John Wick : Chapitre 4


John Wick : Chapitre 4, film événement, film rendez-vous. Rares sont les projets qui respectent autant cette promesse que la saga de Keanu Reeves et Chad Stahelski. En seulement 9 ans d’existence et déjà 4 opus, le chemin de croix de John Wick nous aura non seulement amené quatre occasions de s’émouvoir d’artistiques massacres mais se sera aussi consacré comme la référence du genre, un temple du combat où se rencontrent castagneur/euses d’hier et de demain, d’ici et d’ailleurs. Alors oui, quand l’homme en noir rouvre les portes de son dojo, c’est un rendez-vous à ne pas manquer : retour sur une sublime messe de l’action, sans trop en dire.

John Wick traverse l'allée entre les chaises en bois d'une grande église, éclairée de très nombreuses bougies ; plan issu du film John Wick : Chapitre 4.

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La messe est dite

On parlait déjà l’été dernier, à la sortie du Bullet Train de David Leitch, de la formule élémentaire des John Wick : une histoire simple et efficace qui laisse toute la place à l’élaboration de superbes séquences d’actions. Un modèle généreux où chaque pôle de tournage est encouragé à s’en donner à cœur joie, à commencer par les artisans de la cascade. Le premier opus, sorti en 2014, a été validé par la critique et le public dès sa sortie, malgré les difficultés qu’il a rencontrées. Immédiatement culte, ce film d’action d’auteur à seulement 20 millions de dollars (on s’attend souvent au triple sur ce genre de projet) ne pouvait se passer d’une suite. Mais comment réitérer l’exploit ? Dans une interview en 2017, juste après la sortie de John Wick 2, le réalisateur Chad Stahelski mentionnait une discussion avec les Wachowski, à propos de Matrix Reloaded : « Comment être original [dans une suite, ndlr] ? Il faut que ça reste familier mais que ce soit original. Tu peux y aller plus gros/plus vite/plus fort, ou tu peux approfondir, ou tu peux juste refaire le même film. […] On a choisi d’y aller un peu plus fort mais aussi d’approfondir l’univers. ». Et c’est ce qui s’est fait. Les chapitres 2 (2017) et 3 (2019) ont rapidement étendu l’histoire de l’assassin vengeant la mort de son chien et le vol de sa voiture à celle d’un monde du crime parallèle, régi par une mystérieuse et surpuissante Grande Table, avec ses hôtels internationaux, son LinkedIn de tueurs à gages, ses codes et règles à ne surtout pas transgresser. Si l’extension du deuxième opus avait été plutôt bien accueillie, la retenue et la répétition du troisième a laissé les fans légèrement sur leur faim. Malgré l’exploit technique de ses séquences d’action, l’enjeu et surtout la conclusion du 3 tournait en boucle et sans mauvais jeu de mots, tombait un peu à plat. Une erreur que le chapitre 4 se garde bien de faire. Finie la fuite, John Wick donne ici tout ce qui lui reste en tapant du poing sur la Grande Table. Un film d’une autre ampleur donc avec John Wick : Chapitre 4, dont la promotion promettait déjà monts et merveilles : une majeure partie du film tournée au Japon, à Berlin, à Paris (!), pas moins de 98 cascadeurs impliqués, la légende des arts martiaux Donnie Yen (Ip Man, SPL, Hero…) et le roi de la castagne Scott Atkins (Undisputed, Danny The Dog…)… Rien que ça. Et pourtant, John Wick : Chapitre 4 est bien plus que de tout cet apparat. C’est un moment clé dans l’histoire du genre, celui d’une passation. Un exemple unique d’une saga qui réalise ses limites, les assume avec modestie et humour, comprend sa mission de mise en avant du genre et prend le risque de la placer au dessus de son succès.

Plan rapproché-épaule sur Laurence Fishburne, sous la pluie, le visage fermé, dans le film John Wick : Chapitre 4.

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Du Keanu tout craché. Sans la passion, l’implication et l’abnégation de l’acteur, qualités si rares dans le paysage audiovisuel, le projet n’aurait probablement pas vu le jour. D’abord pour le personnage qu’il incarne. Sur papier, dans les scénarios de Derek Kolstad, John Wick est un monstre assoiffé de sang. Une légende qui fait frémir les pires criminels à la simple évocation de son nom tant ses massacres sont brutaux et impitoyables. Sauf qu’incarné par Keanu Reeves, le personnage prend une autre dimension, contrasté par la douceur naturelle que l’acteur peine à cacher. L’avalanche de violence qu’il met en œuvre devient tout de suite plus acceptable, d’autant plus qu’elle est appuyée par un engagement physique extrême de l’acteur, prouvé scène après scène. Mais si l’explosivité cinétique de Keanu Reeves (à 58 ans !) est invraisemblablement de plus en plus phénoménale d’opus en opus, il est difficile d’en dire autant pour son personnage. À partir de la fin du premier chapitre, alors que la vengeance initiale de John Wick est accomplie, le personnage stagne dans son deuil irréconciliable et son refus éternel de se soumettre, devenant ainsi plus un symbole immortel qu’un individu de chair, d’esprit et de cœur. La légende qui prend le pas sur l’homme, processus agissant comme un poison lent sur notre empathie pour le héros, malgré ses prouesses. Sauf que dans ce John Wick : Chapitre 4, John Wick prend conscience de sa futilité. Adieu la colère gratuite, la fuite en avant et les négociations stériles. L’assassin comprend qu’il appartient à une époque révolue dont les membres disparaissent les uns après les autres, remplacés par une nouvelle génération talentueuse. Le sage Dr. Reeves reprend le dessus sur l’abominable Mr. Wick. Contrairement à d’autres stars qui s’accrochent à leur personnage comme des moules avariées à leur rocher, Keanu lâche prise. Seulement 380 mots prononcés dans l’ensemble du film, à sa demande. Un mutisme qui correspond plus à un désir de laisser place à l’action, aux autres personnages et l’univers qu’une approche eastwoodienne du silence badass. Mieux encore, il use de la légende qu’il a créée pour rendre hommage à d’autres icônes du genre et pour mettre en avant de nouvelles têtes déterminées prêtes à reprendre le flambeau. Chapeau l’ancien.

Les références des John Wick sont très nombreuses et vont du simple caméo à la reprise plan pour plan de certaines séquences mémorables (voir la séquence de moto dans le 3 directement et ouvertement inspirée du film coréen The Villainess de Jeong Byeong-gil). Mais Chad Stahelski et Keanu Reeves se contentent rarement du simple clin d’œil à des œuvres méconnues du grand public. Pour ne pas simplement plagier, ils trouvent toujours un moyen de sublimer la référence, souvent avec un léger second degré qui frise la parodie sans jamais y sombrer. L’exemple parfait dans John Wick : Chapitre 4 : Donnie Yen en sabreur aveugle. D’abord Donnie Yen, Illustre acteur et martialiste chinois de la trempe des Bruce Lee, Jackie Chan, Jet Li etc. admiré par la profession et les fans du genre, il est surtout connu pour son interprétation aussi douce que digne du professeur Ip Man dans la saga du même nom ; ensuite le sabreur aveugle, directe référence à Zaitoïchi, héros japonais quasi-mythologique qui a inspiré une série et 26 films, parmi lesquels celui de Takeshi Kitano en 2003, dont l’impact est incommensurable dans la culture populaire, particulièrement dans le manga et le jeu vidéo. Et enfin la touche finale, la wickification. Le personnage de Donnie Yen n’intervient pas seulement dans une petite scène arrangée pour rendre crédible son handicap, dans ce genre de combat hors contexte qui nous sort un peu du film – type la séquence du duel contre O-Ren Ishii dans le premier Kill Bill. Ici la référence est pleinement assumée et réactualisée. Une réelle réflexion est faite autour de cette figure du sabreur aveugle auquel Donnie Yen redonne vie, en la rendant aussi attachante que terriblement menaçante, même face à une multitude d’adversaires disposant eux d’armes à feu. Cerise sur le gâteau, le personnage dispose d’un véritable temps d’écran et de suffisamment de backstory, ce qui, amplifié par la prestance de l’acteur, le place immédiatement à la même pointure que l’implacable homme en noir en seulement quelques minutes. Respect.

Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de wickification. La revitalisation du nunchaku, l’inattendu combat contre un Scott Atkins en fatsuit, Paris revisité façon Guerriers de la Nuit de Walter Hill (1979) par la bouche de Lou and The Yakuzas, le duel au pistolet sauce Sergio Leone sur le parvis du Sacré-Cœur Tout le genre est revisité et sa puissance mise au service de l’édification de séquences mémorables et de personnages mythiques. Car contrairement aux Expendables : Unité Spéciale de Sylvester Stallone (2010), les John Wick ne s’arrêtent pas à la juxtaposition de légendes connues, répétant leurs punchlines surgelées. La saga se risque à créer de nouveaux personnages et infuse l’esprit d’action à une nouvelle génération. On pensera au cowboy moderne de Shamier Anderson, à la brute costumée de Marko Zaror, à la matriarche barjo de Natalia Tena, mais surtout, on applaudit l’intronisation de Rina Sawayama, en Akira, jeune guerrière samouraï. Premier film (!) de la popstar japonaise, l’actrice est magnifiquement installée comme l’héritière d’Hiroyuki Sanada, l’éternel samouraï, qu’on retrouve avec plaisir au sabre, mais aussi au pistolet façon « gun-kata» (wickification, encore!). Le personnage d’Akira, classe, intense, est rapidement plongé dans l’action, maniant armes traditionnelles et modernes avec un style bien à elle, aussi expert qu’acharné. Et à nouveau, John Wick : Chapitre 4 lui accorde un véritable temps d’écran et d’une backstory prometteuse qui la campe en futur pilier de la saga. En mettant ainsi en avant de jeunes acteurs et cascadeurs (mention particulière aux talents français Aurélia Agel, Laurent Demianoff, Vincent Bouillon), la saga John Wick assure la transmission et la continuation du genre.

Keanu Reeves, avec un nunchaku, s'apprête à combattre contre un soldat d'assaut armé dans le film John Wick : Chapitre 4.

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Une scène particulièrement restera dans l’histoire. Une séquence extraordinaire qui coupe le souffle, autant par sa tension continue que par la justesse de sa réalisation : le quasi plan séquence de fusillade en vue zénithale dans un immeuble parisien abandonné. Le décor comme la prise de vue sont directement tirés du jeu vidéo Hong Kong Massacre, un shooter 2D en vue du dessus, lui-même fortement inspiré des ballets de balles de John Woo. Les références au jeu vidéo ne sont pas nouvelles dans les films d’action mais sont rarement autant assumées et surtout aussi réussie. On pensera évidemment aux Matrix sur lequel Chad Stahelski était lui-même cascadeur, mais aussi au tristement célèbre Mario Jump de Legolas ou au peu convainquant first-person-shooter Hardcore Henry (Ilya Naishuller, 2015). Mais contrairement à Matrix, Chad Stahelski fait le choix de ne pas abuser de la VFX et reste un maximum dans la prise de vue réelles « améliorées » pour donner du poids à sa scène. On attend le making-of avec impatience. Avec cette séquence, l’esprit John Wick dépoussière le genre et le cinéma dans son ensemble, brisant les murs de posture et d’auto-référence qui le sépare des arts visuels plus récents. L’important c’est le mouvement, et le mouvement le plus crucial, comme disent les kinés, c’est le prochain.

John Wick : Chapitre 4 est donc bien plus qu’un excellent blockbuster printanier. À l’opposé de la violence destructrice qu’il met habilement à l’écran, c’est un projet unificateur, créateur, amoureux de cinéma. Dédié corps et âme à celles et ceux qui le regardent et fidèle à celles et ceux qui le font. Un projet sans limite de style, de références et depuis qu’il a fait ses preuves, de moyens. Peu de films de cette envergure (100 millions sur ce volet) peuvent se permettre autant de libertés. Encore moins nombreux sont ceux qui le font avec autant de justesse, d’audace et d’humilité. L’univers John Wick prend avec cet épisode une envergure autre qui le prépare à l’inévitable saga-mania qui va suivre, déjà amorcés par les plutôt réussis jeux vidéo John Wick Hex et manga BRZKR. On attend donc déjà avec impatience le spin-off Ballerina de Len Wiseman, supposé sortir à la rentrée, avec l’instoppable Ana de Armas dans le rôle-titre 9, ainsi que la mini-série prequel The Continental, annoncée pour 2023 également 10. Sans parler des allusions à une suite faites dans ce dernier opus, potentiellement centrée sur cette nouvelle génération de tueurs et leur rapport à la quasi-mystique Grande Table. On espère donc sincèrement que la transition au megaverse ne fera pas perdre au projet sa généreuse essence et qu’au pire, la saga inspirera de nouveaux venus de l’action prêts à reprendre le flambeau du genre, comme dans le film. On ne peut en tout qu’être reconnaissant pour cet investissement visionnaire dans l’avenir du cinéma, qui s’incarne en plus dans un spectacle d’une rare qualité. Merci Chad, merci Keanu. Amen.


A propos de Elie Katz

Scénariste fou échappé du MSEA de Nanterre en 2019, Elie prépare son prochain coup en se faisant passer pour un consultant en scénario. Mais secrètement, il planche jour et nuit sur sa lubie du parfait film d'action. Qui sait si son obsession lui vient d'une saga Rambo vue trop tôt, s'il est encore en rémission d'un high-kick de Tony Jaa, d'une fusillade de John Woo ou d'une punchline de Belmondo ? Quoi qu'il en soit, évitez les mots « cascadeurs français » et « John Wick 4 » près de lui, on en a perdu plus d'un. Dernier signalement : on l'aurait vu sur un toit parisien, apprenant le bushido aux pigeons sur la bande-son de son film préféré, Ghost Dog de Jim Jarmusch. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riGco

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