Yellowjackets – Saison 1


Sortie de nulle part fin 2021 sur Showtime puis quelques mois plus tard sur Canal+ en France, Yellowjackets a surpris beaucoup de monde par sa capacité à brasser tout un tas de références sans jamais trop se perdre. Un petit tour de force télévisuel, assurément : critique de la saison 1.

Faisant penser à une cérémonie rituelle, de nuit, une jeune femme porte une robe blanche et sur le crâne une longue coiffe imitant les cornes d'un animal, recouverte d'un tissu léger ; derrière elle une demoiselle d'honneur tout de vert vêtue, avec une couronne végétale sur la tête ; scène de la série Yellowjackets saison 1.

© SHOWTIME

Le Goût des autres

Dans le petit monde impitoyable des producteurs de séries, Showtime fait figure d’outsider face aux géants que sont les plateformes. En effet, malgré les Dexter (James Manos Jr, 2006-2022) ou autres Penny Dreadful (John Logan, 2014-2016), difficile de rivaliser avec la force de frappe des Stranger Things (Matt & Ross Duffer, depuis 2016), Anneaux de Pouvoir (J.D. Payne & Patrick McKay, depuis 2022) ou encore The Mandalorian (Jon Favreau, depuis 2019). Pour autant, avec sa dernière création, Showtime envoie un signal fort : les networks ne sont pas morts et ont encore de beaux jours devant eux ! Yellowjackets (Ashley Lyle & Bart Nickerson, depuis 2021) est en effet une belle réussite et une promesse plutôt réjouissante pour les quelques saisons d’ores et déjà prévues par les showrunners.

© Showtime

L’histoire de Yellowjackets se déploie sur deux temporalités. La première, en 1996, voit une équipe féminine lycéenne de soccer s’abîmer lors d’un déplacement aérien. Nous suivons donc les survivantes du crash se dépêtrer dans une forêt hostile, mettre en place une mini société avec ce que cela comporte de dérives, et franchir le Rubicon quant à leur morale. La seconde intrigue se déroule vingt-cinq ans plus tard et nous y retrouvons quelques-unes des jeunes femmes. On apprend qu’elles ont dû survivre pendant dix-huit mois dans la forêt, mais surtout, nous comprenons peu à peu comment cet événement survenu dans leur jeunesse les affecte encore aujourd’hui. Chacune vit avec des démons – alcool, schizophrénie, goût de la violence, paranoïa – et doit affronter ce qu’elles ont pu faire là-bas, en 1996.

© Showtime

De mémoire de spectateur, peu de séries ont réussi le pari du récit éclaté sur plusieurs époques. Dark (Baran Bo Odar & Jantse Friese, 2017-2020) est sûrement la référence la plus récente en la matière, mais dans le cas de Yellowjackets, ce parti pris narratif était risqué dans la mesure où l’intérêt majeur de l’histoire se concentre davantage dans la partie se déroulant en 1996, soit la survie de ces jeunes filles. La série n’échappe d’ailleurs pas à quelques longueurs dans sa partie au présent ; les quatre personnages principaux ont beau être attachantes et intrigantes, difficile de ne pas trouver que certains passages sont de trop pour raconter une temporalité finalement si étirée. Pour autant, cette partie est tout à fait utile dans la construction des personnages puisque 1996 et 2021 se répondent de manière assez limpide et ludique pour dessiner ces caractères blessés, le gâchis de ces trajectoires brisées se mesurant d’autant mieux. Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer dans cette forêt pour que vingt-cinq ans plus tard, ces quatre femmes, pour l’instant, soient encore à ce point déterminées par cette tragédie ? Eh bien la série prend son temps pour cracher le morceau si je puis dire, et pour faire imaginer le pire à son spectateur. Même si on comprend très vite, de par les influences qui semblent être celles des créateurs de la série, que l’équipe de soccer a dû en passer par la transgression ultime, le cannibalisme, pour survivre, les rites païens, les jeux d’influence au sein de cette communauté de fortune et les trahisons pourraient s’avérer plus graves encore. Tout le mystère repose sur le passé et ça, l’écriture des épisodes l’utilise très bien puisque chaque séquence de 1996 pose de nouveaux enjeux pour celles de 2021. Ce n’est pas toujours parfait, la faute aux quelques longueurs mentionnées, mais c’est plutôt intelligent et prenant !

Contre-plongée issue de la série Yellowjackets saison 1 sur un homme recouvert de fourrure et masqué, dans un paysage de jour, enneigé, avec des sapins en fond.

© Showtime

La série ne manque donc pas de références et elle ne fait pas mystère de celles-ci. La petite communauté de jeunes devant faire société rappelle évidemment Sa Majesté des mouches (roman de William Golding, 1956), le côté sectaire / religieux rappelle certains passages de The Mist (Stephen King, 1987), et tout le décorum païen renvoie au folk horror type The Wicker Man (Robin Hardy, 1973) ou Midsommar (Ari Aster, 2019). Évidemment, la tragédie de nos héroïnes renvoie directement à la tragédie de la Cordillère des Andes, adaptée par Frank Marshall en 1992 dans Les Survivants. Sans jamais atteindre la puissance de toutes ces œuvres, Yellowjackets les brasse avec une facilité confondante en y ajoutant même une petite dose de teen movie rafraîchissante ! Le choix de 1996 comme contexte historique n’est d’ailleurs pas anodin puisque nous étions alors en plein nouvel âge d’or du teen movie post-Scream (Wes Craven, 1996) et de la période MTV. Les rapports entre les personnages s’en ressentent quand, même dans l’adversité, les petits enjeux relationnels sont mis en avant et ne manquent pas de piquant. Jamais mièvre, bien au contraire puisque les deux auteurs font parfois montre de cruauté envers leurs personnages, la série, à l’instar des films écrits par Kevin Williamson, a presque une dimension meta dans sa façon d’être consciente d’elle-même et d’étaler ses références habilement. Récit adolescent, de sorcellerie, d’anthropophagie, de culte païen, d’enquête… Yellowjackets est un peu tout ça à la fois et réussit malgré tout à imprimer son identité propre et à garder le cap.

Quatre jeunes femmes en tenue de soirée, dans la salle d'un bal, se tiennent côte à côte, alignées et semblent déroutées, dans la série Yellowjackets saison 1.

© Showtime

En 2021, la série se donne plutôt des allures d’enquête : un maître chanteur harcèle quelques-unes des survivantes et menace de révéler ce qu’elles ont fait dans la forêt il y a vingt-cinq ans. Un coté Souviens-toi l’été dernier (Jim Gillespie, 1997) – écrit par, je vous le donne en mille, Kevin Williamson – qui permet à la série de sortir de la lourdeur des événements sylvestres et de varier les tonalités. Ce n’est pas toujours bien passionnant, mais c’est servi par un casting de haute tenue, ce qui permet véritablement de faire passer la pilule. Christina Ricci, Juliette Lewis et Melanie Lynksey, toutes trois découvertes très jeunes dans les années 90, incarnent ici des versions torturées des jeunes filles autrefois (presque) innocentes. Si le personnage de Melanie Lynksey, pourtant très bonne actrice, agace souvent par son écriture, Christina Ricci, dans le rôle de Misty, tire son épingle du jeu, proposant un personnage barge d’un bout à l’autre, tout en mimiques et répliques qui font mouches. La revenante Juliette Lewis semble légèrement en surjeu par instants, mais son interprétation finit par convaincre et faire du personnage de Natalie le plus tragique de la série. Les jeunes comédiennes de l’arc 1996 sont quant à elles, en plus d’être très vraisemblables vis-à -vis de leurs versions adultes, hyper justes ! Mentions spéciales à Sophie Thatcher (Natalie), Sophie Nélisse (Shauna) et Jasmin Savoy Brown (Taissa). Leur partie est la plus rude et radicale, et elles ne manquent pas d’épaules pour relever le défi, faisant de Yellowjackets et de sa partie forestière une grande réussite.

En fait, si cette première saison aurait presque pu s’autosuffire, Yellowjackets en garde beaucoup sous son coude pour le futur. Quatre saisons supplémentaires ont été annoncées et difficile de ne pas voir dans certains aspects de cette introduction le temps qu’essayent de gagner les showrunners quitte à rendre quelques passages invraisemblables. Le personnage de Shauna est la première victime collatérale de cet étirement ; sa nature devenant illisible vers la fin de saison. L’intention est claire, mais l’exécution pas toujours heureuse… Néanmoins la série jouit d’un très bel emballage. Que ce soit pour sa direction artistique, pour sa bande originale ou pour sa photographie impeccable, Yellowjackets est quasiment irréprochable sur sa forme. Gageons que pour la seconde saison, les auteurs arrivent à corriger quelques scories et à mieux équilibrer le récit dans sa partie au présent…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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