Bodies (Mini-Série)


Quand la plateforme n’est pas occupée à garnir le fond de son catalogue par de modestes voire médiocres contenus, Netflix se remonte les manches pour accoucher de quelques pépites. C’est le cas aujourd’hui pour Bodies (Paul Tomalin, 2023), mini-série britannique qui dès ses premières bandes-annonces laissait présager d’une réussite. Amateurs de paradoxes temporels, bienvenue.

Une jeune femme se penche sur un corps d'homme nu, dans une impasse de ville qui commence à être recouverte par des plantes, comme la nature reprendrait progressivement ses droits ; plan issu de la série Bodies.

© Netflix

La mort est un Éternel recommencement

Un policier de la période victorienne se penche sur un cadavre dans une rue de Londres, de jour ; pan de la série Bodies.

© Netflix

Tout le monde a pu lire ou voir des œuvres traitant du voyage dans le temps, de H.G. Wells au récent Totally Killer (Nahnatchka Khan, 2023), en passant évidemment par Terminator (James Cameron, 1984) ou Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985). Un procédé narratif évidemment lié à la science-fiction et qui entraîne dans son sillage de nombreux paradoxes du genre « Qui est né le premier entre l’œuf et la poule ? ». Un serpent qui se mord souvent la queue, mais le spectateur ferme souvent les yeux sur ces menus détails pour peu que le film ait d’autres atouts. Une série a largement poussé le voyage temporel dans ses retranchements : Dark (Baran Bo Odar, 2017-2020). Une autre production Netflix, allemande celle-ci, qui peut aisément être considérée comme un chef-d’œuvre ou à minima un modèle du genre. Et ça tombe bien puisque Bodies, qui nous intéresse aujourd’hui, semble avoir digéré les acquis de sa cousine germanique. Le résumé, est simple mais prémice à de nombreux casse-têtes à venir : en 2023, Sharara Hasan, une inspectrice londonienne, découvre un cadavre d’homme nu dans le quartier de Whitechapel. Problème, ce même cadavre a été retrouvé sur trois autres scènes de crime identiques, en 1890, en 1941 et bientôt en 2053. Ce sont donc quatre inspecteurs qui devront, à travers le temps, résoudre une énigme qui cache les sombres desseins d’un homme. Bodies est adapté d’un roman graphique de Si Spencer publié dans les derniers temps du label Vertigo de DC Comics en 2014. Son ambition narrative est folle tant il faut être accroché à son fauteuil pour en saisir ses aspects les plus complexes et WTF. Car la série ne prend pas de gants pour entrainer son spectateur dans l’aventure ; dès les quinze premières minutes de l’épisode pilote, le déploiement temporel est lancé et dès lors, chaque chapitre multipliera les cliffhangers pour maintenir un rythme imparable !

Debout près d'un corps d'homme nu en pleine rue, une policière tient en joue une silhouette d'homme que nous voyons de dos ; scène de la série Bodies.

© Netflix

Moins métaphysique et philosophique que Dark, cette nouvelle mini-série s’en rapproche sur son sens de la narration où les époques se répondent parfaitement, à la faveur de transition bien placées. Visuellement, Bodies bénéficie d’une mise en images quasi parfaite où chaque époque représentée a son propre style tout en faisant en sorte que l’ensemble soit assez homogène. Les cadres sont soignés et surtout, la reconstitution historique des années 1890 et 1941 est parfaite, ce qui n’est pas toujours évident pour des séries sorties de nulle part. De même, 2053 et sa représentation d’un après pas si lointain évite les écueils inhérents à l’évocation futuriste. Ici, pas de voitures volantes ni de Terre post-apocalyptique, mais un futur à la Minority Report (Steven Spielberg, 2002) – film qui avait d’ailleurs bénéficié du concours de plusieurs scientifiques pour imaginer l’avenir et ses technologies – dans sa vision sobre et sans fioritures de ce que sera le monde dans trente ans. Bref, un panel d’époques magnifiquement représentées. L’ensemble est soutenu par une musique à la Dark, à base de notes de synthé étirées, mais aussi par des élans mélodieux au piano venant appuyer les passages les plus tragiques de la série. Car Bodies n’hésite jamais à aller sur le terrain de l’émotion sans verser dans le pathos. Les quatre inspecteurs, disséminés sur les 160 ans couverts par le show, incarnent tous une forme de rejet de la part de leurs congénères. En 1890, Alfred Hillinghead doit refouler son homosexualité pour ne pas détruire son mariage. En 1941, Charles Whiteman doit cacher son véritable nom, Karl Weissman pour échapper à l’antisémitisme latent de ses collègues. En 2023, Shahara Hasan est une jeune femme assumant sa foi musulmane mais à qui on demande de ne pas se faire remarquer lors de manifestations d’extrême-droite. Enfin, Iris Maplewood, dans le futur, cache le fait qu’elle ait des prothèses robotisées pour compenser son handicap physique, dans une Angleterre dictatoriale prônant l’excellence en mode troisième Reich. Ces aspects de chacun des inspecteurs vont concourir à les faire aller plus loin que les autres sur cette enquête et développer chez eux différentes formes d’empathie. Et pour s’opposer au « méchant » de la série, il s’agit bien là du nœud du problème.

© Netflix

On le voit venir assez rapidement, Elias Mannix, le bad guy, incarné par le trop rare et excellent Stephen Graham, est motivé par l’amour, ou plutôt le manque d’amour. Si cela fait bien naïf sur le papier, cela en fait un personnage très profond qui se rapproche d’un Thanos d’Avengers : Infinity War (Anthony et Joe Russo, 2018) ou d’antagonistes tragiques shakespeariens, aux intentions extrêmes mais sincères. Alors, dans ses deux derniers épisodes, la série devient une tragédie bouleversante qui dresse le portrait d’un homme qui, au fond, ne cherche que des repères affectifs. Et finalement, toute l’écriture et chaque personnage va dans ce sens, dans cette quête si simple mais cruciale. Cette simplicité dans le propos est peut-être ce qui fait de Bodies une réussite moins franche que Dark, qui elle, osait mettre en avant de grands concepts scientifiques et philosophiques, là où la mini-série britannique reste peut-être plus en surface dans son déroulé d’intentions. Le prétexte du voyage dans le temps est utilisé à de mêmes fins, pour illustrer un drame humain, mais avec une exécution scénaristique potentiellement plus simpliste. Reste que Bodies est l’un des temps forts des sorties série de cette fin d’année, avant que Netflix ne dégaine le final de The Crown (Peter Morgan, depuis 2016), une autre tragédie humaine cachée sous de plus grands concepts. Une série de science-fiction au casting exceptionnel avec Graham donc, mais aussi Shira Haas que nous avions découvert dans Unorthodox (Deborah Feldman, 2020), Amaka Okafor, Kyle Soller et mais aussi Jacob Fortune-Lloyd, parfait en magouilleur cherchant à laver son nom et son âme et qui synthétise beaucoup des thématiques de Bodies. Une mini-série qui, on l’espère, ne fera pas l’erreur de se décliner dans une seconde saison que les dernières secondes du show semblent vouloir teaser…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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