Home Invasion, violation de propriété 3


Alors que Ghostland (Pascal Laugier, 2018) sort en salles aujourd’hui et en emprunte pour partie les codes, retour sur le genre du Home Invasion et sur ce qu’il transporte de thématiques sous-jacentes.

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Violation de propriété

Un homme se penche sur une femme à la poitrine dénudée sur un canapé, un viol s'annonce dans le film Les chiens de paille pour notre analyse du home invasion.

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Qu’on se le dise, l’appellation de cinéma de genre mérite qu’on lui accorde l’honneur d’être pluriel. Cinéma de genres : ça sonne bien – et pour cause, vous l’aurez sûrement remarqué, ça sonne pareil – et surtout, cela rend davantage hommage à la diversité d’un cinéma de codes que l’on pratique depuis que le cinéma existe mais qu’une certaine cinéphilie a préféré reléguer à un cinéma jugé bis, en marge, inintéressant. Ce cinéma de genres est pluriel parce que l’appellation elle-même englobe des films composites qui développent leurs propres codes, voir les entremêlent. Certains préféreraient employer le qualificatif de sous-genre, mot composé qu’on a commencé à employer en même temps qu’il est apparu pour qualifier certains mouvements musicaux. De même que le grunge serait un sous-genre du rock, le slasher serait un sous-genre du film d’épouvante et le film de monstres géants un sous-genre du cinéma fantastique. Acceptez l’idée d’un cinéma de genres c’est refuser la facilité des classifications en sous-genre. D’abord parce que l’emploi malhabile du sous, précédent le genre, traînasse une appréciation péjorative sous-jacente qui contribue largement à la dévalorisation des genres en question, mais aussi parce qu’il me semble nécessaire de considérer le film d’animaux tueurs, les buddy-movie, ou les films de blaxploitation, comme des genres à part entières et ce même si, bien souvent, ces genres, se sont créés sur la rencontre de deux genres dits majeurs et indépendants, dont les codes se sont heurtés et mélangés pour en créer de nouveaux. C’est le cas par exemple du home invasion, un genre qui trouve ses racines au carrefour du polar, du film d’épouvante, du film d’espionnage et du survival. Si la figure du meurtrier s’introduisant par effraction dans une maison pour y commettre ses meurtres est une constante dans le cinéma de genres depuis la fin des années 1950, c’est probablement Alfred Hitchcock qui – une nouvelle fois en avance sur son temps – en a érigé la plupart des codes avec Le Crime était presque parfait (Dial M for Murder, 1954) avant qu’il soit pleinement considéré comme un genre à part entière dès la fin des années soixante jusqu’au milieu des années soixante-dix, avec des films cultes comme : Cul-de-sac (Roman Polanski, 1966), Seule dans la nuit (Terrence Young, 1967), La Dernière Maison sur la Gauche (Wes Craven, 1971) ou bien sûr, l’indémodable Les Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1971).

Le tueur Ghostface se tient debout dans un salon, du sang sur son masque, et brandit son couteau, scène du film Scream.

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En utilisant le motif récurrent de l’intrusion – souvent de nuit – d’un ou de plusieurs étrangers au sein du paisible dortoir familial, le home invasion cristallise les peurs latentes de tout un chacun, tout en jouant des symboles les plus extrêmes de violences. Les victimes de cambriolages ont coutume de très maladroitement déclarer qu’elles se sont senties comme violées, en découvrant qu’un ou des inconnus avaient pénétré de force dans leur intimité. Le double sens de ma phrase est volontairement choisi, non pas pour me targuer d’avoir sorti un bon mot, mais pour vous faire comprendre que ce double sens d’interprétation est largement exploité par les cinéastes qui ont visité le genre du home invasion. Rares sont les genres à avoir si frontalement abordé la thématique du viol. Si on oubliera pas de mentionner le revenge movie qui a largement exploité le filon scénaristique allant même jusqu’à en faire un genre à part entière qu’est le Rape and Revenge – à traduire « viol puis revanche » – dont le spectre plane de La Source de Ingmar Bergman (1960) jusqu’aux récents Kill Bill (Quentin Tarantino, 2002-2003), Irréversible (Gaspard Noé, 2002) et encore plus récemment Revenge (Coralie Fargeat, 2018) – le sujet y est abordé beaucoup plus frontalement que dans le home invasion, où il s’agit davantage d’une double lecture subtile que l’on peut déchiffrer si l’on creuse un petit peu. En effet, si le rape and revenge fait du viol d’un ou d’une des protagonistes le point de départ d’une intrigue qui doit le mener à se venger, le home invasion aborde le sujet par un prisme bien différent puisque c’est l’acte de pénétrer le domicile d’une personne sans y être invité qui est une première défloraison d’intimité non consentie. Souvent, le viol d’un des habitants de la maison est plutôt la terminaison malsaine de la démente entreprise, quand il ne s’agit pas d’une pulsion meurtrière. C’est le cas par exemple dans le mythique Les Chiens de Paille où les assaillants redneck qui entourent la maison de Dustin Hoffman, passent plus d’une heure à tenter d’entrer de force avant de se jeter immédiatement sur la femme dès qu’ils parviennent à passer un pied sur le seuil du logis.

Un homme avec un masque de lapin tient une massue dans la main se tient sur le palier de la porte d'un grand salon tout en bois, scène du film You're next pour notre analyse du home invasion.

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Calfeutrer sa maison, fermer ses volets, s’assurer que les portes sont bien fermées à clé avant d’aller se coucher sont autant de réflexes qui régissent nos vies. Nous avons acquis que le danger existait et qu’il pouvait être supposément derrière la porte ou à épier derrière la fenêtre. Les faits divers sordides et la vérité de l’époque ont beau avoir largement leur part de responsabilité dans cette angoisse généralisée, cette peur s’est aussi et surtout nourrie d’imageries de cinéma d’autant que le cinéma les a empruntées aux faits divers. La silhouette qu’on croit entrapercevoir dans une ombre projetée dans l’embrasure d’une fenêtre, le son terrifiant d’une sonnette d’appartement qui réveille en sursaut au beau milieu de la nuit, un visage inconnu dans le judas d’une porte, la découverte inquiet et suspicieux d’une porte d’entrée retrouvée entrebâillée au réveil sont d’autant de sentiments que tout un chacun, des plus angoissés – comme moi – aux moins angoissés – comme vous – a pu ressentir au moins une fois dans sa vie. Pour ne pas nous aider à aller mieux, notre imagination gangrénée d’imagerie cinématographique a su associer à ses sentiments des sons et des gros plans. Une vitre qu’une main brise pour s’offrir l’accès à une poignée. Une porte qu’on force et qui s’ouvre dans un grincement discret. Une fenêtre à demi-ouverte dont le rideau s’offre au vent. Un intrus qui marche sur un toit. Toutes ces images d’Épinal du home invasion ont su contaminer les névroses humaines d’un imaginaire propice à générer l’angoisse, à “se faire des films”. C’est l’image d’une main gantée qui ouvre la porte lentement dans les gialli italiens ou celle d’une silhouette fantomatique cachée derrière le rideau dans Scream (Wes Craven, 1996). C’est celles de ces fous furieux autrichiens qui frappent au hasard aux portes dans Funny Games (Michael Haneke, 1997) ou des tueurs psychotiques qui s’introduisent de force avec la ferme intention de zigouiller tout le monde dans Halloween, La nuit des masques (John Carpenter, 1978), 3615 Code Pere Noel (René Manzor, 1990) Schizophrenia (Gerald Kargl, 1983) ou bien encore les récents American Nightmare (James DeMonaco, 2013) ou You’re Next (Adam Wingard, 2012).

Souvent, bien sûr, sous cette évocation du viol et plus généralement de la peur d’être agressé, tous ces films questionnent ce que l’être humain est capable de faire pour protéger son territoire, ses proches et soi-même. C’est une façon aussi de questionner la bestialité humaine – celle de l’assaillant comme celle de celui qui défend sa caverne – et de pointer le doigt sur l’un des aspects que le home invasion partage avec le survival, celui de mettre en exergue les instincts primaires qui nous animent, les bas comme les bons. Enfin, dans le cinéma américain plus qu’ailleurs, en filigrane, le home invasion convoque bien évidemment une dimension politique. Il fait resurgir et interroge une certaine tradition américaine du chacun chez soi, en la faisant voler en éclat et en la malmenant, écorchant ou glorifiant au passage quelques sujets politiques de premier ordre tel que l’épineuse question du port d’arme-à-feu. Si souvent, dans le cinéma américain, ce modèle triomphe à grand coup de « Get out of my lawn ! » vociférés carabine en main – souvent les assaillis finissent par réussir à tuer les assaillants – les home invasion américains ont bien entendu trouvé des cousins en Europe et ailleurs. Rien d’étonnant à cela, tant le home invasion se cultive sur le terreau d’une angoisse universelle.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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