En 2003, Jerry Bruckheimer et les studios Disney s’associent pour produire Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl (Gore Verbinski, 2003), succès commercial et critique. L’année suivante, les deux studios retravaillent ensemble sur Benjamin Gates et le trésor des templiers (Jon Turteltaub, 2004) avec Nicolas Cage dans le rôle-titre. Un long-métrage qui se cherchait alors comme l’héritier spirituel de la saga Indiana Jones. Est-ce pour autant un galon mérité ? Rien n’est moins certain.
L’Aventure a un nom
Avant de produire les deux films nommés ci-dessus, Jerry Bruckheimer avait déjà fait ses preuves auprès du studio aux grandes oreilles, notamment en œuvrant dans leur branche Touchstone Pictures – société de production visant un public plus adulte – produisant notamment Armageddon (Michael Bay, 1998) ou encore les premières réalisations de M. Night Shyamalan. La « recette Bruckheimer » consiste alors à produire des grosses machines à spectacles, capables de faire s’illuminer les yeux des spectateurs, tout en laissant de réels auteurs aux commandes plutôt que de simples yes-man. Un cinéma de genre(s), au service du « grand spectacle », en somme. L’ultime preuve de cette recette gagnante étant de conquérir un public encore plus « familial » avec les aventures d’un pirate déluré nommé Jack Sparrow… Après le succès tonitruant de Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl (Gore Verbinski, 2003), les studios Disney offrent naturellement à Bruckeimer la mise en chantier d’un nouveau projet qui narrera l’histoire d’un chasseur de trésors moderne, où l’histoire des États-Unis d’Amérique serait en toile de fond de cette quête. Néanmoins, lorsque l’on regarde séparément ces deux œuvres cinématographiques, et bien que, dans les deux cas, le cahier des charges fût suivi à la lettre, une différence demeure. Là où Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl est une adaptation d’une attraction des parcs Disneyland – transformant un simple manège en scénario avec des enjeux et problématiques – Benjamin Gates et le trésor des Templiers est tout l’inverse. D’une idée de scénario, plus ou moins originale, le long-métrage ne livre qu’une course contre la montre, certes divertissante mais néanmoins sans relief, si ce n’est que celui d’arriver au bout de ce jeu de piste à échelle nationale. D’ailleurs, le titre original – National Treasure – place davantage dans la lumière le véritable personnage principal de l’intrigue : le trésor. Benjamin Gates n’est en réalité qu’un pion, comme tous les autres personnages, qui n’a pour but que de nous dévoiler l’emplacement secret du magot millénaire. Ce long-métrage familial n’est donc rien de plus qu’un jeu de l’oie, où le spectateur ne se demande pas ce qui va advenir des personnages mais plutôt comment l’énigme sera résolue et amènera à la prochaine. C’est presque surprenant que le long-métrage trouve une finalité, tant il n’existe que pour faire durer le suspense durant plus de deux heures. Chose assez drôle, à peine le trésor découvert le long-métrage se clôture en deux temps, trois mouvements… laissant enjeux et problématiques irrésolus. La partie est finie.
« Depuis Les aventuriers de l’arche perdue, l’aventure a un nom : Indiana Jones » : tel était la tagline sur les affiches de Indiana Jones et le temple maudit (Steven Spielberg, 1984). Près de vingt ans après, sur celles de Benjamin Gates et le trésor des templiers, on pouvait lire « L’aventure a un nouveau nom ». Alors oui, tout ceci n’est que le fruit d’un marketing, sûrement très bien pensé, mais cela permet de se pencher sur la comparaison, presque inévitable, entre les deux œuvres – tant la copie ne nie jamais avoir calqué l’original. En soit, ce n’est pas un crime que de s’inspirer d’un mastodonte de la culture populaire, tout en modernisant l’ensemble, pour retrouver cet esprit si spécifique aux films d’aventure familiaux qui se faisaient très rares dans les salles de cinéma à l’époque. Les studios Disney étant, d’autant plus, les mieux placés pour raviver la flamme de ce cinéma d’un autre temps, Star Wars – Le réveil de la Force (J.J. Abrams, 2017) étant sûrement le clou du spectacle de ce « ravivage de flamme », quinze ans plus tard. Malheureusement, Benjamin Gates et le trésor des templiers est plus proche d’un épisode spécial des Experts (Anthony E. Zuiker, 2000-2015) que du grand film d’aventure inter-générationnel du tonton Steven. Notre chasseur de trésor est beaucoup plus caractérisé par ses gadgets que par ses motivations, et malgré la présence d’un acteur de la trempe de Nicolas Cage, qui se fait plaisir comme jamais, cela ne permet pas au personnage d’exister autant qu’il ne le devrait. Et ce n’est rien comparé au traitement réservé aux personnages incarnés par Diane Kruger et Justin Bartha, respectivement « la belle à séduire » et « le copain informaticien », ressortant les bons vieux artefacts des « personnages fonctions » du cinéma des années 90. On ne peut même pas compter sur une potentielle alchimie entre les acteurs pour sauver les creux de scénario, les relations entre chacun d’entre eux n’ayant pour but que de faire avancer l’intrigue de la chasse au trésor. Le spectateur n’aura aucun héros à idolâtrer, aucun personnage à aimer, ni même à détester, et restera le témoin passif d’une course contre la montre, où l’on ne sait même pas qui encourager.
Ce qui manque peut-être à Benjamin Gates et le trésor des templiers pour atteindre le niveau qualitatif des productions Bruckheimer, c’est un auteur et réalisateur avec une réelle patte artistique, celui de Rasta Rockett (Jon Turteltaub, 1993) ne suffisant pas. Les rares séquences d’actions ne trouvent jamais le panache qu’elles mériteraient, le montage n’aidant jamais un dynamisme qui cherche pourtant désespérément à s’installer. Seule la direction artistique de Geoff Hubbard et Lawrence A. Hubbs, et notamment les décors, trouvent une singularité dans les images, bien trop lisses, de ce divertissement familial. Alors oui, Jon Turteltaub n’est pas le meilleur étalon de l’écurie Jerry Bruckheimer, mais il a l’avantage d’être honnête dans son approche, essayant de minimiser le plus possible l’utilisation d’effets spéciaux et de fonds vert, créant un réalisme opportun à l’image. C’est d’ailleurs, cet esprit, d’un divertissement honnête et sans enjeux, que l’on retrouvera dans Benjamin Gates et le livre des secrets (Jon Turteltaub, 2007). Seule différence au tableau, Da Vinci Code (Ron Howard, 2006) sera passé par là, proposant déjà une énigme à base de secrets et révélations historiques, minimisant le poids de ce deuxième opus. Le comble étant que l’on est en droit de se demander si ce n’est pas le petit succès de Benjamin Gates et le trésor des templiers qui encourageront des producteurs à se pencher sur l’œuvre de Dan Brown. Cependant, Benjamin Gates et le livre des secrets (Jon Turteltaub, 2007) ne convaincra pas les studios Disney à mettre rapidement en chantier un troisième volet, qui demeure pourtant une arlésienne revenant au centre des conversations chaque année. C’est certain, l’aventure a un nom…Et c’est toujours celui d’Indiana Jones.