Six ans après le remarqué Delta (2008) le réalisateur hongrois Kornel Mundruczo a surpris son monde lors de son passage à Cannes l’an passé avec son drame canin White God qui a remporté le prix Un certain Regard. A l’occasion de sa sortie en vidéo chez Pyramide depuis le 15 avril dernier, retour sur ce film étonnant.
White God / White Dog
L’histoire de White God se déroule dans la capitale hongroise, Budapest, et imagine que le gouvernement inflige une lourde taxe financière à quiconque posséderait des chiens bâtards, et ce pour favoriser les chiens de race. Conséquence de ce nouvel impôt, une recrudescence d’abandons d’animaux dans les rues de la ville et des fourrières qui se remplissent. Au milieu de ce marasme, Lili, une jeune fille de treize ans qui vit une grande complicité avec son chien Hagen, essaie de le retrouver après que celui-ci a été abandonné par son père en pleine rue. En parallèle de la quête de la fillette pour retrouver son fidèle compagnon, nous suivons l’histoire d’Hagen, qui, livré à lui même dans les bas-fonds de Budapest, va vivre différentes aventures ou mésaventures avec une bande de chiens errants, et découvrir au passage la cruauté des hommes. Ensemble, ils organiseront une révolte canine de grande ampleur.
Véritable miroir tendu à la société hongroise, qui tend de plus en plus vers les idées extrémistes et ultra-nationalistes du parti politique nommé Jobbik, fort de ses 20% de voix aux dernières élections législatives, il serait, devant le Front National en France, la plus grande force d’extrême-droite en Europe. Ce parti politique séduit le petit peuple hongrois sur des théories fumeuses, axées sur des discours xénophobes, nationalistes, antisémites, autocrates, anti-Europe et, par-dessus le marché, farouchement anti-roms. Avec White God, Kornel Mundruczo semble vouloir alerter sur cette montée inquiétante d’une politique d’oppression et de discrimination, en utilisant sa métaphore canine pour dresser un constat éminemment politique. C’est là l’une des plus grandes forces du film, ne pas tomber dans le manichéisme un peu simpliste, ne pas jouer la carte – peut être un peu trop simple aujourd’hui – du drame social brandi comme un slogan dans une manifestation d’extrême-gauche. En donnant le rôle des révoltés à des chiens, le réalisateur semble vouloir alerter autant sur la manière dont sont traités certains individus en Hongrie – le chenil est une allégorie évidente des centres de rétention – que sur la nécessité d’une révolte venant des rues. Son message est fort, et loin d’être politiquement correct : la révolte contre l’oppression et les inégalités ne peut être menée que par la force, le nombre, et par ceux qui sont directement touchés et ciblés.
En plus de son prix Un Certain Regard à Cannes, le film a aussi reçu la désormais célèbre Palme Dog qui récompense le meilleur interprète canin – ici, les deux chiens interprétant Hagen – et il faut bien dire que c’est clairement l’un des atouts principaux du film. Il est étonnant de constater que les mêmes qui se sont ébahis devant l’incroyable anthropomorphisme du film sont les mêmes qui, plus que tout au monde, le répugnent dans d’autres circonstances, comme lorsqu’il est utilisé par le cinéma d’animation par exemple, et notamment les films de Disney. Et pourtant, l’utilisation d’animaux pour mimer – ou devrais-je dire singer ? – la condition humaine remonte aux racines du contes et de la fable, La Fontaine est probablement le plus anthropomorphiste des conteurs, et si White God peut bien évidemment nous faire penser aux films canins de la firme aux grandes oreilles – de La Belle et le Clochard (Hamilton Luske, 1955) en passant par Rox et Rouky (Richard Rich, 1981), Oliver et Compagnie (George Scribner, 1988) et sans oublier les films de prises de vue réelles tels que L’incroyable randonnée (Fletcher Markle, 1961) et son remake L’incroyable voyage (Duwayne Dunham, 1993) – son sous-texte politique, porteur de sens et d’allégories sur nos conditions humaines, est beaucoup plus proche des fables de La Fontaine comme Le Loup et le Chien.
Réalisé sans aucun effet spécial numérique – là où une grosse partie de la production bas de gamme des films de chiens qui parlent utilisent les effets spéciaux pour donner leurs expressions aux toutous – le film étonne par son incroyable habilité à rendre humains ses animaux, leur donner des sentiments d’une justesse renversante et parfois même réellement bouleversante. L’anthropomorphisme en est de fait amplement plus efficace, puisque la cocasserie d’une image absurde d’un chien qui parle en bougeant des babines numériques est oubliée au profit de chiens qui semblent parler d’un simple regard. Brillantes de mise en scène – certains champs-contrechamps entre les animaux sont des modèles d’acting canin – les séquences avec les animaux frappent au cœur et à l’âme, et le film réussit un pari risqué : plutôt que de s’amuser à humaniser des animaux, il parvient au contraire à nous animaliser, nous faire sentir avec les animaux, nous donner le sentiment de les comprendre, de ressentir leurs émotions, leurs questionnements, leurs doutes, leurs peurs. A ce titre, le making of de dix sept minutes proposé avec cette édition vidéo revient exclusivement sur cet incroyable travail effectué avec les chiens, qui sont parfois jusqu’à deux cent cinquante en même temps à l’écran. Zigzaguant entre les genres – tantôt film de poursuite, documentaire animalier, drame social, conte poétique, film de gangster, polar ou film gore – White God est avant tout un film qui tient sa singularité de l’incroyable rareté de ce qu’il parvient à capturer.
Joris Laquittant
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