Matar a Dios


Passé par le PIFF en 2017, Matar A Dios (Caye Casas & Albert Pinto, 2018) est une nouvelle offrande d’un certain cinéma de genre ibérique loufoque, disponible chez nous directement via notre partenaire, l’excellent Outbuster. Disséquons dès lors un peu la bête.

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Dieu, ce clodo !

S’aventurant sur les plates-bandes d’Alex de la Iglesia, les deux co-réalisateurs et co-scénaristes de Matar A Dios – littéralement, Tuer Dieu – font de leur cheval de bataille depuis leurs débuts dans le court-métrage, de se livrer à la comédie horrifique burlesque, dépeignant d’un humour noir et acéré les valeurs et les travers de la société espagnole. Dans cette histoire, ô combien satyrique, Dieu est de retour sur terre, et il annonce le soir du jour de l’an à une famille hyper caricaturale que la fin du monde est proche. Sur les quatre présents, seulement deux d’entre eux auront l’opportunité de survivre à cette nuit et ils devront être choisis par les autres. Composée d’un mari jaloux, archétype du macho rancunier, de sa femme miss bobonne aspirant à l’évasion, de son vieux père nouvellement veuf mais se sentant pousser des ailes et de son plus jeune frère cocu et cafardeux, on s’attend d’avance à ce que le mélange ne soit pas triste. Cerise sur le gâteau, Dieu lui est un gnome SDF alcoolique, crasseux et abject. Tourné en huis clos dans une villa des plus lugubres où animaux empaillés, crucifix et autres idoles religieuses trônent en nombre, le décor est lui aussi planté pour prendre corps dans cette singerie acide.

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Souvenez-vous du Jour de la Bête (Alex de la Iglesia, 1995), qui utilisait déjà le thème de la fin du monde pour appuyer son propos satyrique par de ubuesques individus marginaux. Dans la droite lignée du maître ibérique, Pinto et Caye s’amusent des plus profonds travers de leurs personnages, mais aussi de leurs plus ardentes convictions. Ainsi, le temps d’une table ronde sur la question de “qui va sauver la vie de qui”, chaque personnage se retrouve dans le doute de quel membre de leur famille vont-ils être susceptible de secourir. Entre ego-trip, remises en question, disputes et profond attachement particulier envers l’un, ou envers un autre, ils seront repoussés dans leurs retranchements les plus intimes. Peinture grand-guignolesque de la famille traditionnelle et de ses intérêts divergents, cette scène s’affiche comme le point d’orgue d’un conte noir où les interventions éthyliques du clodo-dieu ne serviront qu’à rouvrir les plaies et affirmer les tensions de leur humanité désœuvrée. Intensément croyants, jamais ils ne remettront vraiment en doute l’identité de ce dieu nain sorti de nulle part – enfin si, sorti des chiottes – le laissant affirmer toujours un peu plus sa divine autorité par son aura charismatique et surtout alcoolisée.

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Détournant leur mise en scène de situations absurdes à situations dramatiques, les réalisateurs affichent un malin plaisir à véritablement détourner l’attention du spectateur sur ce qui se trame réellement à l’intérieur de cette demeure lugubre. Les pitreries incessantes ne serviront qu’à étreindre les dimensions dramatiques et presque larmoyantes qui sont renvoyées dans quasiment chaque axe et parti pris scénaristiques. Dieu – ou quel qu’il soit -, lui, ne sera que le metteur en scène, le chef d’orchestre d’une complainte familiale totale, au sein de laquelle chaque personnage aura le pouvoir de prendre forme entièrement, pour le meilleur, ou pour le pire. Servi par un acting au couteau – mention spéciale à Emilio Gaviria pour son rôle entre un Tyrion Lannister des bas-fonds et un Père Noël angoissant – Matar A Dios s’en sort alors avec les honneurs et me fait personnellement encore proclamer que le cinéma de genre ibérique est aujourd’hui encore bien vivant. Loin des sempiternels clichés des blockbusters d’outre-Atlantique et de l’inconsistance manifeste dont fait souvent preuve le travail des personnages et des dialogues, on se retrouve avec une tragi-comédie horrifique acre qui n’en sent pas moins bon le romantisme attachant. Merci donc encore une fois à Outbuster de faire exister sur nos écrans de telles petites perles venues d’ici et d’ailleurs, pour le plaisir de nos rétines gourmandes, de ce que l’on ne pourra pas voir ailleurs.


A propos de Willys Carpentier

Son prénom n’est pas une référence cinéphile au Bruce que l’on connait tous, même s’il partage son nom avec son idole absolue, John. Sa passion pour le cinéma qui fait pas genre découle de celle qu’il a pour le Death Metal, elle fait peur et est pleine de saturation et d’hémoglobine et ce même si plus jeune, il ne décrochait pas de Peter Pan. Enfin, fait intéressant, il porte une haine sans égards pour Woody Allen.

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