aurait permis à Cuarón de mieux appréhender l’aventure des Fils de l’Homme, projet dantesque qui nécessitait de relever plusieurs challenges de taille – tel que la création d’un Londres futuriste, sans réellement l’être, et prenant place en 2027. Plus important, et de manière moins formelle, Les Fils de l’Homme a une place particulière et pivot dans la filmographie de Alfonso Cuarón, tant les thématiques qu’il travaille ici se recoupent avec celles de ces précédents films, tout en annonçant celles de ces projets à venir : en premier lieu duquel la parentalité et bien sûr, un fil rouge narratif récurrent dans son travail qu’est la transhumance du désespoir vers l’espoir.
C’est d’ailleurs complètement désespéré que nous apparaît pour la première fois Theo Faron, interprété par Clive Owen. Alors que tout le monde pleure le décès du plus jeune humain sur Terre, il continue à passer sa commande et repart avec son café – à contre-courant des visages en pleurs qui, eux, restent fixés sur les chaînes infos. C’est bien malgré lui qu’il finira par se voir embarqué dans un road-trip afin de sauver le premier nouveau-né que le monde ait connu depuis des décennies, la totalité des habitants de la Terre étant devenues stérile. On apprendra par la suite que Theo a eu un enfant, décédé depuis, et que son désespoir permanent est né de cette perte. Ce n’est que par ce qu’il y est confronté qu’il finira par essayer de sauver cet enfant, pas encore né, et sa mère, Kee. Si le film est un récit d’initiation, sur la route et avec des personnages en mouvement constant – nous pourrions justement simplifier ce trajet en le décrivant comme un road-movie post-apocalyptique allant d’un point de départ qu’est « le désespoir » à une arrivée, le retour de « l’espoir ». Ce cheminement, certes primaire, de passage d’une émotion à une autre est important, voire structurel, tant il s’incarne autour de la figure de Theo qui va être un véritable point d’ancrage pour le spectateur. C’est l’une des grandes forces de Les Fils de l’Homme : son impressionnante volonté à rendre son récit plus réaliste qu’il ne l’est déjà. La caméra offre un point de vue immersif, qui donnerait presque l’impression au spectateur d’être partie prenante du récit et des enjeux. En ce sens, il y a un moment précis, dans la dernière partie, qui appuie cette impression puisque de la terre et du sang viennent maculer le cadre et l’objectif de la caméra. À cet instant, nous sommes en droit de nous demander quelle place la caméra et le filmeur prennent ? Jusqu’alors en dehors, par ce simple détail, elle appartient désormais à la diégèse de l’œuvre, et raconte quelque chose de plus fort, rappelant des images d’actualités désastreuses et ramenant le futur au présent.
Si Les Fils de l’Homme est bien un récit d’anticipation, il s’agit pourtant d’un anti-Blade Runner (Ridley Scott, 1982). Ici, seule l’indication temporelle donnée au début du long-métrage permet de savoir concrètement qu’il se place en 2027. Alors oui, le monde a basculé dans une terreur et une pauvreté sans pareil, qui n’est, heureusement pas encore le cas de notre société contemporaine. Mais dans Les Fils de l’Homme, point de voitures qui volent et d’hologrammes, on y imprime même encore le journal sur du papier. Il s’agit donc moins d’un monde futuriste que d’une vision alternative de notre monde, replacé dans un contexte, en proie aux doutes et incertitudes de notre époque, où tout aurait tourné au pire. Toute l’étrangeté et l’inquiétude qui émane du long-métrage survient de ces éléments du récit qui convoque de façon brutale et violente les grands questionnements de notre temps : l’immigration, le terrorisme, les enjeux écologiques, etc… Mais toute l’intelligence du propos de Cuarón n’est pas de simplement se faire prophète d’un monde possiblement en devenir, mais de faire communiquer son intrigue et ses motifs avec la plus vieille histoire du monde, celle du destin d’un jeune enfant, né dans une étable à Bethléem. Si la comparaison semble facile, on ne peut pourtant pas y échapper. Les Fils de l’Homme n’est pas tant un filmsur la religion – le personnage de Kee ironise d’ailleurs sur les similitudes avec Jésus, blaguant sur le fait qu’elle est vierge, alors que ce n’est pas le cas –néanmoins, le père biologique est bien absent, et comme Joseph, Theo embrasse le statut paternel de l’enfant à naître. Sans suivra plusieurs similitudes avec la grande Histoire biblique, dont la révélation du ventre rond de Kee à Theo dans une étable, au milieu des vaches. Toutefois ce n’est pas dans cette invitation au spectateur à jouer au petit jeu des similitudes ou différences que cet emprunt biblique trouve tout son intérêt et sa force symbolique, mais bel et bien dans la façon dont cela nourrit le récit de sens d’interprétation, de clés d’analyse. Le monde dans lequel évolue nos protagonistes a besoin d’un miracle pour tenter d’aller mieux, et ce sera la seule chose qui rendra possible cette potentielle amélioration. Ce sentiment est cristallisé dans l’une des séquences de fin : alors que Kee a donné la vie à une petite fille – et après plusieurs bras de fers avec ceux qui veulent enlever l’enfant à des fins politiques – Theo et elle descendent les escaliers d’un immeuble afin de regagner leur barque. Alors que des affrontements font rages, et que la petite pleure sous les cris des balles soudainement le monde s’arrête. Les hommes et femmes oublient leur animosité pour laisser passer les deux adultes et l’enfant. Le fracas sonore laisse alors place au silence.. C’est alors que le monde, synthétisé dans cet immeuble, retrouve un moment de paix et de repos.
On dit souvent, à raison, que les enfants sont l’avenir d’une société – sauf dans Les révoltés de l’an 2000 (Narciso Ibáñez Serrador, 1976) – et de notre monde. Les Fils de l’Homme confronte les habitants de la Terre – et par extension, nous autres, spectateurs – à la réalité immonde d’un monde sans enfants, sans avenir et sans incarnation de l’espoir en somme. La dernière image aussi énigmatique que sublime – et qui évite un happy-ending trop appuyé – nous laisse dans un flottement : l’espoir est là, il est visible (dans la diégèse, il s’agit du bateau Tommorow, sanctuaire pour la mère et la fille), mais pas pour autant à portée de main. Comme les Croisés en leur temps, ce combat aura amené plusieurs de ces croyants à la mort, et qui pourtant l’embrassent avec le sourire : Theo peut alors faire le deuil de son fils, l’enfant – symbole de tous les autres à venir – est en vie. L’espoir avec lui.