The Regime


Pour sa troisième incursion chez HBO après Mildred Pierce (Todd Haynes, 2011) et Mare Of Easttown (Brad Ingelsby, 2021), Kate Winslet frappe fort avec The Regime (Will Tracy, 2024) qui n’est pas une anthologie de recettes minceur mais un miroir dressé à nos régimes démocratiques vacillants.

Kate Winslet, debout près d'une large fenêtre lumineuse à peine voilée par des stores, lit une lettre, vêtue d'une robe blanche sobre et élégante, dans la série The Regime.

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God Save the Despotic

Kate Winslet en présidente, assise dans une salle luxueuse, les mains jointes, attentive ; derrière elle, cinq drapeaux du pays fictif de la série The Regime.

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The Regime, c’est l’histoire d’un petit État imaginaire d’Europe de l’Est dirigé de main de maitre par une chancelière-dictatrice nommée Elena Vernham. Si l’on ignore le nom de ce petit pays, on sait que son emblème est la betterave et comprend qu’il n’y fait bon vivre que pour ceux étant dans les petits papiers de cette chancelière despotique. Pour passer les portes du palais, on suit le caporal Herbert Zubak, dit « Le Boucher », qui traine derrière lui des faits de violences extrêmes à l’encontre des populations et qui semble fasciner Vernham. Entre les deux va se jouer une histoire faite de rêves, de fantasmes mais surtout de brutalité qui mettra à mal l’équilibre déjà très précaire du petit pays. Alors qu’au vu de la promotion, on pouvait s’attendre à un The Crown (Peter Morgan, 2016-2023) plus féroce, on comprend dès les premières notes de la bande-originale composée par Alexandre Desplat que la tonalité de la mini-série HBO sera volontairement burlesque et parodique, ce que confirme le générique des épisodes. Et autant le dire d’emblée, la série n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de tourner en ridicule les institutions du monde entier. Si le caractère dictatorial du personnage de Kate Winslet peut faire penser en premier lieu à Donald Trump ou Vladimir Poutine dans toute son immoralité et son mépris des règles politiques voire humaines, tout le monde en prend pour son grade et pas qu’un peu !

On reconnait bien là la méchanceté de l’écriture de Will Tracy – à qui l’on doit Le Menu (Mark Mylod, 2022) – dans son portrait des hauts placés, qu’il s’agisse de la dictatrice et de sa cour faite de prétendants lâches et conspirationnistes ou de l’Occident en général. En effet, les États-Unis sont ici dépeints au vitriol au détour d’un épisode où Vernham tourne en ridicule une délégation venue imposer les lois de son marché capitaliste. Alors The Regime esquive le piège de n’être qu’un objet univoque et binaire ; peut-on condamner tous les partis pris protectionnistes de la chancelière sans nuance ? En mettant sur un pied d’égalité les grands enjeux internationaux à des quêtes plus banales – comme la chasse aux moisissures dans le palais – Tracy nous dit à la fois que la même folie est aux manettes, et que la bouffonnerie part toujours d’intentions louables. Du coup, on rit souvent devant la série. La plupart du temps du fait du malaise provoqué par les velléités et les lubies de la dirigeante et le peu de courage de sa cour, surtout par les contrepieds que prend souvent The Regime dans sa tonalité.

Tout juste pourrait-on regretter que sous la plaisanterie kafkaïenne, le propos se dilue par moments. Car à viser dans tous les sens, tout en évitant tout manichéisme, The Regime finit par questionner le spectateur sur sa propre utilité. La fable en valait-elle la chandelle ? D’aucuns pourraient alors ne pas voir le sous-texte racontant la place d’une femme dans une telle société : dans un monde d’hommes, Elena Vernham tient la dragée haute à un cortège de mâles en mal d’autorité. Cet aspect aurait pu être davantage exploité et moins noyé sous la parodie politique mais qu’importe, il existe. Malgré la gouvernance capricieuse mise en images, The Regime est aussi un portrait fort d’une femme qui s’embourbe dans sa propre santé mentale. Et aussi étrange que cela puisse paraitre, on finit par s’attacher à cette dictatrice qu’une figure paternelle destructrice hante dans chacune de ses actions. C’est bien l’interprétation de Kate Winslet qui est à saluer pour le coup.

Un homme mort sur son lit mortuaire, dans une ambiance sombre ; sa peau, au niveau du front, est déjà en train de se nécroser ; plan issu de la série The Regime.

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De toutes les scènes et de toutes les intrigues, sa figure faussement tutélaire enveloppe le récit. Chacune de ses apparitions devient la promesse de son lot de surprises puisque le personnage étant insaisissable, Winslet l’interprète avec autant de plaisir communicatif que d’imprévisibilité. La bouche légèrement tordue comme pour signifier l’esprit malade d’Elena, l’actrice compose un personnage haut en couleur qui vole la vedette à tous ses partenaires sans exception. Le reste du casting est pourtant composé d’un Matthias Schoenaerts tout en brutalité, d’un touchant et présent Guillaume Gallienne, d’un Hugh Grant inattendu, d’une Andrea Riseborough émouvante et d’une galerie de jolis seconds rôles ! C’est dire le talent de Kate Winslet qui confirme son statut de star parmi les stars. Tout ce beau monde traverse l’ensemble des six épisodes qui constituent la mini-série en étant à l’avenant d’une qualité visuelle de tous les instants. Il faut dire que le show est réalisé par Stephen Frears qui avait déjà fait l’étude du pouvoir avec The Queen (2006) et par Jessica Hobbs à qui l’on doit des épisodes de The Crown, justement. Tous deux insufflent à la série son ton, son élégance malgré l’inélégance des dirigeants, et un rythme imparable. Grâce à une Kate Winslet en majesté, The Regime est une série qui s’annonce déjà comme un sommet de 2024.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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