Surfant sur les festivités d’Halloween qui s’apprêtent à commencer, Netflix ajoute à son catalogue international le second film du réalisateur espagnol Albert Pinto : Nowhere (2023). Car si aux premiers abords, ce survival aquatique sans requins ou tueurs en série n’en a pas les atours, il joue habilement de quelques-unes de nos peurs contemporaines.
L’Arche de Noah
Après Matar a Dios (2017) et Malasana 32 (2020), quelques courts-métrages et des épisodes de séries dont La Casa De Papel (Alex Pina, 2017-2021), Albert Pinto rempile dans l’écurie Netflix qui ne cesse de puiser dans le cinéma espagnol pour agrémenter son offre. Avec La Plateforme (Galder Gaztelu-Urrutia, 2019), Chez Moi (David Pastor, 2020) ou la fameuse série suscitée, le N rouge avait frappé fort et ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. De son côté, le cinéma ibérique a entamé sa mue depuis une bonne dizaine d’années, et l’avènement de Rodrigo Sorogoyen traduit un véritable essor du thriller à l’espagnole. Que Dios Nos Perdone (2016), à titre d’exemple, peut largement être considéré comme une note d’intention de toute une génération de cinéastes ayant à cœur de s’emparer des codes généralement anglosaxons pour les greffer aux questions sociétales traversant une Espagne qui se relève de la crise de 2008. Loin des Bigas Luna et des Pedro Almodovar, cette « nouvelle vague » va donc verser dans les cinémas de genres, sous toutes les formes. Nowhere s’inscrit donc dans cette mouvance et, on le voit au détour d’un contexte géopolitique vaguement expliqué en début de film, tente le commentaire sociétal. Nous sommes donc placés dans une Espagne dystopique où les femmes et leurs bébés sont traqués par un régime autoritaire. Celles-ci, dont l’héroïne, se voient donc obligées de fuir de manière clandestine, à bord de containers commerciaux, vers des contrées plus hospitalières. Après une série de mésaventures, notre héroïne finit par se retrouver seule dans cet espace clôt et suite à une tempête en pleine mer, son container se renverse au beau milieu de l’océan. La suite du récit consistera à survivre, déjà, mais aussi à accoucher, manger, respirer, etc. Un survival donc qui exploite à peu près toutes les ficelles et références possibles…
Ces influences, Pinto les manie avec une certaine habilité. On pense nécessairement au grand film d’Alfonso Cuaron, Les Fils de l’Homme (2006), pour son contexte social et la dimension christique qu’il propose – on y reviendra. Mais aussi à d’autres productions claustrophobiques conceptuelles comme Buried (Rodrigo Cortes, 2010), où Ryan Reynolds, encore capable de jouer d’autres partitions que Deadpool (2016), était enfermé dans un cercueil sous terre. Et puis le contexte maritime rappelle les plus belles heures du cinéma catastrophe à base de naufrages et/ou de requins. En deux mots, le cinéaste brasse tout cela dans son shaker pour déployer un large panel de toutes nos plus belles frousses. Qu’elles soient concrètes comme la peur de l’eau, de l’enfermement, de la mort, ou qu’elles soient plus larges et diffuses telles que les égarements de nos sociétés. La question de la migration est de fait abordée avec force dans sa manière de nous mettre nous, occidentaux, à la place de ceux qui, dans la réalité, ne sont que des statistiques et une masse abstraite que l’on préfère ignorer voire mépriser. C’est intelligent quoique trop peu étayé – les tenants et aboutissants ayant mené l’Espagne à ce chaos ne sont que survolés – et trop vite évacué pour laisser place à une dimension série B contrastant trop avec ces débuts d’intentions, ce qui aura pour effet malheureux de questionner de sa sincérité. Alors Nowhere rentre dans le vif du sujet et son héroïne de devenir la fille spirituelle de Kevin McCallister. Au beau milieu de nulle part, il faudra bien s’en sortir et la caméra va prendre le parti de suivre cette femme, interprétée avec force par Anna Castillo, dans tous ses tourments. La moindre plaie, la moindre larme est montrée sans fioriture, jusqu’à un accouchement homérique qui marque les esprits. L’actrice se donne corps et âme à son personnage. Mais pour combler sa durée, le film a recours à quelques artifices pas franchement indispensables où l’on appose un trauma initial à notre héroïne. C’est là que le long-métrage perd beaucoup de points…
Nous évoquions plus haut la dimension christique que le film essaye de se donner péniblement, à l’instar des Fils de l’Homme. Dans le travail de Cuaron, toute l’histoire interrogeait avec profondeur la question de la foi dans ce qu’il restait d’humanité dans ce monde désolé et infertile. Le sens d’un tel parallèle sur la notion de natalité prenait sens du début à la fin. Ici, dans Nowhere, tout cela semble plus artificiel et lourdingue. De son trauma originel – la perte de sa première fille – l’héroïne porte une énorme culpabilité qui se matérialise par des apparitions auditives et même physiques de sa fille ou de son mari la poussant à avancer. C’est vieux comme le cinéma que d’incarner le deuil de cette manière, mais Nowhere insiste tellement sur la portée divine de ces hallucinations… De même, le nom que choisit l’héroïne pour sa seconde petite fille, Noah, est souligné dans un dialogue pour sa portée biblique. Rien de très fin donc, ce qui a le don d’agacer là où le film pouvait, a priori, se contenter d’ambitions plus modestes et terre à terre. Là où le spectateur peut pardonner des facilités telles que les outils dont dispose le personnage – téléphone très très étanche, perceuse, etc – il est plus compliqué de passer sur un discours religieux qui ferait presque remettre en perspective le fameux contexte dystopique de départ. En dégraissant davantage, en jouant sur un simple et unique tableau, peut-être qu’Albert Pinto aurait gagné en percussion. Car s’il est évident que l’homme sait filmer et créer de vrais moments de tension, il est nettement moins convaincant lorsqu’il s’agit d’user de thématiques plus vastes. Nous ne lui en demandions pas tant…