Je suis un aventurier


Ressorti chez Sidonis Calysta dans sa collection « Westerns de Légende », Je suis un aventurier (1954), énième fruit de la fructueuse collaboration entre Anthony Mann et James Stewart, illustre ce sentiment alors chevrotant de l’idéologie américaine : celui d’enfin s’installer chez soi, et de prendre en main son destin.

Dans une rue bondée de badauds, James Stewart est tenu sous le revolver du marshall tout vêtu de noir dans le film Je suis un aventurier.

                                                  © Tous Droits Réservés

Possession

Ruth Roman a un sourire malicieux, assise sur son cheval, un chapeau sur la tête dans le film Je suis un aventurier.

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Seattle, 1896. Jeff Webster, authentique cowboy – puisqu’accompagné de son bétail – en la personne de James Stewart, embarque à bord d’un bateau pour Skagway rejoignant alors la très animée ruée vers l’or du Klondike empli des espoirs d’installation et de richesses de milliers de prospecteurs. Mais, déjà à bord puis amarré à Skagway, Jeff se fait alpaguer par Gannon, shérif vêtu comme un juge et quintessence de l’autorité institutionnelle dans ces terres en apparence sans foi ni loi. Accusé de meurtre et son troupeau confisqué, Jeff se voit contraint de négocier sa liberté, en échange de quoi il doit accompagner les colons jusqu’à Dawson, du côté canadien de la frontière, le bétail étant la caution de cette opération périlleuse car le terrain montagneux n’est pas à l’avantage des caravanes. Déterminés à tromper la loi pour reprendre ce qui est leur, Jeff et son – seul – ami Ben Tatem récupèrent leurs bêtes, et se lancent vers Dawson, accompagnés par les intrépides en quête d’une nouvelle vie, et poursuivis par Gannon et ses hommes. Pourtant, cette traversée aux allures de quête qui serait d’ordinaire le cœur d’un western road-trip n’est pas le centre de Je suis un aventurier, car assez vite, Jeff et les autres arrivent à Dawson, où règne, en l’absence d’institutions ou de personne d’autorité, une forme d’iniquité, pour le moment bénigne…

Le cadre de Je suis un aventurier parait au premier abord le même que Les Affameurs (1952), autre western d’Anthony Mann avec James Stewart. En prenant place dans la région verdurée et montagneuse du Pacifique Nord-Ouest – quitte à traverser les frontières jusqu’au Yukon – Mann raconte un fragment de l’Histoire des Etats-Unis par son geste le plus singulier. La conquête d’un territoire (en apparence) vierge par des pionniers, qu’elle se soit tenue dans le Far-Ouest ou, comme ici, au Pacifique Nord-Ouest, est une composante essentielle de « l’américanité ». Ce temps de l’installation est la toile de fond des Affameurs, qui étudie surtout la noirceur naturelle de l’âme humaine ; dans Je suis un aventurier, le western illustre précisément ce basculement entre l’errance du cowboy et l’installation du pionnier. Car au-delà d’un territoire naturel bien-sûr, c’est un territoire social qui doit être conquis. Une terre anarchique qu’un mouvement communautaire mais également individuel doit structurer pour faire société.

Le long-métrage met en scène des états psychologiques et sociaux remarquablement différents, parfois même antagonistes mais mis en permanence sur le même plan. Cowboy et pionnier, anarchie contre loi, l’égoïsme de Jeff et le sens de la communauté des habitants de Dawson, ce même sens de la communauté et le besoin d’individualité balbutiement du self made man. Même les deux intérêts amoureux qui gravitent autour de Jeff sont radicalement différents entre l’entrepreneure-entreprenante Ronda Castle et la candide Renee Vallon. Cette pluralité de pensées contradictoires, quand elles ne sont pas carrément conflictuelles, illustrent l’état d’une société américaine sur le point de naitre. Cette mouvance entre l’état de non-droit et l’état de droit donne également aux films plusieurs genres à exploiter, car une fois arrivé à Dawson, l’aspect « western » de Je suis un aventurier se montre plus en retrait. À mesure que Jeff et les pionniers s’installent à Dawson – Jeff et Ben finissent par acheter une mine – le film se change par moments en drame entrepreneurial et administratif, où les achats de titres de propriétés ont autant d’intensité et d’héroïsme qu’un duel entre pistoleros, jusqu’à d’ailleurs se dérouler la plupart du temps…Au saloon.

Blu-Ray de Je suis un aventuriel édité par Sidonis Calysta.Ce qui ne signifie pas que le film de Mann est exempt de dynamisme. Car si à Dawson l’installation est à priori libre, la loi du plus fort réside encore en ces lieux. L’enjeu de la naissance d’une communauté à Dawson passe par l’affrontement entre des puissances, politiques – comme Gannon, que l’on retrouve – et physiques, campés par des cowboys certains de leur domination. L’individualisme de Jeff se voit même être ébranlé par cet affrontement. Après avoir été longtemps simple observateur, il s’interpose en prenant la défense des plus faibles. Pris alors à partie dans une vendetta, le long-métrage opte pour une mue finale en vigilante movie : le bras vengeur de Jeff, comme le jet d’une pierre dans l’eau créé l’ondulation, devient l’étincelle qui embrase la communauté de Dawson, au sein de laquelle vont désormais s’opposer partisans de L’État de droit et cow-boys voulant maintenir l’usage de la force.

Du côté de l’édition, Sidonis Calysta pare Je suis un aventurier des apparats habituels réservés à ses « Westerns de Légende ». Outre une impeccable restauration, on trouve un livret consacré au film, une interview d’Anthony Mann et un documentaire lui étant consacré. Triste actualité oblige, peut-être sommes-nous plus sensibles à la présentation du long-métrage par Bertrand Tavernier, exercice régulier du cinéaste envers l’éditeur, dont l’indélébile geste de transmission prend aujourd’hui une amère saveur.

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A propos de Pierre Nicolas

Cinéphile particulièrement porté sur les cinémas d'horreur, d'animation et les thrillers en tout genre. Si on s'en tient à son mémoire il serait spécialiste des films de super-héros, mais ce serait bien réducteur. Il prend autant de plaisir devant des films de Douglas Sirk que devant Jojo's Bizarre Adventure. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZUd2

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