Abandonné par Riccardo Freda, achevé par le directeur de la photographie, un certain Mario Bava, Les Vampires (1957), estimé comme l’un des premiers films fantastiques italiens, est restauré et proposé en édition mediabook (DVD, Blu-Ray, et livret) par Sidonis Calysta : plongée dans un film hybride dont le principal mérite est, finalement, surtout d’avoir ouvert des portes.
Bathory in Paris
Parmi les cinémas du monde, le septième art transalpin a une place de choix dans nos lignes. Du giallo au western spaghetti en passant par la science-fiction fauchée ou l’eurospy, l’Italie a été un réservoir assez inépuisable de cinémas de (sous-)genres. Mais Sidonis Calysta nous permet de jeter notre cinéphagie sur un nom important de la série B que nos lecteurs ont déjà pu croiser sans, jusqu’ici, pouvoir découvrir une chronique à part entière sur un de ses bébés. Riccardo Freda a pourtant été actif de 1942 à 1981 sur une quarantaine de longs-métrages en tant que réalisateur. Comme tous les cinéastes de l’époque asservis aux tendances de l’industrie il a œuvré dans plusieurs genres mais il doit sa notoriété à trois deux d’entre eux majoritairement : le film de cape et d’épée avec L’Aigle Noir (1946), Le Chevalier Mystérieux (1948) le péplum, avec Spartacus (1952, ne pas confondre avec le Kubrick), Théodora, impératrice de Byzance (1954) deux immenses succès internationaux considérés comme des pièces maîtresses du péplum italien, suivis de Maciste en enfer (1962) ; et le film fantastique avec notamment les deux longs-métrages autour de la figure du Docteur Hichcock avec L’effroyable secret du Docteur Hichcock (1962) et Le spectre du Docteur Hichcock (1963) et surtout le long-métrage sur lequel Sidonis place le projecteur en le sortant en version restaurée, Les Vampires (1957). Freda se distingue par une esthétique qui l’amène à des genres visuels amenant avec eux toute une panoplie d’univers, d’où son goût pour le péplum, les films de cape et d’épée aussi, bref, le genre dans ce qu’il peut avoir de visuellement codifié, jusqu’à l’impératif. Son exigence, pour un cinéma pourtant populaire, l’amènera autant à une posture de pionnier – Théodora, impératrice de Byzance est par exemple la première production tournée en Eastmancolor, procédé colorimétrique moins coûteux que le Technicolor qui l’a progressivement souvent supplanté ; tandis que Les Vampires est estimé être le premier film « d’horreur » du cinéma italien, ouvrant une véritable brèche – qu’à des rapports parfois houleux avec ses équipes. Preuve en est, sur Il Vampiri (titre original de l’œuvre qui nous occupe aujourd’hui), il se casse littéralement suite à un différend avec ses producteurs et laisse son directeur de la photographie finir le job. Heureusement, ce dernier est un certain Mario Bava, dont ce sera le premier grand pas en tant que réalisateur avant, entrer autre, d’envoyer Hercule contre les vampires (1961).
Les Vampires place son action à Paris à la fin des années 50. Une série de jeunes femmes sont retrouvées assassinées, vidées de leur sang. Nous suivons le journaliste très débrouillard Pierre Latin enquêter sur ces meurtres, s’opposant à une police peu confiante en la presse même quand il semble flairer le bon bout, tentant de se débattre avec Giselle du Grand – interprétée par la sculpturale Gianna Maria Canale, actrice fétiche de Riccardo Freda et accessoirement son épouse – une éperdue amoureuse de lui qui ne le lâche pas d’une semelle. Les choses se compliquent lorsque c’est la propre dulcinée de Latin qui disparaît : va-t-elle le mener à l’assassin et pourra-t-il la sauver ? Certains indices semblent le diriger vers la tante de Giselle, une aristocrate qui se balade partout avec un voile noir sur la tête et dont plus personne n’a vu le visage depuis des années… Il est délicat d’aller plus loin dans le pitch sans déflorer une intrigue qui réserve, malgré le petit clin d’œil laissé sous le chapeau de cet article, une surprise. Tourné dans un Paris reconstitué de manière peu réaliste, dans lequel les journaux ont des noms en français mais dont les unes et les articles sont en italien (ah, la nonchalance des petits budgets), le récit se laisse suivre assez mollement, mélangeant les imaginaires des mythes de Frankenstein et de la Comtesse Bathory, sans grande intensité ni surprise, hormis le twist plus ou moins final, dans un mix des genres, entre le mélodrame, le policier et le fantastique. Au-delà de son mérite de précurseur du cinéma de genre italien, audacieux pour son temps, Les Vampires intrigue pour son aspect formel tout à fait hybride, lui aussi mêlant Hitchcock – avec un T cette fois, bel et bien Alfred – avec l’expressionnisme digéré par les Américains des films Universal Monsters, et avec l’atmosphère fantastique gothique – dont deux impressionnantes scènes de transformation d’un visage à vue en plan-séquence – à laquelle Mario Bava donnera ses premières marques de noblesse avec Le Masque du Démon (1960). Si le long-métrage est ainsi pionnier, ce n’est pas seulement par le genre qu’il aborde, mais aussi parce qu’il importe une imagerie alors inconnue des contrées italiennes. Un travail similaire est opéré, par ailleurs, au même moment en Amérique du Sud par Leopoldo Torre Nilson sur un film comme La Maison de l’Ange (1957) une curiosité névrotique fortement imprégnée d’horreur gothique et très recommandable, hélas inédite dans nos contrées…
Il est ainsi pertinent d’admirer le travail de restauration de Sidonis Calysta pour une série B qui dépasse son carcan par des ambitions et influences plastiques plus recherchées. Les Vampires est disponible en haute définition Blu-Ray, dans un coffret mediabook incluant le Blu-Ray, le DVD et un livret de 24 pages rédigé par Marc Toullec. Les suppléments se concentrent en deux présentations imposantes et qui parfois, ainsi peuvent se répéter sans que cela ne gâche le plaisir de les écouter parler : le journaliste Olivier Père pour une vingtaine de minutes, et le cinéaste Christophe Gans pour près de trois-quart d’heure d’entretien très enrichissantes.