Section de Choc


Un genre ne meurt jamais vraiment. Né d’une tentative, grandissant d’un succès, s’affirmant d’un chef-d’œuvre, il s’épuise de copies et de parodies jusqu’à perdre son audience et ses financements ou évolue vers de nouveaux horizons. Mais tant qu’il y a quelqu’un pour s’en souvenir, pour s’en inspirer ou pour perpétuer sa présence dans nos esprits ou sur nos écrans comme une secte dédiée à un dieu ancien, le genre persiste. Voilà que nos camarades cultistes du Chat qui Fume ressortent en Blu-Ray Section de Choc, un poliziottesco de Massimo Dallamano. L’occasion d’en dire un peu plus sur cette branche oubliée du polar italien qui a secoué le cinéma des années 70.

Quatre gangsters sont accroupis sur le macadam, armes au poing, prêt à tirer sur la police, dans le film Section de choc.

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Brava la BRAV-M

1976. Alors que les années de plomb pèsent sur l’Italie, Section de Choc, Quelli Della Calibro 38 dans son titre original, sort en salle. À peine quelques mois après, son réalisateur Massimo Dallamano décède dans un accident de voiture. Coïncidence ? Oui. Ce n’est pas le genre de film qui a rendu fou son réalisateur, qui a enflammé les foules comme le Salo de Pasolini (1975) ou qui a offensé les mauvaises personnes, comme a pu le faire Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972) ou Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d’Elio Petri (1970). Un film à l’intrigue simple qui pourrait passer inaperçu si l’on ne se basait que sur son pitch assez basique : un commissaire et sa nouvelle brigade spéciale s’opposant à la criminalité turinoise grimpante et son grand bandit-terroriste, prêt au pire pour amasser ses millions. Un face-à-face Commissaire Gordon VS Joker avec l’action au centre, le réalisme en plus, la folie en moins. Mais c’est justement parce que ce long-métrage paraît classique qu’il est un poliziottesco si particulier. Comme on en parlait en mars dernier (lire mon article sur Big Guns), le poliziottesco naît d’un fabuleux cocktail de cinémas. Au tournant des années 70 en Italie, les western spaghettis, peplum et eurospy (version italienne de James Bond) atteignent leur apogée et commencent déjà à lasser leur public. Cowboys, tuniques et gadgets fantasques parlent de moins en moins aux spectateurs alors que l’actualité sordide dépasse la fiction : règlements de comptes publics, attentats, kidnappings, corruption, bavures policières sanglantes… Peu à peu, ces genres mythiques laissent place au giallo et au poliziottesco. Deux faces d’une même pièce du policier italien, ils sont le jour et la nuit d’un même monde d’archi-violence. D’une part, l’étrange, l’inconnu, l’horreur et la folie du giallo et ses tueurs en série, d’autre part le sauvage flux tendu d’affrontements entre justiciers et criminels du poliziottesco. Deux épreuves de style, l’une d’horreur, l’autre d’action, sur lesquelles sautent toute une génération de jeunes réalisateurs s’étant fait la main sur les genres cités plus haut, impatients de faire grandir ces cinémas encore jeunes, libres et modelables.

Gros plan sur l'acteur Marcel Bozzuffi, un combiné téléphonique près de l'oreille, l'air perdu dans le film Section de choc.

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Du côté du poliziottesco, c’est l’occasion de sortir des studios. De filmer directement dans la rue, souvent en pirate, comme les ancêtres néoréalistes des années 50. Mais cette fois-ci, c’est à celui qui prendra le plus de risques, le genre mettant en danger toute une génération d’acteurs et de cascadeurs venus d’un peu partout dans le monde (voir le documentaire Eurocrime ! de Mike Malloy ou lire Ma vie en cascades de Rémy Julienne). Un cinéma de débrouille, d’innovations et de tentatives où la prouesse technique fait loi. La continuité et la cohérence passant au second plan, le genre peut parfois donner une impression de pagaille ou d’irrégularité d’un film à l’autre, voire même d’une séquence à l’autre. Personnages souvent sous-développés, intrigues emmêlées, rythme irrégulier, moments d’intensité déplacés… Les poliziottesci sont plus unis par une soif d’action moderne que par une esthétique commune. Ainsi, Fernando Di Léo privilégie une approche âpre et désespérée de la criminalité dans sa Trilogie du Milieu, Mario Bava enfonce Les Chiens enragés (1974) dans un nihilisme sans fond quasi-horrifique, Sergio Sollima donne à La Poursuite implacable (1973) une vraie ambiance seventies, aussi tendre que tragique, Franco Nero pousse cynisme et pessimisme dans Un Citoyen se rebelle (1974), Damiano Damiani esthétise l’archi-brutal dans le prophétique Confession d’un commissaire de police au procureur de la république (1971)… Mais alors qu’en est-il de Section de Choc de Massimo Dallamano ?

Deux gangsters, dont l'un au premier plan, avec un chapeau et un sourire narquois, sont à l'avant d'une automobile et regardent l'extérieur à travers la vitre baissée côté conducteur ; plan du film Section de choc.

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Contrairement aux criminels débridés, vigilantes vengeurs, flics désabusés et politiciens véreux de la plupart des poliziottesci, Massimo Dallamano choisit de mettre en avant une police humaine, dynamique et moderne. Des héros à qui on peut faire confiance, enfin. Marcel Bozzufi, habitué des seconds rôles de méchants, s’y reconvertit en bon flic, qui malgré l’assassinat de sa famille ne cherche pas la vengeance personnelle mais le retour à la justice, pour tous. Il monte pour cela une brigade spécialisée, cinq jeunes et joyeux drilles qu’il équipe de motos tout-terrain et des fameux colts 38 qui-ne-s’enrayent-pas. Des canassons à essence et de fidèles épées à poudre pour une belle équipe de mousquetaires prête à affronter le mal qui ronge Turin. Le film prend même le temps de nous montrer leur formation (ô miracle, des policiers formés !) et insiste plusieurs fois sur l’importance de tirer dans les jambes plutôt que dans la tête. Une morale douteuse mais rafraîchissante dans l’habituel contexte sans foi ni loi du genre et de l’époque. Les policiers enquêtent et suivent des pistes, traitent bien leurs indics, posent les questions d’abord et ne frappent qu’ensuite, collaborent avec les autres services et font de leur mieux pour limiter les dommages collatéraux. S’il ne persistait pas quelques faiblesses à ces flics et si les criminels qu’ils poursuivent n’étaient pas si cruels, on se croirait presque dans Starsky et Hutch ou dans Section de recherches, le budget action en plus. Sorti en 1976, Section de choc suit en effet une tendance à la cool-ification de la police initiée par le petit écran dans les années 70 (Drôles de dames, Columbo, Inspecteur Derrick, Kojak…) mais conserve le spectaculaire du grand écran. Précurseur par sa représentation positive de la police (ou avocat réactionnaire d’une justice forte selon le point de vue), Massimo Dallamano éclaire le poliziottesco sous un nouveau jour plus optimiste. Ce faisant, il annonce la fin du genre et le fait entrer dans l’ère de l’action plus légère des années 80, aux justes et gentils actionners et aux comiques buddy cop. On retrouve d’ailleurs avec plaisir le trope du Rend-ton-flingue-et-ton-badge avant le début du dernier acte, libérant le protagoniste de son protocole. Sur-exploité dans la décennie suivante, le geste est encore frais en 1976. Quoi de plus cool que le cool avant que ce soit cool ?

Une voiture blanche se retourne et roule sur le toit, créant des étincelles ; scène de nuit issue du film Section de choc.

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Comme raconté dans les bonus de cette édition par Antonio Siciliano, monteur de Section de Choc, Massimo Dallamano a une manière bien à lui de tourner les séquences d’action, privilégiant l’intensité et la rapidité à l’étalage de violence et de brutalité. Le ton est donné par l’ouverture in medias res d’une explosive descente de police sur un refuge de criminel. Une brigade organisée qui agit avec préparation et précision face à des bandits anarchiques mais plus mobiles et plus impitoyables. Pour leur faire face, le commissaire Vanni doit se mettre à leur rythme. Ainsi se prolongent et s’étoffent les séquences de courses-poursuites motorisées, où, roulant à mental et cylindre égal, ni flic ni bandit n’abandonne ou ne sort de route jusqu’à l’erreur fatidique. Parallèlement, étant chef opérateur avant d’être réalisateur, Dallamano use lui-même abondamment de la caméra embarquée pour ses séquences d’action à pied. Sa caméra stable nous plonge ainsi au cœur des poursuites et des assauts, s’adaptant avec brio aux gestes froids et tactiques de ses flics sur-entraînés ou ceux plus aléatoires de ses bandits survoltés. À cette maîtrise de l’action s’ajoute celle du suspense, la seconde partie du film se concentrant sur l’explosion (ou non) de bombes artisanales dans tout Turin. Dallamano nous tient en haleine en multipliant les inserts de mallettes pleines (ou non) de dynamite et les plans larges de foules innocentes, leurs futures victimes. Une catastrophe si bien annoncée qu’il est difficile lors du dernier acte de ne pas être à l’affût de la moindre échappatoire que pourrait trouver nos policiers chéris. Malgré toute cette urgence, le réalisateur se permet certains écarts stylistiques brisant le flot du long-métrage. Traumatisé par son époque, Dallamano n’hésite pas à montrer en détail et avec un réalisme cinglant les cadavres carbonisés des explosions comme s’il filmait un reportage. Il prend aussi le temps de tourner à la dérision l’explosion d’un indic ou encore emploie la caméra subjective du giallo le temps d’une séquence pour amplifier la monstruosité de son méchant principal, incarné par le glaçant Igor Rassimov, ancien vampire pour Mario Bava. Un entremêlement d’intentions maladroites qui, bien qu’audacieuses, prolonge le film d’une quinzaine de minutes distrayantes mais peu nécessaires.

Blu-Ray du film Section de choc édité par Le Chat qui Fume.Ainsi Section de Choc anticipe la fin des poliziottescos du début des années 80, peu à peu remplacés par les parodies du genre, les comédies érotiques et les films d’horreur. Qui sait où Massimo Dallamano aurait pu emmener l’action à l’italienne s’il avait survécu à son accident ? S’il avait pu affiner son œuvre dans Brigade antiracket (Ritornano quelli della calibro 38), suite en nom uniquement de Section de Choc, réalisée en 1977 par Guiseppe Vari ? On ne peut qu’en rêver. En lot de consolation de ce passé alternatif, le Chat qui Fume nous offre en bonus l’une des dernières interviews de Stelvio Cipriani, compositeur, qui nous a malheureusement quittés en 2018. Un segment mythique d’une quarantaine de minutes où le compositeur italien de légende de la fin des années 60 au début des années 80 revient sur sa carrière, son rapport aux poliziottesco et aux réalisateurs, et plus intéressant encore, sa méthode de travail. Un rituel d’immortalisation réussi du genre et de ses auteurs, à dégotter au plus vite !


A propos de Elie Katz

Scénariste fou échappé du MSEA de Nanterre en 2019, Elie prépare son prochain coup en se faisant passer pour un consultant en scénario. Mais secrètement, il planche jour et nuit sur sa lubie du parfait film d'action. Qui sait si son obsession lui vient d'une saga Rambo vue trop tôt, s'il est encore en rémission d'un high-kick de Tony Jaa, d'une fusillade de John Woo ou d'une punchline de Belmondo ? Quoi qu'il en soit, évitez les mots « cascadeurs français » et « John Wick 4 » près de lui, on en a perdu plus d'un. Dernier signalement : on l'aurait vu sur un toit parisien, apprenant le bushido aux pigeons sur la bande-son de son film préféré, Ghost Dog de Jim Jarmusch. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riGco

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