Marcel le coquillage (avec ses chaussures)


Il est de ces films qui vous bouleversent tant qu’ils vous emmènent en des lieux où les émotions annihilent la réflexion théorique, abandonnée à la porte des rires et des larmes. Ces films-béquilles ou de chevet qui vous réapprendront à marcher à chaque étape de votre vie et envahissent les critiques d’une subjectivité aveugle au risque publicitaire. A l’approche de noël, revenons sur Marcel le coquillage (avec ses chaussures) (Dean Fleischer Camp, 2023), probablement le plus grand des petits phénomènes de l’année.

Marcel le coquillage dans les airs, utilise un paquet de bonbons en guise de parachute.

© Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.

“L’année est morte, semblent-elles dire,
Il faut renaître, renaître, renaître.”

Ecrire sur Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est une épreuve telle qu’elle fut mainte fois repoussée par votre rédactrice qui n’a à ce jour toujours pas su démêler le gloubi-boulga d’émotions s’empirant à chaque – et nombreux – visionnage(s) du film. Peut-être est-il d’ailleurs plus judicieux d’ouvrir le bal en re-contextualisant l’historique de ce projet tant il contamine jusqu’à l’expérience spectatorielle. Avant d’être le héros d’un long-métrage sorti en 2021 en festivals et en 2022 dans les salles US – deux ans pour traverser l’Atlantique, un coup des habituels tarifs exorbitants d’A24 qui impactent l’achat des films de leur catalogue par les distributeurs français ? – Marcel trouve son premier souffle en 2010 dans celui de Jenny Slate, en réponse à l’exiguïté d’une chambre d’hôtel partagée par sept personnes. D’abord une voix, sans nom ni contours, un presque-personnage. Sa voix détermine le réceptacle – assemblage d’une coquille d’escargot, de pâte à modeler, d’un œil en plastique et de chaussures de Polly Pocket de contrefaçon – pour donner à voir Marcel, dans une interview réalisée pour le spectacle d’humour d’un ami. Devant la caméra, quelques répliques écrites et beaucoup d’improvisation font naître ce personnage spontané et tendre. En sortie de salle, une spectatrice lui demande de publier l’interview en ligne pour réconforter sa grand-mère à la cheville fracturée. Le succès immédiat se déploie dans les ramifications d’Internet, déclenchant un engouement viral qui motive Fleischer Camp et Slate à réaliser deux autres courts-métrages et une série de livres, jusqu’à donner à leur nouveau-né la tribune d’un long-métrage dont l’indépendance, loin du risque d’un travestissement par les directives de studios, témoigne d’une sincérité jusqu’au-boutiste qui se ressent dans la simplicité de son scénario : un cinéaste, Dean, rencontre dans son AirBnB deux curieux personnages, Marcel et mémé Connie, deux coquillages d’à peine deux centimètres. Décidant de faire un documentaire sur ce colocataire insolite – et sa grand-mère – ils se dévoilent, se rapprochent, et d’interviews en discussions naît une amitié qui les aidera à panser les plaies de blessures passées – pour Marcel la perte de sa communauté, sa famille, pour Dean une rupture amoureuse – pour mieux aller de l’avant.

Marcel le coquillage est sur un clavier d'ordinateur, tapant avec ses petits pieds.

© Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.

D’une phrase de présentation presque similaire, l’interview lie le court et le long-métrage : « Je m’appelle Marcel et je suis en partie un coquillage, comme mon nom l’indique ». Une introduction qui agit comme une promesse tenue, fidèle à lui-même – au fond rien n’a changé. L’interview devient scène d’ouverture d’un documenteur, qui tend à décloisonner un imaginaire de prime abord enfantin – le mignon-minuscule convoque chez nous les livres Drôles de petites bêtes d’Antoon Krings (1994-2021) – d’une cible jeune public qu’aurait sans nul doute imposé les studios, faisant de Marcel le nouveau Stuart Little (Rob Minkoff, 2000), Alvin et les Chipmunks (Tim Hill, 2007) ou Les Schtroumpfs (Raja Gosnell, 2011). Ici, l’animation 3D n’est que partielle et concerne avant tout l’ajout de détails, la fluidification des mouvements, les différents insectes et une famille d’araignées au design empruntant à celui de Lucas l’araignée (Joshua Slice, 2017), aussi né sur Internet. Marcel et Connie quant à eux prennent avant tout vie en une stop-motion fidèle à l’aspect « fait-main » qui donne corps dans ces images en prise de vue réelle. La cohabitation de différentes fréquences d’images entre la prise de vue continue et l’animation tient d’un travail de superposition de deux tournages différents, millimétrés et chronométrés au possible, où aucun détail n’est laissé au hasard, demandant jusqu’à une étude des ambiances lumineuses et du déplacement des ombres dans certaines scènes. Si la forme du faux documentaire participe à une forte immersion, Fleischer Camp n’a de cesse de jouer avec la fragile frontière entre réalité et fiction pour troubler d’autant plus les contours de la diégèse. De mises au point en recadrages, chaque scène partage cette impression d’un film qui se crée devant nos yeux alors qu’il résulte, avant même le tournage, d’un processus d’écriture et de composition animatique de longue haleine.

Un porte-clé représentant une chaussure Converse pend à une barrière en bois dans un jardin ; au sommet du porte-clé, on distingue la toute petite silhouette de Marcel le coquillage.

© Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.

Du sentiment d’enfermement et d’étouffement dans la chambre d’hôtel, la mise en scène de Fleischer Camp embrasse l’échelle du petit coquillage, en adopte la perspective, et déploie par un jeu de focales un monde immense dont les personnages, humains, animaux, coquillages, insectes, s’adaptent toujours – tous sont à la bonne taille, qui n’est affaire que de point de vue. Marcel et Connie, dans cette maison humaine gigantesque, transforment leur environnement à leur guise : robot-mixeur attaché par une corde à un arbre pour le secouer et en récolter les fruits ; couvert jetables pour labourer la terre d’un petit potager – charmant recyclage ; véhicule-balle de tennis – rapide mais aucune visibilité de conduite ; table basse recouverte de poussière devenant patinoire ; miel sur les chaussures pour marcher sur les murs… Ce n’est pas tant qu’ils s’adaptent mais plutôt qu’ils adaptent, en détournant moult objets de leur sens ou fonction première. Mémé Connie, personnage plus en retrait mais pivot, semble être un écho de cette grand-mère ayant motivé la mise en ligne du court-métrage initial. Et du rapport à la viralité et aux communautés en ligne, la présence de YouTube et des réseaux sociaux dans le récit marquent une certaine prise de recul et un constat, aucunement moralisateur cependant, de son évolution. L’outil – balbutiant à l’époque mais symbole d’ouverture – ayant propulsé Marcel sur grand écran ne parvient pas cette-fois ci à l’aider dans sa quête, la génération du scroll pavlovien (gen z pour les intimes) y répond en se filmant à danser devant le AirBnB ironiquement habillés d’un t-shirt « I love Marcel ». Sans se démonter, notre petit ami se donne aussi en spectacle, dans le but de donner, et non de recevoir, au détour de blagues et de jeux de mots (qui ne survivent hélas pas à la traduction : il dort entre deux tranches de pain de mie qu’il nomme en anglais sa « breadroom », mélange de « bedroom », « chambre », et « bread », « pain » ; et se réfugie dans un « shelter », un « abri » dont la prononciation contient le mot « shell », « coquille »).

Le réalisateur Dean Fleischer-Camp assis comme pour une interview, rit en direction de Marcel, le coquillage miniature et vivant, posé sur le tabouret juste à côté de lui.

© Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.

Derrière son air de film familial, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) brasse des sujets à hauteur d’enfant comme d’adulte : la solitude, le rapport à la communauté, au fait de grandir, le deuil familial ou amoureux… Au centre du récit, le poème Les Arbres  de Philip Larkin propose d’aborder la vie comme un cycle, dont la mort est une étape de la renaissance. Pour Slate, « on ne peut pas apprécier la jonquille sans rendre hommage à ce qui a dû mourir pour qu’elle renaisse. Si on veut vraiment croître, on doit connaître et accepter le véritable aspect du changement et ce qu’il implique ». Marcel et Dean se complètent en ça qu’ils sont tous deux à une étape de bascule entre la mort et la renaissance, et cherchent ensemble l’impulsion propice au franchissement. Tous deux dans l’immobilité, le piège d’un espace clos où ils ne se déplacent presque que sur un seul axe en deux dimensions, le confort devient entrave. La profondeur de champ comme nouvel espace à investir manifeste alors une nouvelle perspective, littéralement, les moments de liberté voire de libération pour Connie lorsqu’elle marche jusqu’au fond du plan. Pour Dean, le franchissement est marqué par un voyage progressif de l’hors-champ à l’intérieur du cadre, même subrepticement. On devine dans les non-dits que la raison de sa rupture réside dans son incapacité à exprimer ses sentiments tandis que, s’il se cache derrière son statut de filmeur pour ne pas devenir un sujet de son propre film (à plusieurs degrés), l’amour-propre et le courage de Marcel lui tirent les vers du nez. Apparaître à l’écran, c’est alors se confronter à sa propre image, pour Dean comme pour Fleischer Camp, dont le retour caméra de l’équipe de tournage de l’émission télé 60 minutes puis un miroir marquent les étapes.

DVD et Blu-Ray du film Marcel le coquillage (avec ses chaussures) édité par L’Atelier d'Images.Distribué en DVD et Blu-ray depuis le 7 novembre par les indépendants de L’Atelier d’Images, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) nécessite d’être vu pour attester – et espérons, partager – l’euphorie ambiante qui gagne jusqu’aux différentes équipes techniques des coulisses dans les bonus. Une petite capsule sur les effets visuels accompagne ces coulisses et illustre l’amour et l’exigence que convoque un artisanat ayant nécessité six ans de travail, une durée assez longue pour que les équipes constituent à leur tour une véritable communauté. A vouloir être trop gourmand nous pourrions souhaiter l’avènement d’un « Marcel Cinematic Universe », mais repéré pour son talent, Dean Fleischer Camp est déjà tombé entre les griffes de la compagnie aux grandes oreilles pour réaliser l’adaptation en live-action de Lilo et Stitch. Une nouvelle inquiétante en vue de la catastrophe culturelle qu’engendre la politique de Disney depuis maintenant plusieurs années… En attendant nous espérons croiser Marcel ou ses amis cachés au fond d’un tiroir, et nous rappellerons de ses quelques mots si simples et pourtant si lumineux : « Sais-tu pourquoi je souris autant ? Parce que ça vaut le coup ».


A propos de Louise Camerlynck

Etudiante en Master 2 à l’UFR des Arts d’Amiens, Louise est atteinte d’une maladie rare qui fait que son cœur s’arrête net si elle ne regarde plus de films. Elle a appris à vivre avec et à même les apprécier, surtout quand ils sont lents, contemplatifs, introspectifs et déprimants tel un "Eternal Sunshine of the Spotless Mind". Entre mise en scène de pièces de théâtre et réalisation de podcast, elle s’intéresse au cinéma sous un prisme queer et féministe. Elle aime un peu trop l’étrange et le bizarre, si bien que si vous la croisez dans les couloirs, fuyez, pauvres fous. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rit1i

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.