Le Marteau des Sorcières


J’aime bien les films qui suintent l’injustice et le désespoir, les happy endings c’est rigolo trente secondes mais la vie ne fait pas de cadeaux. À plus fortes raisons quand vous êtes une femme au XVIIe et que l’Inquisition cherche à en cramer le plus possible sous prétexte de chasse à la sorcière. Ça tombe plutôt pas mal, le festival des Hallucinations Collectives nous a gratifiés d’une projection exceptionnelle du Marteau des Sorcières (1969) du grand Otakar Vávra, grâce à la Cinémathèque de Prague qui leur en a fait parvenir une copie.

Un amour de sorcière

Comme je le disais, la chasse aux sorcières c’était pas vraiment de la meringue et les temps étaient durs et impitoyables pour quiconque n’avait pas le pouvoir de vie ou de mort. Le Marteau des Sorcières commence ainsi : lors d’une messe quelque part dans la Moravie en 1670, une vieille paysanne est surprise en train de récupérer en scred de l’hostie consacrée afin de nourrir une vache qui ne donne plus de lait. Un souffle d’inquiétude gagne les bourgeois et tous les représentants du clergé : et si cet acte blasphématoire trahissait l’existence d’un réseau de sorcières ? La vieille femme est alors pardonnée dans un ultime élan de pitié de la part du révérend, mais il est alors décidé d’employer les services d’un inquisiteur. Le doyen Lautner (Elo Romancik) suggère un inquisiteur de bonne réputation mais qui aurait fait preuve de laxisme par le passé (comprenez par là qu’il était sympa), on lui oppose l’inquisiteur Boblig (Vladimìr Smeral) qui lui fait bien son travail et ne laisse rien passer (comprenez par là qu’il n’est vraiment pas sympa). La suite, vous la voyez venir, l’inquisiteur Boblig est intraitable, fait condamner au bûcher toutes les femmes sur lesquelles pèsent des soupçons les plus bidons jusqu’au moment où le doyen Lautner s’interroge sur ses méthodes. Boblig est en effet adepte de la manipulation par la torture et force chacune de ses victimes à toujours dénoncer quelqu’un d’autre. Il leur rentre des témoignages montés de toute pièce dans la tête et les contraint à tout réciter sous la torture lors de séances publiques afin de bien asseoir sa légitimité ainsi que son pouvoir local. Problème, Boblig aime vivre dans l’opulence, mais n’aime pas partager, aussi fait-il accuser de plus en plus de monde en ville en remontant l’échelle sociale. Ainsi, les maîtres artisans, membres du clergé, opposants politiques et compagnie y passent, notamment parce qu’ils commençaient à trouver qu’il avait un peu la main lourde sur les exécutions. T’es pas content que je brûle la moitié de la ville ? Bah allez hop, je vais faire dire à la vieille qu’on t’a surpris avec une bougie dans le cul lors de la messe noire de dimanche dernier, je suis certain que cette paire de brodequins te va à merveille. Bref, c’est la catastrophe, notre doyen Lautner reste la dernière personne de pouvoir un peu sensée et il va tout mettre en œuvre pour arrêter Boblig. Sauf que non, j’ai annoncé que le Marteau des Sorcières n’était pas un film forcément optimiste et l’injustice frappe notre beau moustachu qui sombre dans le même piège qu’un peu tout le monde en se faisant accuser par la fille qu’il avait sortie de la misère quelques années plus tôt. Bref, tout se termine très mal sauf pour l’inquisiteur Boblig. Et bien oui vous n’aviez qu’à aller voir un Marvel au cinéma si vous aviez besoin de voir des gentils faire plein de sourires après avoir triomphé des méchants.

Un petit mot sur Otakar Vávra ? Allez, on est là pour ça. Né en 1911 en Autriche-Hongrie et décédé en 2011 en République Tchèque où il célébra à Prague son centième printemps avant de s’éteindre. Son héritage perdure encore à travers celles et ceux dont il fût le formateur, comme Jiří Menzel, Věra Chytilová ou encore le très grand Milos Forman, mais plus globalement à travers la prestigieuse FAMU (Académie du film de Pragues) dans laquelle il fonda le département réalisation en 1950. Otakar Vávra est aussi un cinéaste ayant œuvré aussi bien sous le régime autoritaire nazi que sous la dictature communiste (vers 1948) en contournant toujours les interdits et la censure. Son approche de la réalisation, de l’écriture et par extension du sens politique des images lui viendra de son étude précise des films qu’il allait voir. En cela, Le Marteau des Sorcières semble être un précis d’analyse de son oeuvre, peut-être pas dans sa globalité mais au moins dans son rapport aux régimes totalitaires qu’il a connus. Malleus Maleficarum (« Marteau des Sorcières » et oui il fallait prendre des cours de latin au collège comme tous les élèves surdoués beaux et modestes dont je faisais partie) est avant tout un traité établi au XVème siècle par les moines dominicains Henris Institoris et Jacques Sprenger afin d’apporter une méthode (aussi bien théorique que pratique) pour la chasse au sorcière décrétée par le Innocent VIII (ça ne s’invente pas). N’y allons pas par quatre chemins, la chasse aux sorcières n’a jamais été qu’une cruelle force de répression du genre féminin auquel étaient attribuées tantôt toute l’incarnation de la faiblesse humaine, tantôt la preuve par mille que le Diable était parmi nous. Kladivo na čarodějnice (« le Marteau des Sorcières », toujours) est le roman de l’auteur-journaliste-poète Václav Kaplický basé sur ce traité, et qui sera ensuite librement adapté par Otakar en 1969. Ouf, les connexions sont faites. Ainsi Le Marteau des Sorcières (le film) dispose de plusieurs degrés de lecture. Le premier est ouvertement à charge contre l’Église et ses pratiques, puisque l’idéologie et la foi sont rattrapées par des jeux de pouvoir indiquant de fait la vanité de cette chasse aux sorcières absolument opposée aux canons de la morale chrétienne. En ce sens il n’est pas anodin qu’il fasse passer par le personnage du doyen Lautner deux références à Jésus Christ : la première lorsqu’il se fait trahir par son ordre avant de comparaître face à Boblig et la seconde lors de son calvaire et de l’abandon de son corps. Otakar était l’un des rares cinéastes que les régimes successifs laissaient tranquille car il savait dissimuler ses intentions pour éviter la censure, Le Marteau des Sorcières porte en lui plus qu’une critique de l’acharnement de l’Église sur le genre féminin, il s’en sert pour dénoncer subtilement les pratiques visant à dénoncer, faire dénoncer, torturer et exécuter les opposants politiques. Paradoxalement, Otakar se défend de tenir à respecter un contenu historique sans vouloir nécessairement faire de la politique. C’est un propos à nuancer, en ce qui me concerne, mais le manque de contexte autour d’une telle déclaration fait qu’il vaut mieux ne pas s’y attarder. Otakar Vávra était un féru d’histoire, et afin d’adapter au mieux la série de procès ayant eu lieu entre 1296 et 1622 (plus de 200), il situe l’action du Marteau des Sorcières au plus proche des références et lieux cités dans le Malleus Maleficarum. Les descriptions de soi-disant messes noires, de comportements blasphématoires, de célébrations païennes comme la nuit de Walpurgis, les méthodes d’identification des sorcières (« tiens donc, un grain de beauté sur la cuisse, je vous l’avais bien dit que le Diable y avait apposé sa marque ! ») y sont glaçantes tant le réalisme nous rapproche de cette période particulière. Sa direction d’acteurs est exemplaire et nous retiendrons forcément de ce film la formidable prestation de Vladimìr Smeral (Boblig) qu’il pare de tics et d’habitudes maniérées (plusieurs scènes s’attardent sur le fait qu’il coupe son vin à l’eau chaude) et dont la victoire sur les autres personnages est aussi désespérante qu’insolente.

Le Marteau des Sorcières est malheureusement rare et j’espère qu’il vous sera donnée l’occasion de le voir un jour. Manque de pot, il n’était pas seul sur le créneau de la chasse aux sorcières puisque le Grand Inquisiteur (Michael Reeves, 1968) et La Marque du Diable (Michael Armstrong, 1970) occupaient déjà le terrain. Toutefois, Le Marteau des Sorcières reste un grand film, inoubliable et glaçant.


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.