On poursuit notre découverte des films en compétition cette année au PIFFF 2023 avec Halfway Home, une comédie romantique hongroise qui s’assume comme un véritable conte de fées dans lequel magie, sorcières et revenants exaltent notre morne réalité et réactivent le récit pourtant éculé de l’amour impossible.
Je l’aime à mourir
Le Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) proposait cette année deux films hongrois en compétition et selon les dires des organisateurs, pas moins de six productions hongroises ont été proposés cette année, preuve de la grande vivacité du cinéma de genres dans le pays de Bela Tarr. Cette appétence pour l’imaginaire n’est pas surprenante quand on sait que le cinéma hongrois cultive historiquement un rapport ambigu au réel, entre cinéma-direct et stylisation de l’image, porté notamment par le travail d’artistes à la renommée internationale comme Sandor Sara, István Dárday ou Imre Gyöngyössy. Faut-il voir dans cette échappée vers le cinéma de genres une volonté plus ou moins consciente des artistes hongrois à fuir le réel afin d’échapper à une actualité politique houleuse ? Halfway Home pousse en tout cas les potards à fond du côté du formalisme. Si le nouveau film de Isti Madarász plante son décor dans la banlieue de Budapest avec ses immenses tours monolithiques, il ajoute par-dessus une couche de couleurs, de textures et d’éléments anachroniques qui dé-contextualisent le récit pour mieux l’emmener vers les rivages intemporels du conte.
On y suit Krisztian, orphelin recueilli par une vieille femme acariâtre, fraîchement promu gardien de nuit dans une morgue au fonctionnement étrange : toutes les nuits, les morts coincés sur Terre reviennent à la vie et supplient le jeune Krisztian de les aider à alléger leurs âmes pour rejoindre l’au-delà. Autant dire que cette mission n’était pas inscrite sur sa fiche de poste ! Mais le jeune homme s’acquittera tout de même de sa tâche, aidant tel un bon samaritain les morts à résoudre leurs vies inachevées, jusqu’au jour où l’amour de sa vie, fraîchement décédée, débarque à son tour. Une fois plongé dans le conte, Madarasz s’amuse avec les codes inhérents au genre pour pimenter cette relation amoureuse coincée entre deux mondes. Si Krisztian aide vraiment Agi, elle disparaîtra à jamais. S’il ne fait rien, elle ira en enfer. Choix cornélien que le cinéaste parvient à faire tenir sur la totalité de Halfway Home grâce à quelques péripéties bien senties et surtout grâce au charme désarmant de nos deux tourtereaux. L’alchimie est scellée dès la première séquence qui les fait se rencontrer au détour d’une chute à vélo. Le dialogue est vif et piquant, parsemé de gags et filmé dans le mouvement. On tombe rapidement sous le charme de Ruijder Vivien qui rayonne dans le rôle de Agi, tandis que Peter Barnai campe un Krisztian touchant, sorte de Tanguy naïf, mais volontaire.
Madarasz confesse dans une interview pour The geek qu’il avait envie de faire un film populaire et rassembleur pour le public hongrois. Plutôt que de copier les codes de la culture américaine, Halfway Home cherche davantage du côté du folklore national et donc du conte qu’il considère un peu comme les fondements de la pop culture européenne : “nos super-héros à nous”. Une approche pertinente quand on constate que le genre fantastique a assez largement délaissé le féerique ces dernières années. Le cinéaste s’inscrit donc dans la continuité de Tim Burton ou même de Jean-Pierre Jeunet, dont l’esthétique ultra marquée et les personnages loufoques semblent ici trouver leurs héritiers. Mentions spéciales pour les revenants de la morgue aux gueules inoubliables et aux costumes que n’aurait pas reniés Jean-Paul Gaultier ! Une comédie plaisante donc sans être novatrice, qui tient surtout par son capital sympathie plus que par la rigueur de son rythme et de son écriture parfois simpliste. Ce que l’on pourrait tout de même reprocher à Halfway Home c’est son romantisme hétéronormé un peu désuet. Certes, le personnage d’Agi vole la vedette, mais elle reste finalement la fille en détresse à sauver des affres de la mort par le héros masculin. La toute première séquence de l’incendie à l’hôpital filme même les amoureux en nouveaux-nés complices, déjà liés par le destin marital et affublés de vêtements codifiés bleu/rose façon Un gars, une fille (Isabelle Camus & Hélène Jacques, 1999-2003). Des choix questionnables qui rendent le long-métrage décidément inactuel, cette fois pour des raisons moins louables. Peut-être que cette représentation traditionnelle du couple était la condition nécessaire à probabilité d’un succès populaire en Hongrie au regard de l’actualité du pays qui voit d’un mauvais œil la modernisation des mœurs. En attendant, on se console avec cette sympathique comédie romantique dont la singularité dénote cette année au sein de la programmation du PIFFF.