La Chute de la Maison Usher (Mini-Série)


Habitué des adaptations de Stephen King et des séries Netflix à base de fantômes, Mike Flanagan signe une nouvelle œuvre où le fantastique tient une place prépondérante mais où, avant son départ chez Amazon Prime, il tente un commentaire sur le capitalisme meurtrier. Ce n’est pas avec La Chute de la maison Usher (2023) que le cinéaste qui a osé faire une suite à un film de Kubrick arrêtera de diviser…

A une étrange soirée où tout le monde porte des casques de réalité virtuelle, une femme blonde porte une cape de chaperon rouge, et un masque de squelette ; scène de La chute de la maison Usher.

© Netflix

Death is our buisness

Trois hommes dans un bureau ; au premier plan, un crâne, vu de dos, assis derrière le bureau ; au second plan, les deux autres, assis face à lui, les visages hautains et fermés ; plan de la mini-série La chute de la maison Usher.

© Netflix

Mike Flanagan est ce que l’on appelle un bon élève. Un peu comme J.J. Abrams, il récite ses gammes et ses influences avec application, et contrairement au fossoyeur des sagas galactiques, on peut lui reconnaitre beaucoup de talent. Biberonné à Stephen King, il a signé deux adaptations de son œuvre : Jessie (2017) et Doctor Sleep (2019) suite officielle mais pas trop de Shining (Stanley Kubrick, 1980). Et comme il a fait montre d’une grande maîtrise de ses effets horrifiques et qu’il s’est taillé une solide réputation, depuis 2018, Flanagan a été choisi par Netflix pour travailler sur tout un tas de séries. Dans le haut du panier, on retrouve The Haunting Of Hill House (2018) ou Sermons de minuit (2021), et pour les moins réussies, on a The Haunting Of Bly Manor (2020) et The Midnight Club (2022). En gros, un coup sur deux, ça fonctionne. Alors, dans quelle catégorie se situe son nouveau bébé, La Chute de la maison Usher ? La série est vaguement adaptée d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe en ce qui concerne sa colonne vertébrale, ensuite chaque épisode est une relecture d’autres nouvelles de l’auteur romantique. Poe et Flanagan, une évidence sur le papier tant les œuvres précédentes du réalisateur sont emprunts de cette dimension romantique. Il suffit d’écouter les magnifiques thèmes du diptyque The Haunting pour s’en convaincre. Cependant, La Chute de la maison Usher prend nos fantasmes à contrepied puisque la série s’emploie dès son premier épisode à aller dans d’autres directions. Roderick Usher est un homme immensément riche qui a fait fortune, avec sa sœur Madeline, dans l’industrie pharmaceutique en prenant soin de contourner toutes les règles encadrant la fabrication et la propagation des médicaments sur les marchés mondiaux. Alors que ses six enfants, quasiment tous issus d’unions différentes, meurent les uns après les autres, et que la fin semble le guetter, Usher décide de se confier à Auguste Dupin, le procureur ayant depuis toujours chercher à le faire tomber.

Un homme avec du sang sur le visage hurle de rage, dans un salon calmement baigné par un doux soleil de crépuscule ; scène issue de la mini-série La chute de la maison Usher.

© Netflix

Mis à part ses volets introductif et conclusif, chaque épisode est consacré à la mort d’un des enfants Usher. En adaptant des nouvelles telles que Le Scarabée d’Or (1843) ou Double Assassinat de la rue Morgue (1841), la série se permet de petites incartades avec sa structure globale. Chaque épisode devient alors un petit conte moral où le dénominateur commun est bien sûr la mort, quitte à risquer la répétition et un phénomène certain de lassitude. Manque de pot, la mort la plus spectaculaire et inattendue est bel et bien celle du second épisode consacré au cadet des Usher, condamnant très tôt le reste de la série à la redondance et peut-être même à l’ennui. Pourtant, et c’est là tout le talent du cinéaste, la série parvient à capter l’attention. Même dans ses séries les moins réussies, il y a chez Flanagan un côté page turner, comme chez Stephen King, qui arrivera quoiqu’il arrive à retenir son auditoire. Les mystères disséminés très tôt deviennent entêtants et la série nous met aussi face à notre propre curiosité morbide. La chute est annoncée dans le titre, nous ne souhaitons qu’observer comment elle arrive. Alors Flanagan enchaine les mises à mort façon Destination Finale (James Wong, 2000), dans tout ce qu’elles ont d’inéluctable et de punitif. Les seules « quêtes » que le spectateur souhaitera voir se résoudre étant de savoir comment le personnage central en est arrivé là et pourquoi la mort lui rôde autour. Alors La chute de la maison Usher prend le temps, beaucoup de temps, pour mettre en place ses pions qui, à la lumière de l’épisode final, prennent forcément sens. Mais, encore une fois, l’ennui guette et comme souvent chez Flanagan, les échanges entre les personnages, pourtant bien filmés, s’embourbent parfois dans le trop verbeux. Les dialogues ne sont pas mal écrits à proprement parler, mais sont tantôt inutiles, tantôt trop explicatifs quitte à alourdir chaque aspect symbolique de la série. Cela se fait malheureusement au détriment de la peur qui, à quelques jump scare près, a bien du mal à prendre ce qui pourrait expliquer une surenchère dans le gore, qui n’était pas trop présent jusqu’ici dans le travail de son auteur.

Dans un salon tout blanc, aux allures futuristes, une jeune femme aux cheveux blancs, dirige un regard interrogateur vers le hors-champ ; derrière elle, deux sbires vêtus de noir, une adolescente et un jeune homme ; plan de La chute de la maison Usher.

© Netflix

Le style de Mike Flanagan a la qualité de ses défauts et le ton désormais familier de ses productions a un côté malgré tout réconfortant et accueillant. En choisissant de travailler avec des comédien.ne.s que l’on retrouve de série en série, le créateur installe un sentiment d’intimité immédiat avec les personnages, quand bien même ils représentent ce qui se fait de pire en terme d’humanité. Et ce casting est bien entendu excellent, qu’il s’agisse de réguliers comme Kate Siegel, Henry Thomas ou Bruce Greenwood, impérial, ou de petits nouveaux comme Willa Fitzgerald ou Mark Hamill, inquiétant. D’ailleurs voir le petit Elliott de E.T. L’Extra-Terrestre (Steven Spielberg, 1982) et Luke Skywalker partager quelques scènes est un plaisir assez savoureux ! C’est la richesse et la force de cette troupe que Flanagan trimballe sur tous ses projets – devant et derrière la caméra – et cela contrebalance parfaitement avec les quelques errements de la série. Carla Gugino, l’une des muses de l’auteur, incarne une ombre avec une telle force qu’elle plane sur toute la série. Si elle a recours à quelques facilités en abusant des effets gothiques – ce corbeau… – la mise en scène est soignée, d’une élégance folle. Nous changeons de décorum, les maisons hantées, les bougies et les villages intemporels laissent place aux lofts, aux néons et penthouses luxueux. Un choix en adéquation avec le sujet de la série, bien évidemment, et qui dénote un peu avec les travaux précédents du réalisateur. Très vite toutefois, on comprend qu’avec ces sols laqués et appartements type Trump Towers, celui-ci semble vouloir faire un parallèle entre le fantastique d’épouvante et l’horreur du capitalisme qu’il nous montre. C’est là tout le sujet de la mini-série : nous montrer tous les travers et les côtés les plus carnassiers de l’argent. Alors les petits contes moraux évoqués plus haut vont dans ce sens, et à chaque épisode son petit message sur les abus des classes les plus hautes. Le dernier épisode, au détour d’un monologue formidable de Madeline, nous jette la note d’intention de la série au visage : le capitalisme est la pire des horreurs et finalement, les esprits, les fantômes bien présents dans La Chute de la Maison Usher n’en sont que les instruments voire les victimes. On pourra trouver le message pertinent, ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes, et/ou quelque peu cynique pour un Mike Flanagan qui a signé ses plus grands succès chez Netflix et qui s’apprête à passer chez Jeff Bezos pour un nouveau contrat mirobolant. Les plus réfractaires au message, comme les allergiques au supposé wokisme de Netflix, détesteront. Toujours est-il qu’au sein d’une industrie trop souvent formatée, mal incarnée et policée, cette série apparaît salutaire.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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