Small Soldiers


En 2012, suite à sa venue au Festival International du Film d’Amiens, nous avions consacré un large dossier à la filmographie de Joe Dante. Pourtant, manquait à l’appel l’évocation de Small Soldiers (1998). Il fallait bien réparer cette erreur manifeste, même si nous sommes presque dix ans plus tard. Pour cela, il fallait trouver un prétexte, et celle de notre calendrier de l’avent qui fait pas genre était parfaite même s’il ne s’agit pas en bonne et due forme d’un film de noël, mais un film de jouets, par essence, ça se regarde à Noël.

Les deux jouets animés, le soldat Chip Hazard et le Chien guerrier Archer parlent, debout l'un à côté de l'autre dans le film Small Soldiers.

© Universal Pictures

Toy Horror Story

On a déjà dit beaucoup en ces lieux du cinéma de Joe Dante, cinéaste qu’on chérit pour son irrévérence, la façon qu’il a eue de pervertir les codes de représentation de la société américaine et du cinéma hollywoodienne. S’il est de coutume de le qualifier de « Gremlins à Hollywood » selon l’expression consacrée, il faut avouer que le bonhomme a oeuvré façon punk dans l’industrie du cinéma de divertissement. Inutile de revenir ici sur son manifeste, le déjanté Gremlins (1984) – mon petit doigt me dit que nous y reviendrons bien vite – ni sur sa suite Gremlins 2 : La Nouvelle Génération (1990) sommet d’élan auto-destructeur qui valu durant des années une grande défiance des studios à son égard. Car, depuis le lâcher-prise hyper politique que fut cette deuxième fournée, Dante se traîne une réputation de torpilleur kamikaze, attaquant méchamment à la sulfateuse le petit monde d’Hollywood, des médias et du grand capital, rien que ça. Steven Spielberg, lui-même, qui avait pourtant intronisé Dante dans les hautes sphères des studios-mastodontes, avait Fini par l’abandonner, quelque peu retourné par le feu d’artifices grinçant de cette nouvelle génération. « C’est donc cela les années 90… » aurait-il lâché, dépité, lors d’une projection test. Il fallut du temps pour que le grand Steven daigne revienne toquer à la porte de Joe la malice, une période durant laquelle, par ailleurs, Dante, orphelin de son mentor et producteur, peina à continuer d’exister à Hollywood. On retiendra, naturellement, le chef-d’oeuvre Panic sur Florida Beach (1993) – certainement à la fois le film le plus personnel de Joe Dante, mais aussi, son meilleur – seul éclaircie dans ce qui commençait à ressembler à une traversée du désert, gueule de bois post-Gremlins 2, avant que Steven mette ses rancunes de côté et viennent re-proposer, sur un plateau d’argent, un nouveau joujou de scénario pour que son copain tout azimuté vienne y piquer son venin.

Chip Hazard pointe son doigt menaçant vers Kirsten Dunst, étonnée, allongée près de lui dans le film Small Soldiers.

© Universal Pictures

Un peu d’Histoire. En 1994, Steven Spielberg, non content d’avoir déjà à son actif la création de Amblin Entertainment, décide de créer une nouvelle société de production, destinée à concurrencer le monopole des très gros studios (Disney, Warner, Universal) : son nom, Dreamworks Pictures. Très active dès sa création, la société produit certains des longs-metrages les plus ambitieux et récompensés de l’époque – Gladiator, American Beauty, entre autres… – si bien que, succès aidant, Spielberg et ses associés décident d’étendre leur champ d’action à l’animation en volume, qui vient d’être révolutionnée par le succès international de Toy Story (John Lasseter, 1995) des studios Pixar. Cette remise en perspective de l’Histoire du cinéma a toute son importance, puisque le projet Small Soldiers est dans les petits tiroirs de Spielberg depuis qu’il a fait acquisition du scénario en 1992. Pendant tout ce temps, le cinéaste-producteur refuse de le mettre en chantier, pensant qu’il nécessiterait des effets numériques pour que le film soit réussi et que la technologie – alors encore au tout début de sa révolution, notamment grâce au bon en avant que fut Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993) – n’était pas encore suffisamment développée. D’inertie en ré-écriture, Small Soldiers est devenu à Hollywood une arlésienne, avant que Spielberg ne daigne enfin le sortir de sa hotte, avec comme brillante idée d’aller retrouver son bon vieux copain Joe Dante pour le réaliser.

Plan rapproché-épaule sur une poupée type Barbie sans cheveux, au visage à moitié fondu et avec une petite cisaille de fortune en guise de bras gauche, dans une lumière angoissante de nuit.

© Universal Pictures

De son propre aveu l’intéressé n’attend pas très longtemps avant d’accepter. D’abord parce qu’il est en peine à Hollywood, pas loin de l’oubli. Et aussi parce que le scénario et ses enjeux le touchent tout particulièrement : « J’ai apprécié l’idée même au cœur du film, à savoir que les soldats américains ne sont pas forcément les gentils et que les monstres aux allures bizarres, les Gorgonites, ne sont pas les méchants. J’ai pensé que c’était un bon message à envoyer aux enfants. » (Rockyrama). En effet, le cinéma de Dante est traversé par un discours franchement anti-americain, ses films étant souvent des satires grinçantes de la middle-class américaine (Les Banlieusards), du consumérisme capitaliste (Gremlins), de l’interventionnisme militaire et des velléités guerrières du peuple américain (The Second Civil War)… Aussi, après avoir fait des « monstres bizarres » que sont les Gremlins, de véritables kamikazes venus là pour détruire la société américaine de l’intérieure, les « monstres bizarres » de Small Soldiers, les Gorgonites, sont quant à eux pacifistes et victimes de soldats américains miniatures qui veulent les occirr manu militari. Small Soldiers apparaît donc à la fois comme une forme de duplicata de la recette-Gremlins, tout autant que comme son parfait opposé. Parallèlement, avec son histoire de jouets qui prennent vie, Small Soldiers est aussi une forme de réponse en piraterie du Toy Story de Disney/Pixar. Aux bons sentiments fraternels qui unissent les jouets d’Andy chez Lasseter, Dante répond par un jeu de massacre où les jouets sont passés au tamis des pires atrocités, des pires tortures, comme si le long-métrage de Pixar ne se déroulait que dans la chambre de l’infâme Sid. C’est certainement ce prisme de la satire ricanante, qui, encore une fois, joua des tours au cinéaste.

Plan issu du film Small Soldiers où le soldat jouet Chip Hazard est allongé par terre, les yeux fermés, une partie du visage carbonisée.

© Universal Pictures

Et pour cause, le film fut largement suturé par ses producteurs et partenaires, la cause principalement à un contrat de marchandising avec Burger King, qui trouva le scénario beaucoup trop violent pour que ses petites figurines soient des produits d’appels pour meuns enfants. Joe Dante explique bien en quoi cette nouvelle aventure au pays des studios fut celle de trop pour lui – bien qu’il réitérera une dernière fois l’expérience avec Les Looney Tunes passent à l’action (2003), encouragé par Chuck Jones lui-même – dixit, toujours chez RockyRama : « Il y avait des partenariats avec plusieurs sociétés différentes qui voulaient un certain type de film. On m’a d’abord demandé de faire un film “tendance” pour les ados. Mais quand ils ont commencé à créer le matériel marketing, le ton était orienté vers les jeunes enfants et ils m’ont demandé de faire le film pour ce public-là. C’était déjà trop tard, la moitié du film était dans la boîte. Alors ils ont taillé dans les scènes jugées violentes, dans les explosions, ce genre de choses, le prétexte étant que les parents allaient se plaindre. Si vous commencez à faire un certain type de film et que les décideurs changent soudain d’avis à la moitié du tournage, ce qui arrive plus fréquemment qu’on ne veut bien le croire, ce n’est jamais bon pour le projet. Pendant le tournage, il m’est arrivé de recevoir des nouvelles pages de scénario, alors que je les avais tournées la veille ! Personne ne se tenait vraiment au courant, et il y a eu beaucoup de compromis à faire sur ce film ». Dans cette même interview, le cinéaste désigne son bébé comme simplement « correct » et « inconsistant ». En s’aventurant à le (re)découvrir aujourd’hui, il convient certainement de redire à quel point ce n’est pas tant que cela le cas. Certes, il ne s’agit ni du meilleur film de Joe Dante, ni du meilleur film d’horreur familial des années 1990, mais il n’en demeure pas moins que son irrévérence dantesque, sa direction artistique et son appétit référentiel – une constante chez Dante, lire notre article sur le livre Joe Dante l’art du je(u) – de même que l’inventivité mise en œuvre pour filmer ces jeux de massacre à hauteur de jouets – on pense dans le dernier tiers à cette même créativité meurtrière présente dans le Braindead (1992) de Peter Jackson – font de ce long-métrage a priori balisé par les studios et le marchandising, un pur ovni, brillant rappel d’un Hollywood d’hier, tellement plus aventureux qu’il ne l’est devenu aujourd’hui.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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