Die Hard : Piège de Cristal


Définir les contours de ce qu’est un film de Noël, c’est prendre le risque de raviver un débat aussi violent que « Pain au chocolat vs. Chocolatine ». Car il n’y a pas que les flocons et les cadeaux qui font d’une œuvre un parfait moment de Noël. Et c’est tout ce que Die Hard : Piège de cristal (John McTiernan, 1988) incarne ; une certaine idée de Noël sur bien des aspects…

Bruce Willis couvert de suie, hilare dans le film Die Hard : Piège de Cristal.

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Yippee-Ki-Way fucking Santa!

Scène de Die Hard : Piège de Cristal où Bruce Willis rampe dans un mine conduit d'aération.

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Pour beaucoup, le film de Noël parfait s’incarne par un esprit, celui des fêtes de fin d’année donc. Le film de Noël obéirait par conséquent qu’à une règle immuable : se situer dans les derniers jours de décembre. De ce point de départ temporel, moult films ont alors décliner la formule par le biais de l’horreur – Jack Frost (Michael Cooney, 1997) par exemple – de la comédie familiale – Maman j’ai raté l’avion (Chris Columbus, 1990) – de la comédie romantique – se reporter au programme TV pour constater le nombre de téléfilms sur le sujet à cette période de l’année – etc. Certains films ont déjoué les règles d’or en les contournant comme Harry Potter à l’école des sorciers (C. Columbus, 2001) qui se déroule sur une année entière mais qui pourtant embrasse ce côté réconfortant des films de Noël. Mais tout ceci est bien subjectif. Après tout, n’importe quel film doudou peut prétendre au titre de film de Noël ! Un youtubeur bien connu, Durendal pour ne pas le nommer, s’est ainsi plusieurs fois offusqué que l’on puisse mettre dans cette illustre catégorie Die Hard : Piège de cristal. Selon les arguments des « contre », le film de McTiernan est un film d’action qui aurait tout aussi bien pu se situer un autre soir que Noël, et que l’anniversaire de Jésus n’est pas du tout au cœur de l’intrigue. Certes. Mais le film se passe bel et bien à Noël, et c’est bien cette toile de fond, de la fête au Nakatomi Plaza à la chanson finale de Sinatra qui berce le spectateur de bout en bout. Le genre auquel se rattache le film, l’action, n’est qu’un prétexte, au même titre que Douce nuit, sanglante nuit (Charles E. Sellier JR., 1984) qui avait choisi l’épouvante pour parler de Noël directement ou indirectement. N’en déplaise à Durendal, Die Hard est bel et bien un film de Noël pour certain.e.s.

Le méchant Alan Rickman pensif, devant une fenêtre de nuit ; une lueur blanche sort à travers les minces espaces du store fermé devant lui ; plan issu du film Die Hard : Piège de Cristal.

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Tout a été dit sur Piège de cristal (a-t-on déjà fait meilleur titre français ?), de sa conception à son succès phénoménal qui entrainera deux suites, 58 minutes pour vivre (Renny Harlin, 1990) et surtout Une Journée en enfer (J. McTiernan, 1995), puis deux étrons que l’on préfèrera oublier. Le film était à la base une suite au Détective (Gordon Douglas, 1968) avec Frank Sinatra qui était trop vieux dans les années 80 pour reprendre du service. Confié à un jeune acteur qui cartonne à la télé, le rôle de McClane est alors la grande inconnue du projet tant il reposait sur une aura encore à déterminer pour Bruce Willis. L’acteur incarne un flic new-yorkais qui se rend à Los Angeles pour retrouver sa femme partie y travailler. Arrivé au Nakatomi Plaza où se tient une fête pour Noël, il doit faire face à des terroristes menés par Hans Gruber qui viennent braquer M. Takagi, le patron de la femme de ce bon vieux John. Notre cher Bruce Willis porte le film du début à la fin avec une nonchalance et une fragilité qui allaient redéfinir l’idée même du héros, au sortir des années 80 portées par des figures musclées comme Stallone ou Schwarzenegger. C’est la grande force de Die Hard, imposer un nouveau genre d’action hero et installer un personnage instantanément culte au panthéon de l’Histoire du Cinéma. Iconisé dès les premières minutes avec son marcel et ses pieds nus, c’est par ses répliques cinglantes et son manque évident de chance, que McClane ressemble à tout un chacun, et Willis lui offre toute sa bonhommie et son charisme. Comme le préconisait Hitchcock, un bon bad guy est nécessaire à un bon film. Et il faut dire que le Hans Gruber proposé par le regretté Alan Rickman est un vilain d’anthologie. Il fallait toute la folie de l’acteur pour rendre le méchant du film aussi attachant que le héros. Bonnie Bedelia, qui incarne Holly, la femme de McClane, apporte un mordant typique des eighties qui rendait les femmes terriblement bad ass à l’écran. Et Reginald VelJohnson, dans la peau d’Al Powell, apporte une humanité bienvenue à ce déferlement d’action et de violence débridée. Le casting est absolument parfait et épouse exactement comme il le faut le scénario de Steven De Souza et de Jeb Stuart, mais surtout la mise en scène de McTiernan.

En contre-plongée, une vitre brisée ; Bruce Willis se tient dans le trou dans le verre, droit, toisant l'adversaire qui, on le devine, vient de tomber de l'immeuble ; plan issu du film Die Hard : Piège de Cristal.

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Depuis le début de sa carrière jusqu’à ses derniers films, McT a toujours cherché à questionner la figure du héros tout en muscles aux valeurs toutes américaines. C’était le cas déjà dans Predator (1987) où il filmait le corps de Schwarzy comme celui d’un alien, ou dans Last Action Hero (1993), où il interrogeait frontalement l’illusion autour du surhomme. Coincé entre les deux, Die Hard suit totalement cette démarche en proposant un héros faillible. C’est la patte McTiernan, et elle se montre dans sa façon de filmer et de déployer sa caméra d’un étage à l’autre sans jamais perdre son spectateur. Le cinéaste est coutumier des espaces difficiles à représenter à l’image, qu’il s’agisse d’une jungle pour Predator, d’un endroit clôt dans À la poursuite d’Octobre rouge (1990) ou de New-York tout en entier dans Une Journée en enfer. Sa caméra et son sens du découpage savent situer le spectateur dans un environnement donné. Dans Die Hard, ce sont les petits détails comme un calendrier, et les mouvements de caméra qui font office de repères. Jamais perdu, le spectateur a toujours une longueur d’avance sur le malheureux McClane. Ce qui a pour effet de décupler la force de certaines scènes comme celles de la rencontre physique entre le flic new-yorkais et Hans Gruber dans le dernier acte où le spectateur sent le piège se refermer sur McClane, avant que le mise en scène ne vienne nous surprendre dans un dernier geste, faisant définitivement de John le héros que l’on attendait. Il y a une forme de pureté dans la mise en scène de John McTiernan, malgré la violence sur laquelle il ne fait jamais de compromis, qui est largement aidé par la photographie magnifique de Jan De Bont, futur réalisateur de Speed (1995), un bon ersatz de Piège de cristal.

Bruce Willis à l'affût, allongé par terre, un revolver dans la main dans le film Die Hard : Piège de Cristal.

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On compare souvent Die Hard à L’Arme fatale (Richard Donner, 1987) qui lui aussi impose un héros plus humain, se déroule pendant les fêtes de Noël et use du genre policier. Mais la différence majeure entre les deux, malgré tout notre amour et respect pour Richard Donner, c’est bien l’authentique point de vue sur l’action que porte McTiernan. Il pense chaque scène comme une réflexion sur le genre. Une démarche quasi méta, cinq ans avant d’y mettre plus franchement les pieds dans Last Action Hero. Piège de cristal est donc bien plus qu’un film de Noël. Il est le cinéma d’action à lui tout seul, dans toute sa ruse, sa pyrotechnie et sa maestria. Il est, et ça c’est totalement subjectif, un film doudou parfait comme peuvent l’être Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985), E.T. L’Extra-terrestre (Steven Spielberg, 1982), Gremlins (Joe Dante, 1984) – que notre rédac’ chef m’oblige à citer – et tant d’autres. C’est ce côté réconfortant, les répliques cultes, la musique de Michael Kamen, presque plus que la chanson de Sinatra ou les boules de Noël sur le sapin du Nakatomi Plaza, qui en font un rendez-vous au coin du feu incontournable quand la météo ou les guerres à travers le monde viennent nous saper le moral. Die Hard est un film satisfaisant de son intro à son générique final, une œuvre complexe dans sa façon de concevoir le cinéma d’action d’après et de théoriser à ce sujet, mais infiniment généreuse et abordable dans ce qu’elle raconte et ce qu’elle déploie comme outils narratifs et de mise en image. Au regard de ce que le cinéma d’action est devenu depuis une dizaine d’années – et peut-être serions-nous d’accord avec Durendal sur ce point précis – il serait bon, pour tout un tas de producteurs, de profiter des festivités de fin d’année pour potasser un peu le sujet et de s’appuyer sur l’héritage de John McTiernan afin d’envisager un avenir plus radieux au genre… Mais là, cela relèverait du miracle de Noël ! On ne peut pas trop en demander…

 


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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