L’adorable voisine


Le confinement nous donne l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des classiques oubliés comme L’adorable voisine (Richard Quine, 1959) avec Kim Novak et James Stewart, une histoire de sorcière.

Gros plan sur Kim Novak, dont la bouche est cachée par un chat.

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Ma sorcière bien-aimée

Gil la sorcière avec son chat sur les épaules, scène du film L'adorable voisine.

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C’est Noël, Gil (Kim Novak) tient une boutique d’objets anthropologiques au rez-de-chaussée d’un immeuble. Elle s’ennuie et discute avec son chat (on le fait tous.tes et c’est naturel), lasse elle souhaite faire quelque chose d’exceptionnel dans sa vie. Mais Gil fait déjà quelque chose d’exceptionnel pour le commun des mortels : c’est une sorcière ! Sa tante Bianca, sorcière elle aussi, vit dans l’immeuble ainsi qu’un voisin mortel interprété par James Stewart. Le pauvre, victime des malices de la vieille sorcière (qui est une sacrée fouineuse), finit par rencontrer sa jeune voisine afin de lui emprunter le téléphone. La conversation entre Gil et lui aurait pu se terminer par de banales politesses, mais pour qu’il y ait une histoire à raconter il faut un élément déclencheur : la fiancée du mortel, éditeur de métier, n’est autre que la harceleuse de Gil lorsqu’elle était adolescente au pensionnat ! Ni une ni deux, la jeune sorcière utilise ses pouvoirs pour séduire son voisin et faire rompre le mariage. Et quel envoûtement ! Tandis qu’il raconte sa vie et la nécessité et l’urgence qu’il ressent à cinquante piges de se marier, Gil chantonne une mélodie incantatoire, son chat dans les bras. Les regards du familier et de la sorcière s’allient, tournent au violet – rappelant un procédé qu’on verra plus tard dans Les Sorcières de Nicolas Roeg – et paf ! Shepherd devient fou amoureux de Gil et rompt ses fiançailles avec l’ancienne harceleuse. Pendant ce temps, le frère de Gil, musicien et sorcier, rencontre un auteur de livre portant sur l’ésotérisme, un pur Moldu qui écrit n’importe quoi, et propose de l’aider à écrire des choses plus correctes et signe l’écriture de l’ouvrage avec… Sheperd ! Mais voilà, toute histoire hollywoodienne même fantastique semble avoir une morale. Gil tombe amoureuse de sa victime, lui confesse qu’elle est sorcière plus pour qu’il ne sorte pas l’ouvrage que par amour. Elle perd alors ses pouvoirs, son amant et même son chat qui ne peut être le familier d’une humaine. Déchue parce qu’amoureuse, celle qui jusqu’alors était forte et totalement indépendante apprend à pleurer et se lamente sur sa nouvelle condition et son amour perdu.

James Stewart assis les yeux écarquillés, tandis qu'un chat grimpe sur son épaule, à l’arrière-plan une fenêtre qui donne sur l'immeuble d'en face, scène du film L'adorable voisine.

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Adapté d’un gros succès de Broadway (Bell, Book and Candle, écrit et mis en scène par John Van Druten en 1950) et malgré sa fin acide, le long-métrage est enchanteur. Les quelques effets spéciaux visibles n’ont d’ailleurs pas si mal vieilli et contribuent au charme de l’adaptation. Le coupe Kim Novak/James Stewart fonctionne aussi bien que le film sorti la même année dans lequel on les retrouve, Sueurs froides (Vertigo, Alfred Hitchcock, 1958), même si on grimace quand on pense aux vingt-cinq ans de différence entre les deux. Assez bien mis en scène pour une comédie « légère », l’objet est, outre l’envoûtement de Sheperd, parsemé d’autres moments brillants. Je pense notamment à une scène au Zodiac, un club fréquenté principalement par des sorcières et des sorciers, où le groupe de jazz entoure la fiancée du héros pour la mettre mal à l’aise et la faire déguerpir. En français dans le texte nous retrouvons également le chansonnier Philippe Clay qui donne un numéro musical racontant la vie d’un noyé, glauque, mais incompris des spectateurs américains (ce qu’expliquera l’une des sorcières présentes dans la salle). Une autre scène marque l’esprit, lorsque Gil, son frère et sa tante invoquent grâce à une potion, l’auteur des mauvais livres sur les sciences occultes, et où un grand flair vert inonde de lumière le visage de la sorcière qui jusqu’alors utilisait le moins possible ces pouvoirs. Sans ce sort raté, la jeune femme se serait-elle laissée grisée par la magie pour envoûter son futur amant ?

La femme justement, dans ce film et dans cet Hollywood, doit choisir entre la liberté de séduire et le mariage. « Heureusement » un happy end attendra l’ex-sorcière puisque son mortel la retrouvera. Les pouvoirs eux, sont envolés à jamais. Coincé.e.s dans cette fin douce amère, les spectateurs et les spectatrices se consoleront avec l’idée que peut-être l’amour est magique, et que ça suffit en soi. L’adorable voisine est disponible jusqu’au lundi 12 Mai 2020 sur OCS ainsi que le formidable documentaire d’une heure Les sorcières à Hollywood de Sophie Peyrard que je vous incite grandement à regarder pour accompagner vos explorations ésotériques.


A propos de Angie Haÿne

Biberonnée aux Chair de Poule et à X-Files, Angie grandit avec une tendresse particulière pour les monstres, la faute à Jean Cocteau et sa bête, et développe en même temps une phobie envers les enfants démons. Elle tombe amoureuse d'Antoine Doinel en 1999 et cherche depuis un moyen d'entrer les films de Truffaut pour l'épouser. En attendant, elle joue la comédie avant d'ouvrir sa propre salle de cinéma. Ses spécialités sont les comédies musicales, la filmographie de Jean Cocteau, les sorcières et la motion-capture.

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