Totally Killer


Au petit jeu des productions low-cost accompagnant les festivités d’Halloween, les plateformes ont su se faire une place de choix ! Paramount+ vient de dégainer Simetierre : Aux origines du mal (Lindsey Beer, 2023), Disney+ un nouvel Hellraiser (David Bruckner, 2023), Amazon Prime se met donc au pli et nous propose le mix improbable entre les films de John Hughes, Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985) et le slasher bas du front. C’est Totally Killer (Nahnatchka Khan, 2023) et c’est presque totalement con.

Un tueur portant un masque d'homme blondinet et souriant se terre près d'une fenêtre, aux volets baissés, dans le film Totally Killer.

© Amazon / Tous droits réservés

Murders of Future Past

Amazon Prime, depuis quelques années déjà, collabore avec Jason Blum pour nous proposer des productions à la qualité oscillant entre le passable et le très mauvais. La plateforme au sourire bleu lui renouvelle sa confiance cette année avec la sortie de Totally Killer, un slasher teinté de science-fiction. La réalisatrice Nahnatchka Khan, dont c’est le second long-métrage après avoir officié sur Malcolm (Linwood Boomer, 2000-2006) ou American Dad ! (Seth MacFarlane, depuis 2005), ne fait pas dans la dentelle et les références sont ici tout à fait assumées. L’histoire prend place de nos jours, dans une petite bourgade américaine comme le slasher en a cartographié des tonnes dans les années 80. Un tueur en série masqué a assassiné trois jeunes filles en 1987, et depuis les survivants et leurs descendants vivent dans l’angoisse que celui-ci sévisse à nouveau un jour. Et pas manqué : Pam Hughes se fait zigouiller. Jamie, sa fille, est anéantie, mais heureusement, pour un TP de science, sa meilleure amie a construit une machine à voyager dans le temps. Ce qui va lui permettre de retourner aux origines du mal, d’enrayer les projets initiaux du tueur et de rencontrer ses parents jeunes façon Marty McFly. Bon inutile d’en dire davantage, vous avez compris que vous n’aviez pas à faire à du Bergman.

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Ceci étant, dans son délire, le film allait peut-être pouvoir nous régaler sur quelques points. Les références, déjà. Elles sont multiples et franchement grossières, mais elles fonctionnent plutôt pas mal. Jugez plutôt : l’héroïne s’appelle Hughes, soit le nom du réalisateur ayant le mieux décrit la jeunesse américaine des eighties dans le cinéma populaire. Le concept même de voyage dans le temps, si ce n’est pas Zemeckis qui l’a inventé, est allègrement rattaché aux mésaventures de Marty que Jamie cite en permanence dans Totally Killer. Et le tueur, bien que flanqué d’un masque de surfeur californien, est assimilé à Jason Voorhees, Michael Myers et tous leurs ersatz. L’humour est plutôt bien géré dans la partie où Jamie découvre les années 80, soulignant le fossé entre notre époque où le harcèlement, les violences sexistes et sexuelles ou le consentement sont devenus des sujets aussi nécessaires qu’importants. Au contraire, en 1987 elle découvre un monde où les mains aux fesses, les moqueries répétées, sont parfaitement tolérées. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais la réalisatrice se joue habilement de ces comportements archaïques. Enfin, le casting est assez sympathique dans la mesure où il mêle nouveaux visages vraiment prometteurs comme Kiernan Shipka et anciennes gloires de la télévision des années 90 comme Lochlyn Munro ou Jonathan Potts.

Le tueur avec le masque au sourire de playboy narquois de Totally Killer attend patiemment sur le perron d'une maison, de nuit.

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Or tout ceci est totalement gâché par une réalisation bien trop générique voire carrément ratée par instants. S’il y a quelques idées assez sympas par-ci, par-là, le long-métrage est cadré avec les pieds et charcuté par un montage indigne. Et c’est dommage car on sent que Nahnatchka Khan a des choses à dire et que des thèmes émergent. Cette dernière est connue pour avoir créé la série Don’t Trust The Bitch In Apartment 23 (2012-2013) qui jouait déjà sur la corde meta et qui abordait frontalement la question de la sexualité, très présente dans Totally Killer, ainsi que la série Bienvenue chez les Huang (2015-2020), qui prenait quasiment le même cadre temporel et revenait sur la question de la filiation. Même son premier film, Always Be My Maybe (2019), s’inscrivait dans toutes ces thématiques. Ce qui montre bien que Totally Killer n’est pas qu’un produit formaté auquel on pourra faire un procès d’opportunisme. La cinéaste décline des obsessions et dans les meilleurs moments de son film, elle y arrive plutôt bien. Mais la question qui peut se poser, compte tenu de la pauvre facture visuelle de son long-métrage, et même si le propos finit par verser maladroitement dans le « c’était mieux avant », c’est : n’est-elle pas meilleure scénariste que réalisatrice ? Et est-ce que le genre horrifique est vraiment fait pour elle ? Car en plus d’être mal filmé, Totally Killer, qui se présente comme un film d’horreur avant tout, ne fait jamais peur !

Cinq jeunes femmes qu'on dirait tout droit sorties des années 80, en tenue de sport à l'effigie de leur université, discutent dans un gymnase ; scène du film Totally Killer.

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Et on ne peut que constater qu’il essaie. Hélas à aucun moment le film n’est en mesure d’installer la moindre tension. Les effets se multiplient – jump scare, fausses pistes, etc. – mais n’est pas Wes Craven ni Jennifer Kent qui veut. Et citer le papa de Scream (1996) n’est pas innocent ; il est possible de twister les genres et d’arriver à faire sourire et peur à la fois, pourtant Khan n’y arrive jamais et c’est bien regrettable car cela aurait franchement aidé le projet. En l’état, ça le condamne à ne rester qu’un produit, un contenu de plus dans le catalogue d’une plateforme alors qu’il aurait pu être un bonbon efficace et un objet pop appelé au culte. Tout cela pose une question sur l’état du cinéma horrifique américain actuel, coincé entre ce qu’on appelle assez maladroitement l’elevated horror (souvent produit par A24), la nostalgie (incarnée par les derniers efforts de David Gordon Green) et des gimmicks de comédie comme ici. Un carrefour d’impasses où l’horreur a de toutes façons perdu en efficacité et en pureté. Et comme Totally Killer se réfère aux années 80, on ne pourra que regretter le temps où le slasher n’avait pas besoin de se cacher sous des atours de films « à la manière de » pour exister. Il ne s’agit pas de remettre en cause des concepts qui peuvent parfois être réussis et efficaces, mais plutôt de s’interroger sur le procédé symptomatique d’une époque qui altère considérablement la peur sur nos écrans… #boomer


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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