Dream Scenario


À chaque année son Nic Cage Movie où le neveu de Coppola nous gratifie de performances hors normes dans des films high concept. Après le puissant Pig (Michael Sarnoski, 2021) et le rigolo Un Talent en or massif (Tom Gormican, 2022), ce bon vieux Nicolas Cage nous revient avec Dream Scenario (Kristoffer Borgli, 2023), une comédie délirante sur la célébrité.

Nicolas Cage en vieux sexagénaire à calvitie et lunettes hurle dans son salon, entre un papier peint vieillot et une œuvre d'art abstrait, dans le film Dream Scenario.

© Metropolitan FilmExport

Bringing out the dreams

Au premier plan, un jeune homme de profil la tête tournée vers Nicolas Cage, au second plan, qui l'observe les bras ballants, derrière une vitre qui donne sur de la verdure ; plan issu du film Dream Scenario.

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La carrière de Nicolas Cage ressemble à un grand huit où alternent grands films tels qu’Arizona Junior (Joel Coen, 1987), Sailor et Lula (David Lynch, 1992), Leaving Las Vegas (Mike Figgis, 1995) ou Snake Eyes (Brian De Palma, 1998), des longs-métrages d’action délirants comme Rock (Michael Bay, 1996), Les Ailes de l’Enfer (Simon West, 1997) et Volte-Face (John Woo, 1997), des nanars complets servant à éponger de lourds problèmes financiers qu’on ne s’amusera pas à rappeler, et des pépites indés comme symbole d’une renaissance toujours possible. Star grand public et source inépuisable de mèmes sur internet grâce à ses prestations plus obscures, Nicolas Cage est un peu tout ça à la fois. Au milieu d’une filmographie aux allures de champ de mines, il fait son chemin avec un professionnalisme à toute épreuve, jouant avec la même intensité dans le grand À tombeau ouvert (Martin Scorsese, 1999) ou dans le très vilain Hell Driver (Patrick Luissier, 2011). Acteur de tous les excès, il a une place toute particulière dans le cœur des cinéphiles du monde entier – un peu comme Keanu Reeves dans un autre registre – sur laquelle de jeunes cinéastes misent pour développer leurs projets. Un Talent en or massif, par exemple, reposait entièrement sur l’aura du comédien pour construire son intrigue méta et analyser l’œuvre et la personne de Cage. Dream Scenario, qui nous intéresse aujourd’hui, repose sur le même postulat : Nicolas Cage est un sujet en soi, déclinable à toutes les sauces. Produit par A24 et Ari Aster, le film de Kristoffer Borgli, qui a sorti Sick of Myself en 2022, s’inscrit dans le versant plus auteurisant de la filmographie de l’acteur. Rappelant des concepts fous à la Charlie Kaufman, notamment Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999), il raconte l’histoire de Paul, un professeur de biologie totalement anonyme qui du jour au lendemain devient une star planétaire puisqu’une grande partie de la population terrestre se met à rêver de lui sans le connaitre. Il devient alors une célébrité sur internet et Paul y voit l’occasion d’enfin publier le grand livre qui pourrait le faire enfin rentrer dans la cour des grands scientifiques. Sauf que peu à peu, les rêves des gens prennent des tournures horrifiques qui font de lui un paria…

Nicolas Cage, sac en bandoulière aborde une forêt l'air soucieux ; derrière lui est garée une voiture verte sur laquelle on a taggé en rose le mot "Loser" ; plan du film Dream Scenario.

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S’il y a bien un élément qui fascine et amuse dès les premiers photogrammes du long-métrage, c’est bel et bien Nicolas Cage lui-même. Le cinéaste en a conscience et fait de son acteur et sujet principal le cœur de son récit. Étonnamment en sous-régime, loin de ses performances les plus débridées comme dans Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle Orléans (Werner Herzog, 2009), l’acteur devient une ombre s’imprimant dans les rêves des gens. Il faut le voir apparaitre dans lesdits rêves pour comprendre que Borgli mise énormément sur l’image de Cage, notamment les fameux GIFS et mèmes qui pullulent sur internet comme un ressort comique. Avec son look improbable, bien loin des efforts capillaires des Ailes de l’Enfer, Nic Cage n’a littéralement pas besoin de parler pour que la situation soit drôle. Précisément dépiauté de sa chevelure qui a tant animé les moqueries à son sujet, il apparait à nu, et l’acteur ne se repose pas sur l’aspect comique de son personnage, il va plus loin en faisant du dernier acte une petite tragédie où son jeu nonchalant et mélancolique en dit encore sur son talent immense. En jouant de son image puis en retournant le spectateur émotionnellement, il semble parasiter cette production à concept pour nous rappeler au souvenir de ses grandes performances, notamment son double rôle dans Adaptation (Spike Jonze, 2002), scénarisé par un certain Charlie Kaufman (tiens, tiens…) et qui est quasi cité à la fin de Dream Scenario. Son rôle passif rappelle également un autre personnage de l’écurie A24, Beau. Âme blessée, ayant des choses à régler avec lui-même et évoluant dans un univers kafkaïen, Paul Matthews est une réminiscence du rôle incarné lui aussi à la perfection par Joaquin Phoenix dans Beau Is Afraid (Ari Aster, 2023). Tour à tour invisible, rassurant, doux et violent, Paul Matthews est un personnage à la mesure de Nicolas Cage ; un homme que l’on croit connaitre et finalement multiple. Le reste du casting, s’il est impeccable, Julianne Nicholson en tête, ne sert finalement qu’à servir l’acteur principal. C’est tout le concept.

Une fille plane dans les airs, de dos, au dessus d'une terrasse près d'une piscine, avec des chaises vides ; tout autour un bois d'automne, sous les yeux d'une silhouette à plusieurs mètres qui regardent interdit, semblant être son père, dans le film Dream Scenario.

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Le concept, parlons-en. Le film entier repose dessus : Nicolas Cage ou son alter ego apparaît dans les rêves de presque tout le monde. C’est une idée géniale permettant de parler de l’acteur et de son image publique, comme on l’a vu, mais aussi de traiter du phénomène de la célébrité. Le cinéaste norvégien mène plutôt bien sa barque en dépassant son postulat de départ là où il aurait pu s’y prendre les pieds comme Tom Gormican l’avait fait avec Un Talent en or massif. Avec le tournant qu’il propose en milieu de récit, il s’assure de rendre l’expérience de Dream Scenario plus subtile et réflexive qu’attendue. En plus de son acteur principal, il parle d’un monde où il ne fait clairement pas bon vivre, où la start-up règne en maître et où l’image d’un homme peut se faire et se défaire au gré de l’opinion publique. C’est peut-être le point le plus délicat de Dream Scenario, celui où il s’aventure à régler ses comptes à une supposée cancel culture et où l’on perd un peu le fil sur la position de Kristoffer Borgli. Reste que le cinéaste en a sous le pied pour imposer des images incongrues où il s’amuse avec les genres, parfois oniriques, parfois horrifiques, souvent dérangeantes comme lors de cette séquence où l’on pense que Paul va tromper son épouse. Il fait de sa farce initiale un prétexte pour expérimenter, tant au niveau du montage – géniale séquence chez Thoughts ? avec Michael Cera – que de la photographie. C’est d’ailleurs Benjamin Loeb qui assure celle-ci, lui qui avait déjà travaillé sur un Nic Cage Movie – genre à part entière décidément ! – avec Mandy (Panos Cosmatos, 2018). En somme, Dream Scenario est en somme un film 100% A24, studio qui a produit les trois quarts de ce que l’épouvante a fait de mieux depuis cinq ou six ans. Un sujet et un acteur cool, servis par un réalisateur prometteur et un emballage branché. Dommage que la conclusion du film, si elle semble logique, ait des allures de petite frustration compte tenu de ce que le scénario pouvait encore offrir dans sa cruauté.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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