On avait laissé le Marvel Cinematic Universe embourbé dans la mélasse narrative de son Multiverse of Madness, au bord du précipice après au moins huit longs-métrages dont l’intérêt était proportionnel à leur qualité : en un mot, nul. Au milieu de ce bourbier, débarque, sans crier gare, Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 (James Gunn, 2023) dont il faut bien avouer qu’on n’attendait pas/plus grand chose. Et pourtant, cette conclusion sincère et (souvent) touchante s’impose comme l’un des meilleurs longs-métrages du MCU.
I don’t Belong Here…
Au milieu du marasme qualitatif dans lequel s’est embourbé le MCU depuis la fin de l’arc narratif consacré à Thanos, il est peu dire qu’on ne s’attendait pas a voir débarquer une production de la trempe des Gardiens de la Galaxie Vol.3 (James Gunn, 2023). Difficile de prétendre par ailleurs que le film était attendu comme un messie, tant le second volet – qu’on avait fortement défendu en ces lieux – avait généralement déçu. Plus encore, cette troisième réunion des plus beaux loosers de l’espace semblait s’être faite à rebrousse poils, résultant d’une énième crise mal gérée par l’entité Disney/Marvel. Rappel des faits. Après le triomphe intercontinental de Avengers : Endgame (Demis et Jean-Jacques Russo, 2019), Disney offre officiellement à James Gunn l’opportunité de réaliser le troisième volet de ses Gardiens de la Galaxie, ersatz façon looser-cool devenu quasiment aussi populaire que les « géniaux » Avengers. Le long-métrage doit alors sortir un an plus tard, fin 2020 et ouvrir en grandes pompes la Phase IV de l’univers cinématographique Marvel. Ceci n’aura pas lieu, Gunn étant limogé à la surprise générale par les pontes de Disney des suites du resurgissement, depuis les limbes de Twitter, de blagues graveleuses et maladroites sur la pédophilie, postées par le réalisateur sur le réseau social en 2009. Désireux de ne pas faire de remous et si peu courageux quand il s’agit de faire front face à l’alt-right (l’extrême droite conservatrice américaine), les studios Disney jouèrent les vierges effarouchées et chassèrent Gunn à grand coup de communiqué. Lui, qui érige de films en films la culture maverick comme un principe, qui s’évertue à rendre grâce aux anti-héros et aux weirdos, se retrouve à nouveau pointé du doigt pour son humour noir quelque peu non-conventionnel : en d’autres termes, pour sa différence. Le vilain petit canard s’en va alors toquer dans la boutique d’en face, chez Warner Bros, dont le DCU – concurrent direct de Marvel – peine à trouver la recette. L’aventure a tout d’une mission suicide, et c’est tout naturellement qu’il y réalisera donc le soft-reboot The Suicide Squad (2021) dont le succès critique et public permit à Gunn de faire un sacré come-back. Entre temps, les dirigeants de Disney regrettent leur geste et s’aperçoivent qu’en cédant à la vindicte conservatrice, ils ont réussi à se mettre à dos une grosse partie du casting des Gardiens de la Galaxie ainsi que les fans du MCU, tout en perdant par la même l’apport précieux de l’un des esprits les plus créatifs d’Hollywood. Ni une, ni deux, James Gunn rembarque à bord du vaisseau amiral pour une dernière virée intergalactique en compagnie de ces anti-héros magnifiques. Un retour qui n’a des airs que de « faisons l’amour, avant de nous dire adieu » puisqu’avant même la sortie en salles de ce troisième volet, Gunn fut embauché par Warner Discovery pour devenir Directeur Artistique de DC Studios et chapeauter, à la manière de Kevin Feige chez Marvel, l’ensemble du DCU à venir. Dès lors, la mise en boîte de ce troisième volet avait tout l’air d’une ultime réunion avant d’acter le divorce.
S’il m’apparaît important de re-contextualiser l’ensemble de ses péripéties façon « je t’aime, moi non plus » c’est que Les Gardiens de la Galaxie Vol.3 semble en bien des points marqué au fer rouge par ce que Gunn et Marvel ont traversé durant ces trois années de conflit ouvert. Cette réunion, un poil forcée, est avant toute chose assumée comme un au revoir. Si la saga a pour thème principal l’amitié qui lie cette joyeuse bande de renégats de l’espace – « seuls nous sommes des paumés, ensemble nous sommes des super-héros » – ce troisième volet est de loin le plus mélancolique tant il signe à la fois la fin d’une collaboration studio/cinéaste, une longue histoire d’amitié entre personnages, et enfin notre lien de spectateurs à ces derniers. Difficile alors de ne pas voir dans cette analogie du divorce de Gunn avec Marvel, de toute évidence, l’un des films les plus personnels de son auteur. Le spleen qui teinte ce troisième opus s’affirme dès son générique de début, l’esprit cool, pop et solaire de la bande-son du premier volet est ici pris à contre-pied par l’hymne dépressif et grunge du Creep de Radiohead. On suit alors, en plan séquence, un Rocket Racoon désabusé, traînant sa carcasse bionique dans les ruelles de Nowhere (le désormais QG des Gardiens) tout en entonnant les paroles (pas anodines) de la chanson, « But i’m a creep, I’m a weirdo (Mais je suis un pauvre type, je suis un bizarre) What the Hell am I doing here ? (Qu’est ce que je fous ici ?) I don’t belong here (Ma place n’est pas ici). » Ce refrain qu’on a tous essayé un jour de gratter sur une guitare désaccordée résume parfaitement l’humeur du film et peut-être plus encore celle de son auteur, de retour dans un foyer qui ne le considère plus autrement que comme un freak dont la présence au sein de la bande n’est plus vraiment souhaitée. Cette parade cafardeuse sur un texte si littéral noue définitivement le lien d’attachement profond de James Gunn à ses personnages. C’est certainement ce qui a dû le motiver à revenir, la queue entre les jambes, par crainte certainement que d’autres, mal intentionnés, viennent pervertir l’âme profonde de ses gardiens comme ce fut déjà un peu le cas lors de leurs incursions maladroites chez les Avengers. Ce conflit interne à l’auteur est même assez clairement caractérisé au sein du film par l’entremets du personnage de Gamora. Morte puis ressuscitée après la bataille contre Thanos, elle n’a plus aucun souvenir de ses aventures passées avec les Gardiens et pas plus de son histoire d’amour avec Peter Quill alias Star Lord. Par quelques esquives scénaristiques, elle retrouve sa place dans l’équipe. Quill tente désespérément de la ramener à « qui elle était avant » c’est à dire une amoureuse transie, amie dévouée et complice. Mais celle-ci est claire « Je reviens, mais il n’y a plus d’histoire d’amour ». De toute évidence, dans cette version furieuse de Gamora c’est Gunn lui-même qui s’exprime, qui met les choses aux claires avec Disney/Marvel. Cette nouvelle version de Gamora/Gunn sera plus violente et vulgaire, plus débonnaire, moins disciplinée, elle ne fait pas dans la dentelle et c’est par son biais (entre autre) que le cinéaste renforce la violence graphique, le gore et la méchanceté grinçante qui sont fortement présents dans ce troisième volet, à tel point qu’on peine à croire que Disney ait pu laisser passer cela.
Outre la violence graphique et les blagues de sales gosses – ceux et celles qui n’aimaient pas ça dans les deux premiers volets ne seront pas convertis, elles sont toujours présentes, et toujours plus débiles – le style de James Gunn s’affirme surtout dans son amour sans commune mesure des personnages et dans le soin qu’il apporte dans l’écriture – fait rare chez Marvel, le cinéaste écrit seul le scénario de son film – à développer chacun des gardiens avec le même soin, la même tendresse. Si le background de Star Lord et Gamora avait déjà été largement exploré – dans Les Gardiens de la Galaxie Vol.2 pour le premier, dans les deux Avengers Infitiny War/EndGame pour la seconde – les autres membres du groupe gagnent ici en épaisseur, à commencer bien entendu par Rocket Racoon – à la fois absent et omniprésent – sur qui l’intrigue principale repose presque entièrement. La belle idée de Gunn est d’explorer le passé tragique de ce personnage par l’usage de flashbacks alors que celui-ci est maintenu dans un coma artificiel, après une blessure quasi-mortelle. D’un côté, les Gardiens tentent de trouver une façon de sauver leur compère en remontant dans son passé, de l’autre, Rocket, immobilisé sur son brancard de fortune, revoit défiler sa vie. Assez logiquement, cette double trame va se relier pour converger vers un bad guy très charismatique (cela faisait longtemps qu’on en avait pas vu d’aussi incarné chez Marvel) en la personne du Maître de l’évolution. Ce dernier répond à peu près à tous les critères du scientifiques fou, son délire démiurge étant de créer une Contre-Terre peuplée de créatures hybrides mi hommes mi-animaux, façonnés par ses soins, dans le but de parvenir à une alchimie parfaite et à une paix durable. On retrouve dans ce personnage, une sorte de relecture post-moderne du Docteur Moreau, figure de la littérature comme du cinéma horrifique, chère à James Gunn. Rocket est donc l’une de ses expériences, qui lui est d’autant plus chère qu’elle est « spéciale » (son cerveau vaut tout l’or du monde, car il est capable d’inventivité) et qu’elle lui a échappé. Il parcourt alors l’univers à la recherche de sa créature, afin d’analyser son cerveau et de le reproduire sur ses prochaines créations et d’atteindre une certaine forme de perfection. En brassant le passé torturé de Rocket,James Gunn aborde assez frontalement la question de l’expérimentation animale. Sans en faire pour autant un pamphlet politique maladroit, c’est l’émotion générée par ces scènes de laboratoires qui emporte tout et qui font certainement de ce long-métrage l’un des plus émouvants des trente-quatre déjà produits par le studio. Cette émotion contamine tout, et même si le film est souvent fun, il reste teinté de sa mélancolie initiale si bien qu’on se surprendra même à voir chez Chris Pratt ou Dave Bautista des vrais beaux moments d’émotions incarnées.
Outre ses qualités scénaristiques et la sincérité qui s’en dégage, Les Gardiens de la Galaxie vol.3 renoue aussi avec un certain standard de mise en scène que Marvel n’avait plus retrouvé depuis au moins… Le second volet. La direction artistique semble ici contrôlée de bout en bout par le cinéaste. Marvel délaisse enfin la facilité des tournages utilisant Stagecraft – des plateaux entourés d’écrans géants led qui diffusent des environnements 3D, rendus incontournables à Hollywood depuis leur utilisation sur la série The Mandalorian – pour privilégier plutôt la construction « en dure » , les masques en latex et les effets-spéciaux correctement ouvragés – à ce titre, le gouffre qualitatif avec Thor : Love and Thunder (Taïka Waititi, 2022) et Ant-Man : Quantumania (Peyton Reed, 2023) est indescriptible tant il est énorme. Plus encore, certaines séquences d’action sont déjà commentées par les plus ardents fans comme les meilleures jamais vues dans un film du MCU. On sent là aussi que Gunn a pu jouir d’une certaine liberté pour laisser libre court à sa folie visuelle qu’il s’agisse d’un massacre collectif très gore, filmé en plan séquence, absolument bluffant ; d’un plan circulaire à 360° dans lequel Quill et Groot défouraillent dans une chorégraphie ébouriffante ; ou de séquences assumant gaiement le kitsch coloré des comics de Jack Kirby. Même dans la gestion du fameux cahier des charges Marvel – les quelques impératifs imposés par le studio pour coordonner le récit aux productions passées et à venir – Gunn s’en sort avec les honneurs, et sans éviter de gentillets pieds de nez. On pense notamment au traitement qu’il donne au personnage d’Adam Warlock, super-héros surpuissant et culte des comics que les studios lui avaient imposé d’ajouter en scène post-générique du second volet. Ici, il sert d’antagoniste secondaire et purement fonctionnel au récit, assumé comme tel. Son charisme se limite à sa puissance et à son look gentiment rétro, mais s’arrête dès qu’il doit prendre la parole tant il est idiot, adolescent attardé, dont on dira même autour d’un dialogue que ce n’est pas étonnant qu’il manque autant de charisme puisqu’il a été « mis au monde trop tôt ». Entre les lignes, James Gunn explique aux fans à quel point Warlock a été sacrifié par Disney/Marvel, tant le studio s’empresse d’exploiter un maximum de son catalogue de personnages, au risque de le faire n’importe comment – j’ai fait l’exercice de compta, c’est plus d’une trentaine de personnages qui ont déjà été exploités ou amorcés depuis Avengers : Endgame (2019). Même si l’on imagine qu’avec ou sans lui, l’écurie super-héroïque entend bien capitaliser encore des années sur la manne lucrative que constitue la marque Gardiens de la Galaxie, cette conclusion de trilogie semble bel et bien en mettre quelques-uns à la retraite – à commencer par Drax et Gamora, puisque Dave Bautista et Zoé Saldana ont déjà exprimé le souhait de ne pas revenir. De son propre aveux, James Gunn a pu décider en toute conscience (et sans pression du studio) de la formation de la nouvelle équipe qui persiste, au sortir du film. Ses deux séquences post-génériques offrent à ceux qui le souhaitent de prendre la relève pour raconter de nouvelles histoires avec certains de ses personnages, notamment Star Lord, mais le sentiment qui prédomine au sortir de la séance est moins l’envie de les retrouver rapidement que d’accepter l’émotion de les quitter. Cette émotion est rendue si rare chez Marvel qu’on en vient à la trouver précieuse.