Improbable et culte giiallo tricolore, Le couteau sous la gorge de Claude Mulot vient de ressortir en Blu-Ray, et il ne pouvait y avoir que nos amis du Chat qui fume pour le sauver de l’oubli. Retour sur cet objet aussi fragile que touchant, témoin halluciné d’une époque où le cinéma français n’avait pas froid aux yeux.
La Frustration
Le Chat qui Fume nous a habitués ces dernières années à nous faire redécouvrir l’œuvre souvent méprisée et pourtant ambitieuse de Claude Mulot. Les ressorties de La Rose écorchée, Les Charnelles ou encore La Saignée prouvaient qu’il y avait autre chose à retenir de cette œuvre étrange et malheureusement dans l’ensemble inaboutie que ses collaborations avec Max Pécas ou sa carrière dans le X sous pseudonyme. C’est dans cette optique que l’éditeur nous gratifie d’une belle édition d’un de ces derniers films, Le Couteau sous la Gorge, qu’on avait pu déjà découvrir lors de la dernière édition de l’Etrange Festival, dans le cadre d’une séance événement en compagnie de Brigitte Lahaie. On retrouve ici d’ailleurs l’ancienne star du cinéma pornographique dans un entretien aussi touchant que passionnant, où cette dernière brosse un portrait de Mulot en homme frustré, terrifié par les femmes, mais aussi en passionné, sans doute éternellement insatisfait de n’avoir jamais pu mettre en scène des œuvres à la hauteur de son ambition.
Cette ambition, elle transpire ici dans chaque plan autant qu’elle phagocyte un peu le récit, tant le cinéaste n’en est pas toujours à la hauteur. Le métrage narre l’histoire d’une jeune mannequin, Catherine – incarnée très justement par la muse de Mulot, Florence Guérin – qui est agressée à de multiples reprises. Pourtant, autour d’elle, que cela soit dans la police ou chez ses collègues, personne ne veut la croire et chacun la pense paranoïaque… Sa peur ne sera pas atténuée quand son entourage sera progressivement décimé par un tueur mystérieux. Devant un tel pitch, on pourrait croire qu’on est face au meilleur de Dario Argento, face à une œuvre où des fantasmes supplanteraient la réalité, où les meurtres seraient autant de ballets lyriques et terrifiants. C’est bien cette atmosphère là qu’instaure le cinéaste, dans des nuits irréelles et dans des couleurs vives et transgressives. Malheureusement, dès le début, la direction artistique brinquebalante, la mise en scène souvent paresseuse et fauchée empêche de voir le récit décoller et de le faire accéder à la poésie. Florence Guérin et Brigitte Lahaie se retrouveront l’année suivante dans Les Prédateurs de la Nuit de Jesus Franco, et c’est à ce cinéaste qu’on aimerait penser. Il manque à Mulot la folie du metteur en scène espagnol, son montage qui s’énerve, sa boulimie de cinéma qui lui permet de toucher du doigt le sublime. Ici, le film reste trop phagocyté par son récit ennuyeux, et par des images qui respirent plus les passions tristes que la transgression. Il faut voir comme Mulot déshabille ses actrices à volonté comme autant de passages obligés, de scènes dévitalisées pour s’en assurer, ou la pauvre révélation finale qui fait retomber l’histoire sur une habituelle explication par la frustration et la vengeance.
Ce qui finit par transparaître dans Le couteau sous la gorge, plus que l’ambition du cinéaste, c’est justement la frustration qui l’habite. Celle d’un homme qui rêverait d’avoir les moyens de mettre en scène un grand film d’horreur lyrique et qui se retrouve obligé d’enquiller des séquences explicatives ennuyeuses servies par des seconds rôles pour la plupart très mauvais. Pourtant, le temps de quelques séquences, on sent bien le talent de Mulot à l’œuvre, et une perversité qui aurait pu donner le grand film espéré, le temps par exemple d’un meurtre sauvage dans une baignoire assez impressionnant. On sent bien aussi une belle et profonde empathie qui dépasse la misogynie nanardesque qui envahit souvent ce genre de productions, quand Mulot est du côté de son beau personnage féminin et fait valoir sa voix. Mais tout cela est malheureusement et tristement trop encombré par une maigre matière scénaristique, un budget misérable et la frustration qui en découle. Reste une belle bande originale d’Alain Guélis et quelques moments de beauté malade qui laissent transparaître la tristesse d’un metteur en scène qui n’aura jamais eu vraiment accès au cinéma de ses rêves, mais qui était sans doute bien plus inspiré dans la contrainte d’un remake impossible (La Rose écorchée, qui est inspiré des Yeux sans visage de Georges Franju) ou celle d’un film pornographique (Brigitte Lahaie évoquant le très beau Sexe qui parle par exemple, peut-être sa plus belle réalisation).
Nous recommanderons donc cette édition aux amateurs. Ils profiteront comme toujours du travail de qualité des éditeurs – masters image et son impeccables, beaux entretiens avec Brigitte Lahaie donc mais aussi Florence Guérin – et même cette fois d’un autre film en bonus. Il s’agit du bien plus improbable Black Vénus, adaptation de Balzac (!), malheureusement interminable et terriblement soporifique, qui pourtant recèle de belles scènes érotiques, et qui dans l’aberration que constitue sa proposition – décors et costumes à l’ouest, dialogues effarants, hétérogénéité totale des choix de réalisation – saura fasciner les plus bizarres d’entre vous. C’est-à-dire, sans doute, une bonne partie des lecteurs de ce papier.