Aussi improbable que cela puisse paraitre, Disney, au travers sa branche Hulu ou sa section Star en France, propose des petits films de genre sympathoches. De l’horror movie accessible qui, à l’image de Barbare (Zach Cregger, 2022) l’année dernière, s’amuse à tordre le cou aux codes pour proposer des œuvres intéressantes comme ce Traquée (Brian Duffield, 2023).
Vraiment, personne ne t’entendra crier
Nous avions déjà consacré un article au sous-genre du home invasion tant il regorge d’œuvres aussi riches que variées. De Parasite (Boong Joon-Ho, 2019) à Funny Games (Michael Haneke, 1997) en passant par Maman, j’ai raté l’avion (Chris Columbus, 1990) ou Les Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1971), il traverse les genres et les époques pour nous mettre face à l’une de nos peurs les plus viscérales : voir notre intimité piétinée par un intrus. Qu’il s’agisse du concept d’un film entier ou de quelques passages, comme dans Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971), cette irruption de l’étranger relève d’une l’angoisse à laquelle on peut opposer la débrouille et la violence. Qu’il s’agisse de Dustin Hoffman, de Jodie Foster ou de Macaulay Culkin, celui qui voit sa propriété violée sort les armes ! Dans le long-métrage de Brian Duffield, Traquée, celui-ci voit même plus large en faisant des envahisseurs des êtres venus de l’espace. Ainsi, Brynn Adams, une jeune femme mise en ban de de sa petite ville pour des faits que l’on comprend au fil du récit et dans un mutisme total, voit des petits bonshommes verts s’en prendre à sa maison. La menace s’élargit au reste du village mais le film fait le choix de privilégier un affrontement at home.
Dès son ouverture, le parti pris de Traquée intéresse. Faire le choix d’une héroïne mutique dans de telles circonstances ancre de suite le film dans une dynamique tout autre que le commun des productions de ce genre. Ici le combat que Brynn va mener se fera en toute intériorité, sans effusion de cris et appels à l’aide. Cela renforce nécessairement l’idée que la première bataille que devra livrer le personnage sera contre ses propres traumas. Et il fallait pour que l’idée fonctionne, une comédienne capable de relever le défi. Ça tombe bien, Kaitlyn Dever, que l’on connait pour la série Dopesick (Danny Strong, 2021), s’en sort à merveille. Elle porte le film de bout en bout étant de toutes les scènes, avec une touchante candeur à laquelle on devine une facette moins glorieuse. Il s’agit là de la seule actrice notable du film puisque les autres habitants du patelin ne sont que très peu montrés. Donc, en plus d’être en quasi huis clôt, le film impose une tonalité originale en ne proposant qu’un seul personnage, qui ne parle pas. L’audace d’y ajouter des aliens, très vite dévoilés, sans fausse coquetterie, aurait pu tomber dans le piège du too much et tomber à plat, mais l’idée prend rapidement corps et sens. Bien que dotés d’un design pas franchement original ni bien exécuté, les extra-terrestres illustrent le défi quasi métaphysique que devra relever Brynn pour se sortir de sa torpeur.
Car comme deux genres ne suffisaient visiblement pas à Duffield, le film prend un tournant assez radical dans son dernier acte pour partir sur des rails que l’on n’avait pas vu venir. Si le long-métrage s’emploie à disséminer des indices au fur et à mesure et qu’il joue sur des symboliques très présentes, le virage opéré est sensationnel. Traquée nous embarque à bord de la psyché de son héroïne dans une mise en image tout à coup moins plan-plan et c’est dans ce voyage intérieur que le film joue ses meilleures cartes horrifiques. Alors qu’il citait jusque-là Spielberg ou Shyamalan, le film ose le body horror quand on lui suspectait de n’être qu’un gentil petit film de genre vaguement flippant, et explose pour un final que n’aurait pas renier Richard Stanley dont l’ambiance de son Color Out Of Space (2019) semble avoir inspiré Brian Duffield. Surement que cette rupture de ton et d’ambitions arrive trop tard au sein d’un long-métrage dont on perçoit toute la générosité mais aussi les maladresses et limites. Traquée, en jouant la carte du huis clôt, se doit de tout miser sur son filmage. À l’instar d’un David Fincher qui avait poussé tous les potards avec Panic Room (2002), filmer une maison nécessite que le spectateur ne se perde jamais dans cet environnement restreint et que le cinéaste ait une gestion impeccable de son espace. Or, si Duffield ne nous perd jamais vraiment, il ne cherche jamais à transcender sa mise en scène en n’offrant que banalité et répétition à ses plans. Des séquences se voient même gâchées, dans leur tension, par ce manque de recherche stylistique, ce qui pourrait traduire une certaine paresse. Heureusement que le travail sonore et leurs mouvements sont un temps soit peu travaillés, sans quoi la peur n’aurait jamais prise. C’est finalement tout ce qu’on peut reprocher à un film qui, on l’a vu, ose beaucoup, donne beaucoup mais se perd aussi énormément. Traquée se prend les pieds dans le tapis de ses ambitions, en se reposant parfois trop sur un concept attrayant mais qui aura mérité un plus bel écrin.