Dix ans après le remake convaincant de Fede Alvarez, le Naturum Demonto rouvre ses pages pour un nouveau grand huit horrifique, délocalisé pour l’occasion à Los Angeles. Ni une suite directe du précédent volet, ni un rapprochement direct aux mésaventures d’Ash, le film de Lee Cronin jongle entre les deux pôles de l’héritage d’une saga folle : critique de Evil Dead Rise.
Nécronomi-con
Saga adulée tant pour ses qualités techniques que pour sa subversion, Evil Dead emprunte des chemins de traverse au sein d’une industrie formatée. Evil Dead (Sam Raimi, 1981), c’est d’abord un petit miracle de film fauché réalisé entre potes. Puis après deux volets totalement dingues que sont Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1986) et Evil Dead 3 : L’Armée des ténèbres (Sam Raimi, 1992), la franchise devient un objet de culte pour toute une génération avide de possession gentiment déviante. Ce culte est incarné par la figure d’Ash, héros aussi con qu’attachant, et se déclinera sur tous supports, du comics au jeu-vidéo. D’ailleurs, Bruce Campbell, son interprète, est lui-même devenu une icône de la pop-culture traversant la filmographie de Sam Raimi pour des coucous sympathiques et collaborant avec d’autres grands noms de la série B comme William Lustig. Dans les années 2010, à l’heure où Hollywood ne jure que par le remake qui fait tâche, Sam Raimi et Bruce Campbell reviennent eux-mêmes aux affaires en produisant un nouvel Evil Dead (Fede Alvarez, 2013), remake plus sérieux, suivant un nouveau personnage pas inintéressant : Mia. Malgré le joli succès critique et public, la saga va se poursuivre autrement, sur petit écran et avec le retour du grand Ash, c’est ainsi que nait Ash vs. Evil Dead (Sam Raimi, 2015-2018). Cette série retrouve la tonalité et toute la folie de la trilogie originale mais achève de lasser Bruce Campbell de son personnage fétiche. Il déclare ne plus vouloir jouer Ash et c’est là qu’arrive le film qui nous intéresse aujourd’hui : Evil Dead Rise. Fede Alvarez est trop occupé à enterrer Millenium (2018) et à entretenir son diptyque Don’t Breathe (2016, 2022), donc Evil Dead se retrouve à nouveau rebooté.
On le voit, la saga Evil Dead oscille entre deux personnalités : l’une, nouvelle, plus sérieuse et en phase avec l’horreur made in 2010, l’autre, originelle, plus délirante et proche du cartoon. Dans quelle direction allait donc pouvoir aller ce nouveau volet ? Eh bien… Le résultat se situe entre les deux. Sur le fond, rien ne change vraiment. Des gens à l’intelligence trépanée décident de lire à haute voix des incantations libérant des démons et doivent les combattre à coups d’objets contondants. Sur la forme, en revanche, le long-métrage ne sait pas trop où donner de la tête. À la fois il reprend l’esthétique plus proprette de l’opus précédent – travellings travaillés, lumière en clair-obscur et choix du format scope – mais il rend par instant hommage à l’imagerie des trois films de Raimi à coup d’œil gobé, de plans débulés ou de doubles focales dignes de Mort ou Vif (1995). Alors le film provoque, consciemment ou non, des ruptures de ton sur toute sa durée, ce qui n’en fait pas un objet raté, mais à tout le mieux une production légèrement schizophrène et bancale, là où les volets précédents assumaient leurs identités respectives.
L’une des autres grandes forces de la franchise Evil Dead, c’est sa galerie de personnages. Si le casting ne sert finalement qu’à nous montrer à quel point la chair humaine n’a que peu de consistance, Ash, dans la première trilogie puis dans la série, et Mia, dans le remake, représentent des personnages forts et attachants. Dans Evil Dead Rise, c’est plus compliqué de s’identifier à qui que ce soit dans la mesure où le background des personnages est présenté aux forceps et que la moitié du casting est en surrégime permanent. C’est notamment le problème d’Alyssa Sutherland, présente sur les affiches, qui surjoue de manière assez gênante dès lors que le démon s’empare de son personnage. Elle est d’ailleurs peu aidée par un maquillage faisant pâle figure au regard de ce qui a pu être fait dans la même saga, quarante ans plus tôt. Lily Sullivan, qui interprète sa sœur, est plus convaincante bien qu’elle n’ait pas grand-chose à se mettre sous la dent. C’était évidemment le risque en passant après une figure iconique comme Ash, mais Fede Alvarez avait mieux su contourner le problème que Lee Cronin. On sent que le cinéaste essaye de nous dire quelque chose à propos de la maternité mais on voit surtout à quel point il se prend les pieds dans un discours qui fleure bon l’intégrisme religieux…
Néanmoins, Evil Dead Rise propose quelques belles choses en étant très généreux dès lors qu’il s’agit de verser dans le gore pur et dur, et de lâcher des litres d’hémoglobine dans un hommage pas très subtil à Shining (Stanley Kubrick, 1980). D’ailleurs, si ça n’est pas toujours adroit, on sent que Lee Cronin connait ses classiques et qu’il essaye de s’en amuser en les détournant comme dans la scène inaugurale et son drone affuté, ou en les citant (trop) religieusement, tel que l’inévitable tronçonneuse, comme un cheveu sur la soupe. On sent un cinéaste appliqué et concerné par ce qu’il filme, mais peut-être pas encore en pleine maitrise de ses artifices – les effets CGI sont assez hideux et souffrent la comparaison avec les effets pratiques et organiques de chez Raimi. La direction artistique globale, qui se résume à ce vieil immeuble en passe d’être rasé, est jolie voire très soignée par endroits, et participe pleinement à l’immersion. Contrairement à l’escapade new-yorkaise d’une franchise comme Scream (Matt Bettinelli-Olpin, Tyler Gillett, 2023) Evil Dead profite complètement de ce nouveau cadre. C’est peu de choses, mais on se raccroche à ce qu’on peut ! Loin du trip nostalgique qu’aurait pu nous procurer un hypothétique Evil Dead 4 (ou L’Armée Des Ténèbres 2, comme souhaitaient l’appeler Campbell et Raimi), ce nouvel opus nous rappelle que la seule tripaille offerte en pâture au spectateur ne suffit pas toujours à cacher la misère. S’il est très loin d’être honteux et qu’il reste généreux, Evil Dead Rise constitue le premier vrai faux pas d’une saga qui avait jusqu’ici composé avec son temps et imprimé la rétine durablement. #BringBackAsh