A l’occasion de sa sortie dans un master restauré par les matous du Chat qui Fume, on vous parle d’un des meilleurs polars français, signé Claude Mulot, l’immanquable La Saignée (1971).
Le Chat et le Mulot
S’il reste souvent accroché et réduit à sa réputation de réalisateur de films érotiques – du fait que certains d’entre-eux aient passablement marqué les esprits tels que Sexyrella (1968) ou bien sûr le déjanté Le Sexe qui Parle (1975), devenu cul(te) – il convenait peut-être de redorer le blason de ce cinéaste déclassé qu’était Claude Mulot – bien qu’on ne fera pas ici l’erreur de considérer les réalisateurs de films érotiques comme de sous-cinéastes – en remettant en lumières ses deux très réussis essais dans le cinéma de genres plus « traditionnels » que sont La Rose Ecorchée (1970) – dont on vous parlera très vite – et La Saignée (1971) dont il est plus précisément question ici. C’est chose faite avec le Chat qui Fume qui continue son travail de réhabilitation d’un certain cinéma français, en proposant la découverte ou la redécouverte, d’œuvres qui auraient pu/du être fondatrices mais qui n’eurent pas le succès escompté à leur sortie.
L’un des intérêts fondamentaux de La Saignée – ce qui a en tout cas toujours attisé ma curiosité à découvrir cet objet difficilement visible – c’est qu’il est tourné majoritairement dans ma contrée de cœur, ce qu’on appelait jadis la Picardie et qu’on nomme maintenant les Hauts-de-France. Fasciné par la découverte des décors atypiques de la plus belle baie du monde – c’est tourné plus précisément dans la baie de Somme, entre les falaises de Ault, le port de la pointe du Hourdel, les plages de Berck-sur-Mer et les vieux quartiers de villes de bord de mer tels que Cayeux-sur-Mer ou Bethancourt-sur-Mer – et intrigué lors de ses repérages par cette province hors du temps, comme bloqué dans une syncope temporelle, Mulot y trouva le théâtre idéal d’un polar provincial qui se nourrirait des spécificités de ses décors pour en faire émerger une atmosphère atypique. En totale opposition avec le New-York où démarre le réit, agité d’une humeur citadine étouffante à sa manière, le décor de la Baie de Somme, d’une quiétude morne mais rassurante, apparaît de prime-abord comme une planque idéale pour ce pauvre gars de Thomas Chanard – impeccable Bruno Pradal, qui sortait à l’époque d’un énorme succès critique avec Mourir d’Aimer (André Cayatte, 1971), lui ayant permis d’être promu au rang de « jeune premier du cinéma français » – qui, témoin involontaire d’un meurtre dans la Big Apple, se retrouve pourchassé à la fois par un inspecteur américain qui s’intéresse à lui parce qu’il est le seul témoin du crime et par des mafieux désireux de l’éliminer pour qu’il ne puisse pas témoigner ce qu’il a vu. Alors qu’il pense être en sécurité dans sa paisible terre natale, son retour n’y est pas vu d’un très bon œil, si bien que la lâcheté et le désir de vengeance des habitants va le mener irrémédiablement à sa perte.
Outre sa capacité à tirer le meilleur de son décor, La Saignée brille avant tout par son scénario de polar ultra-efficace et inspiré, et par la mise en scène de Claude Mulot, tenue de bout en bout, sans fioritures. Le Français manie les codes du genre avec brio – il se disait volontiers inspiré par le cinéma américain de l’époque – autant qu’il parvient parfois à les malmener, les détourner, s’offrant des pas de côté vers le mélodrame et la romance. Certaines séquences parviennent à s’imprimer durablement dans les rétines et les esprits, telles cette course-poursuite éprouvante dans le sable mouvant de la baie qui finira en lynchage, mais encore, ce final dramatique dans un autobus, d’une beauté lyrique saisissante. Loin d’être nanardeux dans sa forme comme dans son fond, exécuté sobrement et très sérieusement par un Mulot à son sommet, La Saignée est une découverte de plus offerte par Le Chat qui Fume dont on ne peut que saluer l’effort, tant il semble moins vouloir ré-invoquer le souvenir d’un cinéma de genres français aux aspects bisseux qu’au contraire, souligner et remettre en lumière certaines des tentatives les plus inspirantes et inspirées que le genre « à la française » ait proposées.
Difficile de suivre le rythme effréné des sorties du Chat qui Fume, tant l’éditeur effectue une année marathon assez exceptionnelle, enchaînant mois après mois la parution d’éditions toutes plus denses les unes que les autres. Si cette dernière salve en date, entendait faire découvrir un certain cinéma de genres français – on vous a déjà parlé de l’édition offerte au surprenant La Nuit de la Mort de Raphaël Delpard – les matous offrent donc à un Mulot – c’est cocasse – en plus d’un ouvrage inédit qui lui est entièrement consacré (Claude Mulot, cinéaste écorché par Philippe Chouvel), deux écrins toujours aussi au poil, pour deux films directement restaurés par l’éditeur. Ces éditions de La Saignée (1971) et de La Rose Ecorchée (1970), complètent un catalogue déjà riches en pépites et must have – on se répète à force, non ? – le félin clopeur offrant à nouveau pléthore de compléments qui ne viennent qu’enluminer son travail de restauration déjà exemplaire. Voir Le Chat qui Fume se lancer parallèlement à son travail d’édition vidéo dans l’édition littéraire est d’autant plus réjouissant. Et bien qu’on ait pas eu encore la chance de lire l’ouvrage de Philippe Chouvel, on ne doute pas une seule seconde de son exhaustivité et de sa qualité. Deux maîtres mots qui font toujours de ce chat, le chef de meute indiscutable du petit monde de l’édition vidéo actuelle.
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